Des enseignements à tirer à la lecture d’un récent rapport du BEA.
Les rapports d’accidents sont là pour informer les pilotes sur les causes possibles d’accidents suite à des événements réels, le tout pour mieux les préparer à gérer des situations similaires en étant déjà « armés » des scénarios à retenir. Ces rapports participent ainsi à l’amélioration de la sécurité aérienne. En conséquence, il y a toujours des éléments à tirer d’un rapport du BEA pour augmenter sa « bibliothèque » de réactions à mettre en place dans telle ou telle situation, ou améliorer la reconnaissance de situations à éviter dès que l’on sent qu’on s’en rapproche…
Le rapport concernant l’accident mortel d’un DR-400/180 à Propriano en octobre 2023 en est un nouvel exemple. Deux couples décollent de Cannes à destination de Propriano. Après un passage par la plage, ils prennent le chemin du retour. Peu après le décollage face à la mer, le pilote vire à droite au niveau de la plage et suit le littoral. Des témoins signalent des variations du régime moteur, une trajectoire non stable de l’appareil, avec plusieurs variations d’inclinaison avant en départ en vrille jusqu’à l’impact à la surface de la mer.
De nos jours, avec les smartphones, les caméras installées partout, sans compter les tablettes et GPS à bord pour retracer des trajectoires et parfois des témoins au sol, les enquêteurs sont désormais bien équipés pour analyser certains faits ou paramètres. Ainsi, au départ de Cannes-Mandelieu, les caméras ont permis de relever les points suivants :
– le pilote a réalisé une « inspection extérieure réduite de l’avion », vérifiant le niveau d’huile et faisant les purges des trois réservoirs.
– il a « effectué deux tentatives de démarrage » avant de rouler pour aller avitailler.
– il a « très probablement procédé à un essai coupure des magnétos avant d’arrêter le moteur » à la station d’avitaillement.
– il a avitaillé les trois réservoirs puis « a effectué quatre tentatives de démarrage ».
– il a roulé vers le parking, a coupé le moteur pour embarquer ses passagers.
– il « a effectué trois nouvelles tentatives de démarrage », passagers à bord.
– il a procédé aux essais du moteur au point d’attente avant de s’aligner et de décoller.
Pour le vol retour, il en est de même, peu de chose ayant échappé aux caméras installées sur l’aérodrome, avec les horaires relevés à la seconde près :
– « le pilote a retiré les protections du tube Pitot et des deux prises statiques latérales. Aucune autre inspection extérieure ne semble avoir été réalisée au cours d’un tour avion dédié ».
– il a démarré le moteur « après quatre tentatives. Treize secondes plus tard, il a roulé vers la piste, volets sortis en position Décollage ».
– il n’a « pas marqué d’arrêt au point d’attente, a remonté la piste jusqu’à la raquette située au seuil de la piste 27, a fait demi-tour puis a immédiatement entamé le roulement au décollage. L’enquête n’a pas pu établir si néanmoins, pendant le roulage, le pilote a eu le temps de réaliser ou pas des essais moteur et le briefing avant décollage ».
– il a décollé « moins de trois minutes après la mise en route du moteur ». Plus loin, le BEA précise qu’au vu du temps de vol estimé, l’atterrissage à Cannes aurait été effectué quelques minutes avant le coucher de soleil. De plus, le pilote a sans doute accéléré le roulage après échanges radio avec le pilote d’un avion largueur de parachutistes afin de décoller avant son largage à la verticale de l’aérodrome.
– environ 1 minute « après le premier virage, on observe un dégagement de fumée derrière l’avion ».
De nombreux échanges avec le constructeur de l’avion ont été réalisés « afin de vérifier si les symptômes observés lors du vol de l’accident (démarrage difficile, apparition de fumée en vol) pouvaient être liés aux observations sur le moteur. Les éléments factuels collectés n’ont pas permis d’identifier un scénario particulier », précise le BEA.
Toujours à partir des images de caméras, la « trajectoire horizontale approximative » de l’avion a été reconstituée. La vitesse sol moyenne n’a pu être déterminée avec précision. C’est peu après le second virage à droite pour suivre la côte que la trajectoire devient verticale avec forte énergie à l’impact, après une rotation de la voilure trahie par les variations de l’éclairement de l’avion sous les rayons du soleil. Le renflouement de l’épave et son examen ont révélé une inclinaison à gauche et une assiette à piquer au moment de l’impact, sans couple moteur au vu de l’état de l’hélice, avec les volets en position Décollage.
Les relevés sur l’épave précisent les points suivants : magnétos sur Both, commande de réchauffage-carbu annulée et serrée, pompe électrique coupée (sans certitude sur sa position à l’impact) mais testée et fonctionnant normalement, pompe mécanique trop endommagée pour en vérifier son fonctionnement ainsi que pour le carburateur, pas de certitude sur la position de la mixture ni du sélecteur carburant. Cependant, des essais réalisés sur un autre DR-400/180 montrent que le temps de vol n’aurait pas été possible avec le sélecteur sur Off.
Il y avait bien du carburant à bord. Aucune trace d’incendie ou de surchauffe n’a été relevée sur le moteur et l’épave.
Le pilote, 40 ans, avait une bonne expérience, avec CPL, FI(A), MEP, IR/ME, formation UPRT
et MCC, totalisant environ 750 heures de vol dont 30 sur type et 21h00 sur l’appareil concerné dans les trois mois. Le Lycoming de l’avion n’avait que 11h00 de fonctionnement depuis la dernière visite périodique (100h00) et les personnes ayant volé la veille à bord de l’avion ont indiqué « que le moteur a démarré du premier coup et qu’il fonctionnait normalement ».
De plus, « l’étude de la documentation de maintenance n’a pas montré de problématique particulière sur l’avion et le moteur, pouvant expliquer une éventuelle défaillance technique lors du vol de l’accident ».
En conclusion, « l’apparition de fumée derrière l’avion suggère que le pilote a été confronté
à une défaillance ayant pu conduire à une perte de puissance partielle du moteur. Il est probable que le pilote a alors décidé de réaliser un circuit adapté pour revenir se poser.
Les témoignages recueillis suggèrent que l’état de fonctionnement du moteur s’est probablement dégradé jusqu’à la perte de puissance totale ». S’il n’a pas été possible de mettre en évidence des « éléments permettant d’expliquer l’origine de la perte de puissance rapportée par les témoins », le BEA précise que « les difficultés pour démarrer le moteur et le dégagement de fumée en vol visible sur la vidéo d’une des caméras de surveillance laissent néanmoins supposer un lien éventuel avec un possible problème de carburation ».
Par ailleurs, « l’enquête a montré que le pilote ne s’est pas arrêté au point d’attente pour faire les vérifications avant décollage. Vu ses qualifications et son expérience, il est possible cependant qu’il les ait réalisées pendant le roulage » indique le BEA. Étant CPL et FI, il est en effet possible d’effectuer ces vérifications en remontant la piste, puis de faire les essais moteur une fois aligné. Il en est de même pour le briefing décollage. On sait que le pilote pouvait avoir une pression temporelle suite au coucher de soleil et à un largage imminent de parachutistes.
En dernière page, le BEA aborde l’atterrissage ou l’amerrissage forcé après panne de moteur, indiquant qu’une « panne du moteur est généralement annoncée par des signes précurseurs comme une diminution de la puissance, des vibrations ou des bruits anormaux, une chute de la pression et/ou une augmentation de la température d’huile. La surveillance régulière des paramètres moteur doit permettre de déceler la panne et de décider d’interrompre le vol à temps. Le pilote doit être conscient que la situation peut se dégrader à tout moment et envisager un plan d’action ».
Et de préciser : « En cas de dégradation de la situation et de défaillance du moteur en vol, le pilote doit, malgré l’effet de la surprise et du stress, amender rapidement son plan d’action.
En cas de survol de l’eau, si la distance de plané de l’avion ne permet pas de rejoindre une surface dégagée pour effectuer un atterrissage forcé, il est préférable d’envisager un amerrissage forcé. Le maintien de la vitesse adéquate en fonction des inclinaisons retenues permettra au pilote de maintenir une marge de sécurité par rapport à l’incidence de décrochage et de garder le contrôle de l’avion lors de ces manoeuvres ».
Le BEA rappelle son étude « Diminution de la puissance du moteur au décollage » avec 12 accidents mortels sur 31 événements étudiés. Les 12 accidents mortels sont consécutifs
à une perte de contrôle en vol. Sur 14 cas ayant conduit à une perte de contrôle, « au moins 11 d’entre eux sont survenus lors d’une altération de cap significative voire lors d’une tentative de demi-tour ». Et de noter qu’à « l’inverse des pertes de contrôle, ni les 4 cas de collision avec des obstacles sans perte de contrôle ni les 2 cas d’amerrissage forcé n’ont conduit à des blessures mortelles ».
Sur cette thématique, aeroVFR a également publié un sujet intitulé « Gérer une perte partielle de puissance après décollage » et également la même situation lorsqu’elle est rencontrée sur bimoteur.
Que dire de plus… Au risque de répéter, quelques points peuvent être à nouveau signalés :
– en cas de panne partielle ou totale du moteur, la priorité absolue est de continuer à piloter ou, autrement dit, de « faire voler l’appareil ». Ce qui sous-entend un changement d’assiette (rendre la main) pour conserver de la vitesse. Une bonne compensation doit ensuite permettre de laisser voler l’appareil – tout en le surveillant… – mais en ayant alors plus de disponibilité pour gérer la panne.
– personne ne connaît ses propres réactions si une situation réelle de panne moteur survient un jour. Il y a souvent un écart entre la théorie et la pratique. Mais pour que la réaction soit la plus optimale possible, il faut s’y préparer mentalement, pour avoir un plan d’action en tête.
Il y aura inévitablement une phase de sidération, d’absence de réaction à réduire au maximum.
– avant toute évolution, il faut auparavant s’assurer que la vitesse permet ce changement de trajectoire, et donc ne pas succomber à l’impulsivité. Plus simple à dire qu’à faire…
– atterrissage ou amerrissage forcé, c’est à la vitesse minimale à l’impact (volets sortis)
et ailes à plat.
– la gestion de la panne moteur est très variable selon la hauteur par rapport au sol ou à l’eau. En montée initiale, le temps est compté et il faut aller au plus simple : faire voler l’appareil jusqu’à l’atterrissage forcé, en évitant au mieux les obstacles. En altitude, il y a plus de temps pour analyser la panne, mener une tentative de redémarrage, préparer l’équipage et prévenir un organisme si la panne est confirmée.
– si la vitesse est un paramètre clé pour continuer à faire voler un appareil en panne moteur, plusieurs vitesses peuvent être choisies. S’il s’agit d’aller le plus loin possible (pour rejoindre la côte…), ce sera la vitesse de finesse maximale. Rares sont les manuels ne la précisant pas, mais en première approximation la vitesse de meilleur taux de montée (Vy) est à retenir. S’il s’agit de gagner du temps pour gérer la panne, il est préférable de voler à la vitesse de taux de chute minimum, pour aller moins loin mais pour rester plus longtemps en l’air. Toujours en première approximation, cette vitesse est proche de la Vx sur nos aéronefs légers car les manuels de vol sont muets sur le sujet.
– il faut prendre en compte les « signes précurseurs » ou les « signaux faibles » d’un dysfonctionnement potentiel. Étant CPL, FI, avec 21h00 dans les trois mois sur l’appareil,
on ne peut imaginer que le pilote ne savait pas démarrer un Lycoming, à froid, comme à chaud, voire moteur noyé. Les difficultés, rencontrées à répétition, pour démarrer le Lycoming récalcitrant auraient dû servir d’alarme face à un problème technique qui ne va pas s’arranger tout seul, au mieux sans évoluer, au pire en s’aggravant. On peut imaginer un problème de calage de magnétos ou de problème côté carburateur. Les « fumées » relevées par des témoins sont dues à un mélange trop riche, avec des gaz d’échappement noirs… Quand de tels dysfonctionnements sont rencontrés, il faut lever le doute et ne pas accepter une déviation par rapport à la « normale », surtout pour un survol maritime. ♦♦♦
Lien pour télécharger le rapport du BEA
DR400propriano