Scénario à la Kafka avec des peines totalement disproportionnées…
Edit du 1er avril à 7h20 : photo de l’intervenant de la DSNA supprimée à la demande du club organisateur de la réunion.
On l’a déjà dit ici, le traitement de certains dossiers suite à une infraction est totalement incohérent et disproportionné. On s’en souvient, lors des Jeux olympiques, au moins trois pilotes avaient écorné la ZRT Coubertin. L’un avait écopé d’une amende de quelques dizaines d’euros, le second avait été relâché sans suite après audition par la BGTA, le troisième avait subi une garde à vue de 12h00 suivie d’une convocation quelques mois plus tard au tribunal. Rien que ce constat mériterait une action en justice pour discrimination…
Procédure de reconnaissance de culpabilité imposée, nécessitant l’intervention d’un avocat, avec le déplacement à travers le pays pour venir au tribunal, le coût final du pilote gardé en vue a dépassé les 2.500 €. Mais le plus marquant est que le procureur devant déterminer la sanction finale s’est trouvé gêné aux entournures devant ce dossier ayant pris une ampleur injustifiée selon ses mots par rapport à l’infraction – une poignée de minutes dans le coin supérieur de la ZRT avec une trajectoire non menaçante, le tout avec transpondeur et contact avec les SIV. Mais forcé d’appliquer la loi, il était tenu d’appliquer une sanction, retenant donc la plus faible possible, laissant même le choix au pilote entre une amende ou un retrait de sa licence pour deux mois. Bref, comment encombrer la justice pour un événement jugé mineur au vu des priorités et des moyens dont disposent les tribunaux en France.
Un autre cas plus récent révèle que le bon sens si cher à Descartes est en train d’être perdu, qu’un événement sans conséquence, qui aurait entraîné le classement immédiat il y a quelques années, est désormais monté en épingle avec la mise en place d’un rouleau compresseur sans réflexion.
Résumé de « l’événement »
Le 26 septembre 2023 dans la matinée, un pilote propriétaire d’un PA-18 met en route, contacte la tour d’Annecy et, QFU en service, QNH et code transpondeur notés et collationnés, il roule. Actions vitales effectuées, autorisé au décollage, il part pour un atterrissage sur une alti-surface.
Une heure plus tard, de retour et approchant le point Echo-Alpha de la CTR d’Annecy, il appelle la tour sans succès. Ni réception ni émission. Il s’assure d’être sur la bonne fréquence, débranche et rebranche les « jacks » de son casque, secoue le poste radio dans son rack, et réessaye trois fois de joindre la tour. Toujours rien.
Il affiche 7600 au transpondeur, reste en dehors de la CTR, grimpe pour être en vue du terrain et d’éventuels trafics. En altitude, une quatrième tentative de contact radio reste sans succès. Ex-pilote professionnel, instructeur, pilote montagne aux 6.700 heures de vol à l’époque, il applique les priorités : piloter, naviguer et communiquer. À la limite de la CTR, il effectue ainsi trois 360° pour que le radar capte bien le code 7600 (panne radio) au transpondeur.
Il évalue les différentes options. Tous les terrains à proximité (Albertville, Annemasse, Chambéry, Challes-les-Eaux, Bourg-en-Bresse) sont interdits, comme Annecy, à tout aéronef sans radio. Pour y accéder il faudrait alors soit rentrer dans une CTR avec des contrôleurs qui, au contraire de ceux d’Annecy, ne savent pas qu’il a décollé 1h30 auparavant, soit passer sous, ou très proche, d’une TMA avec un trafic dense pouvant inclure des parachutistes, soit passer par un col en montagne sans radio, soit encore se poser sans radio sur des terrains de montagne. Toutes ses options lui paraissent infiniment moins sûres (pour sa sécurité et celle des autres aéronefs) que de se poser à Annecy, terrain quitté 1h30 auparavant, seul dans le circuit, le tout par bonnes conditions météo, un matin de semaine… La carte du secteur montre bien que l’espace aérien y est très contraint…
Après avoir passé en revue les options, décision est donc prise de revenir à Annecy, avec passage en battant les ailes pour bien se faire voir de la tour, vent arrière raccourcie pour ne pas gêner un éventuel autre trafic et un atterrissage sur la piste en herbe et non la principale en dur. Piper rentré au hangar, il se rend à la tour où le contrôleur lui confirme avoir bien noté le code 7600 au transpondeur, avoir compris la situation et que son intégration et l’atterrissage n’avaient occasionné aucun incident, aucune perturbation dans le trafic local mais que par procédure, sa hiérarchie serait informée. Là, dans un monde normal, le dossier s’achève sur ce dernier point et l’affaire est classée. Point final.
Convocation en justice
Une semaine plus tard, coup de téléphone de la BGTA de Chambéry demandant des explications, qui sont communiquées par téléphone. En réponse, on précise au pilote que l’événement va être signalé au… procureur. Un mois, trois mois, six mois, un an… passent
et il n’y a aucune suite, laissant à penser que pour ce non-évènement, l’affaire a été définitivement classée.
Erreur ! En janvier 2025, soit 16 mois plus tard, le pilote reçoit à nouveau un coup de fil de la BGTA de Chambéry. Il est convoqué pour une audition car c’est devenu « une affaire pénale »… Les « délits » mis en avant sont :
– Conduite d’un aéronef non conforme aux règles de sécurité : utilisation de l’appareil,
– Circulation d’un aéronef on conforme aux règles de navigabilité.
L’audition a eu lieu le 7 février dernier et a duré plus de deux heures. Les délits dont le pilote est accusé sont « Pénétration d’espace contrôlé de classe D sans clairance » et ensuite d’avoir « effectué des vols dans un aéronef certifié suite à la réparation d’une radio sans APRS ». Pour le premier point de la classe D, le récit plus haut redonne le contexte.
Il lui est reproché de n’avoir pas choisi d’autres « solutions » comme contourner les (vastes) limites des CTR, d’Annecy et de Chambéry pour aller se poser à Challes-les-Eaux pourtant à la forte activité vélivole, treuil compris, ou de se poser à Bourg-en-Bresse malgré
le trafic important, en se faufilant dans le relief via le couloir VFR allant d Chambéry à Genève, sous la TMA suisse… Tout cela dans un pays où la DGAC nous parle de sécurité des vols, de Plan de sûreté de l’État (PSE) adapté à l’aviation générale, de culture juste et on en passe…
Le pilote a répondu qu’il avait fait au mieux et au plus sécurisant.
Pour le second point (« réparation de la radio sans APRS »), le pilote a effectivement, trois jours après l’événement, sorti une clé Allen et resserré la radio dans son rack avant de tester son bon fonctionnement au sol et ensuite en vol, emportant par sécurité une VHF portable mais sans autre problème par la suite. Si resserrer d’un coup de clé Allen ou de tournevis un équipement est un délit, il y a sans doute des milliers de pilotes concernés ! On marche
sur la tête… Photo de l’objet du délit ci-dessous…
Lors de l’audition, les questions se sont multipliées et après y avoir répondu, le pilote a demandé quel était le but de cette audition, demandant des précisions pour s’entendre répondre que ce n’était pas à lui de poser des questions mais de seulement répondre.
Le pilote est abasourdi par le ton et la teneur de certaines questions, avec une audition
« à charge » : « Reconnaissez-vous vos torts ? Reconnaissez-vous avoir enfreint la loi ? ».
Après deux heures, le pilote a signé le procès-verbal mais il n’a pas eu le droit d’en avoir
une copie – une décision qui devrait être jugée inacceptable dans un pays se prétendant démocratique – et il sort donc libre, après qu’on lui ait fait remarquer avec une empathie très particulière qu’il évitait la garde à vue !
Le 13 février, soit six jours plus tard, le pilote est rappelé car la BGTA a un document à lui remettre en mains propres, contre signature. Rendez-vous est pris le lendemain. On lui remet le pli contre signature. C’est une convocation le mois suivant par le délégué du procureur de la République – la justice peut parfois étonnamment passer à la vitesse supersonique entre une audition et une convocation en justice… – avec un choix laissé à l’appréciation du pilote :
– accepter de plaider coupable des deux « délits », et donc payer une amende dont le montant n’est pas précisé mais qui peut monter jusqu’à 10.000 €, avec inscription au casier judiciaire,
– refuser et affronter un procès pénal avec le risque des mêmes amendes, inscriptions au casier judiciaire et même… jusqu’à un an de prison !
Un scénario à la Kafka !
Le pilote contacte alors un avocat spécialisé en droit aérien, et l’impression de ce dernier
au vu du « timing » relevé (audition vendredi à Chambéry et mise en cause par le procureur d’Annecy seulement trois jours ouvrable plus tard) est que la sanction était déjà décidée avant l’audition. D’autres cas similaires auraient été notés ces derniers temps. Le problème reste le suivant : si l’on va au procès face à de telles « accusations », avec de très fortes chances de l’emporter, cela risque de durer longtemps et de coûter plus cher au final que l’amende.
Bref, le piège s’est refermé sur l’aviation générale et ses pilotes. Solution A, on perd, solution B, on gagne mais au final on a perdu temps et argent. La misère donc…
Au vu de dossiers similaires par le passé – pour les JO, la FFA s’est contentée de publier le courrier d’un des pilotes ayant écorné la ZRT mais sans la moindre suite, Tout va très bien Madame la Marquise… – il est peu probable que FFA et AOPA-France se saisissent de la problématique non pas sur un dossier individuel mais selon une approche globale de défense des intérêts des pilotes de l’aviation générale – plusieurs cas par le passé en attestent.
Toutes les disciplines aéronautiques pouvant être concernées, il serait d’ailleurs bon qu’une action collective soit entreprise par le CNFAS pour « revenir les pieds sur terre ».
Cette affaire met en effet en lumière une sanction excessive, totalement disproportionnée
par rapport aux faits relevés. Ce n’est pas cet article qui fera avancer les choses mais il est important de documenter ce genre de dossier et d’en garder la trace pour l’édification des foules !
Rebondissement récent
Mais le 29 mars, rebondissement ! Ce samedi, un séminaire Sécurité des vols était organisé par le club ULM Skylac Annecy, sous l’égide du CRULM AURA en présence du président
de la FFPLUM ! À cette occasion, Sébastien Singh, chef de la circulation aérienne à Annecy (DGAC/DSNA) y intervenait, évoquant notamment pour l’année 2024 près de 70 événements dans son secteur dont 12 intrusions.
Et d’expliquer une évolution de mentalité en cours au niveau de la direction des opérations
de la DSNA. Si un événement technique, une urgence intervient, réglementation européenne oblige, une notification est nécessaire. Cette dernière permet d’alimenter une base de données européenne (ECCAIRS) pour définir si besoin des améliorations à prévoir pour améliorer la sécurité des vols.
Il aborde notamment la panne radio. Et d’indiquer qu’en principe, sans radio, on ne rentre pas dans une classe D mais cela, « c’était avant ». Et de saluer l’évolution prévue, en parlant au nom des pilotes et non pas côté contrôle. La situation d’une panne radio peut être stressante,
il faut donc réfléchir et « finalement, se poser sur le terrain le plus proche », ce n’est pas la solution la plus stupide. Et donc, la réglementation est en train d’évoluer, même si l’évolution reste (trop) lente. Les cartes VAC devraient être amendées à l’avenir, « peut-être avant fin 2025 » et on ne parlera plus de « hors CTR » ou « dans la CTR ».
Et le chef de la circulation d’évoquer son secteur à Annecy, citant de mémoire, mais pas au mot près que, désormais, en cas de panne radio, la procédure sera d’afficher 7600 au transpondeur (panne radio), de venir à la verticale des installations à une altitude supérieure à celle du circuit en étant vigilant sur les autres trafics, notamment IFR, de se mettre légèrement à l’ouest de l’axe et d’intégrer ainsi le circuit.
Et d’enfoncer le dernier clou en précisant que « c’est bien, pour vous pilotes, niveau sécurité,
je pense que c’est ce qu’il y a de mieux ». Et que c’est ainsi que cela va se passer désormais à Annecy car « la sécurité de l’appareil qui a un problème technique prévôt sur le reste ».
Eurêka ! Fermez le ban. Même si c’est désolant d’attendre autant d’années pour arriver à cette solution de bon sens mais on sait que la DGAC a toujours été lente dans son évolution des mentalités avec de l’ADN tendance SFA des années 1960 encore dans certains cerveaux.
Donc, on résume :
– fin 2023, un pilote rencontre une panne radio à Annecy. Après analyse, choix de la meilleure solution, il pénètre la CTR de classe D, assure la sécurité et se pose sur l’aéroport dont il est parti peu auparavant. Affaire classée par le contrôle local mais notification.
– la BGTA entre alors en jeu et début 2025, après convocation, le pilote est menacé de sanctions totalement disproportionnées. Comment le « système » peut-il autant se décrédibiliser tout en évoquant à répétition le concept de « culture juste », « d’analyse de risque », de « conscience de la situation » et de « prise de décision ». Totalement aberrant ! Un stage de FH s’impose à la BGTA de Chambéry.
– quelques semaines après le déclenchement de l’affaire début 2025, alors que le pilote attend sa convocation en justice pour connaître son sort final, la DGAC/DSNA par l’intermédiaire de son chef de la circulation locale évoque (sans citer le dossier en cours pourtant initié sur cette même plate-forme !) que la procédure à appliquer désormais à Annecy est… celle retenue par le pilote condamné ! Cherchez l’erreur.
Au final, avant que l’affaire n’aille plus loin, il serait essentiel que le dossier du pilote soit définitivement classé verticalement – officiellement, par courrier, et non pas en jouant l’amnésie – ce qui aurait dû être le cas dès le départ, dès lors que l’on réfléchit quelques secondes sur le choix à retenir entre la sécurité des vols (la vraie, telle que vécue dans un cockpit) et l’application irrationnelle d’une réglementation déconnectée de la réalité. ♦♦♦
Photos © DR