Billet d’humeur… à froid.
Il n’échappe à personne que l’aviation générale n’est qu’un minuscule rouage au sein de notre société dite moderne. Aussi, il n’est pas étonnant que ce domaine ne puisse échapper aux « évolutions » que l’on constate dans d’autres secteurs et qui ne vont pas dans le bon sens de l’intérêt général. Au-delà de ce rappel très théorique, passons aux exemples plus concrets…
Fermer un hopital au sein d’une grande agglomération est une action difficile à faire accepter. Si tel était le cas – dans un pays où le constat d’une disparition des services publics n’est pas une nouveauté, où des déserts médicaux sont une réalité, où il faut parfois attendre des semaines voire des mois pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste, où il n’est pas inhabituel d’attendre 5 à 8h00 aux urgences éventuellement sur un brancard improvisé dans un couloir en espérant voir l’aube… – dès l’annonce de la fermeture d’un centre hospitalier, le gouvernement, le ministère de la Santé seraient sur la sellette et sous les feux médiatiques, une situation non recherchée.
Il est plus simple d’y aller progressivement, en supprimant chaque année des lits d’hospitalisation, puis de fermer ici ou là des services et aussi de refuser des médecins diplômés étrangers afin de dégrader petit à petit le service rendu aux usagers jusqu’au constat inévitable à force de le provoquer de manquer de moyens, le tout organisé au fil du temps pour au final devant l’impossible, devoir « imposer » la fermeture pour transférer l’activité vers des intérêts privés.
Revenons à nos moutons… aéronautiques pour constater, qu’à l’échelle près, ce type de phénomène se retrouve dans le milieu de l’aviation générale. Certes, il est parfois difficile et long pour parvenir à fermer un aérodrome, à coups d’enquêtes, de procédures juridiques, de commissions en rapports d’experts, le tout étalé parfois sur quelques années… mais au final, la situation n’est pas impossible. Les exemples sont nombreux de fermetures de terrains, de Guyancourt à Oyonnax en passant par Vittel, Fréjus-Saint-Raphaël, Sallanches et d’autres.
Mais là encore, une décision brutale est rarement rencontrée au départ car elle entraînerait une forte réaction contre-productive pour ceux souhaitant sa fermeture. C’est donc plus souvent un lent processus pour mettre régulièrement des bâtons dans les roues des usagers, les fatiguer à coups de décisions ou d’interdictions ponctuelles mais répétées, de fermeture subite sans justification d’un aérodrome sur plusieurs mois par décision d’un maire. Le tout est d’entraver l’activité, d’inventer un certain nombre de contraintes, de multiplier ces dernières au fil du temps.
Pas besoin d’aller très loin pour trouver un exemple type : Toussus-le-Noble. Jadis, c’est-à-dire lors des dernières décennies du 20e siècle, ADP, gestionnaire de cette plate-forme de l’ouest parisien, la présentait comme le modèle, avec le plus grand nombre de mouvements annuels (avant d’être détrôné par Lognes), avec des services à l’écoute des usagers (dont une station météo sur place et des prévisionnistes pouvant améliorer l’analyse d’une situation), on pouvait y voir quelques jets au milieu de pistons. On pouvait même réaliser des arrivées par le nord, en demandant au préalable l’autorisation à la tour et une fois celle-ci accordée, prévenir Saint-Cyr l’Ecole du passage à la verticale de leur terrain. Puis, il suffisait de rebasculer avec Toussus pour arriver perpendiculairement aux pistes et intégrer le circuit de piste par l’intérieur. Si, si… rien n’est inventé !
Aujourd’hui, les plaquettes de promotion de Toussus ne font plus partie des plans de communication d’ADP sauf pour installer une station SP98 (à titre expérimental et qu’un Notam annonce la pompe n’être pas encore opérationnelle…) et une borne électrique même si sur le site d’ADP, on peut encore lire en février 2025 que cet aérodrome d’aviation d’affaires et de loisirs « s’inscrit dans le périmètre d’un audacieux projet de développement de la métropole parisienne du 21e siècle lancé par le gouvernement français en 2009 » (sic !). Entre-temps, le terrain a subi la mise en place durant la saison de plages de silence, du 1er avril au 30 septembre, les dimanches et jours fériés de 11h00 à 14h00 (-1h00 en été annonce la fiche VAC, alors qu’on est déjà à l’heure d’été en avril jusqu’en septembre ?).
Puis sont arrivés les fameux ronds bleus que partagent de nombreuses fiches VAC mais à la différence qu’à Toussus, il n’est pas seulement recommandé d’éviter leur survol car cela est strictement interdit, sous peine de recevoir par courrier un rappel à l’ordre de la part de la DSAC, avec sanctions possibles en cas de récidive. L’un des ronds bleus (hameau de Magny Village) se trouve dans la trouée d’envol en piste 25R… Le terrain est de plus équipé d’une visualisation radar.
C’est à Toussus-le-Noble, terrain ouvert à la Circulation aérienne publique (CAP), que les appareils non basés ne peuvent y venir quand le contrôle ATS n’est pas assuré. Et ces jours de fermeture sont de plus en plus nombreux au fil des années. Pour ce seul mois de février 2024, un Notam annonce ainsi 10 jours d’ATS non assurés sur les seulement 28 jours que compte ce mois !
C’est aussi à Toussus, terrain historique – avec les premiers sauts de puce de Robert Esnault-Pelterie sur ses REP en 1907 non loin du Trou salé et sa ferme encore en place puis, à partir de 1909, l’implantation des frères Farman sans parler du premier vol commercial Paris-Londre depuis ce terrain en 1919, de la première école de pilotage sans visibilité – qu’une nouvelle mode des communicants politiques consiste à le rebaptiser progressivement Paris-Saclay-Versailles. Vous vous voyez appeler la tour par un « Paris-Saclay-Versailles… » encombrant un peu plus la fréquence ?
C’est encore à Toussus-le-Noble que la plate-forme peut être fermée plusieurs jours d’affilée pour cause de compétition internationale de golf en bout de piste… Ne parlons pas des Jeux olympiques l’année passée. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir le parc de Versailles à proximité… C’est encore à Toussus-le-Noble que l’on note une « innovation » en matière de fiche VAC avec depuis plusieurs mois, dans la zone LF R25A et dans le circuit de piste, une vitesse maximale autorisée selon la plus grande valeur entre 100 Kt et 1,45.Vs – obligation qui peut largement diminuer les marges de sécurité pour certains avions chargés au mètre carré et dont la vitesse en finale, train et volets sortis, peut être de 90 Kt. Et bien il faudra faire toutes les évolutions au préalable en lisse avec une marge de 10 Kt seulement… Évidemment, la fiche VAC indique « hors cas de sécurité immédiate » à la définition bien floue mais suffisante pour dégager toute responsabilité administrative…
La dernière contrainte en date provient du côté de l’avitaillement. Auparavant, un numéro de téléphone permettait d’obtenir l’essencier, le service n’étant assuré que par camion, avec un temps d’attente plus ou moins long selon la demande mais généralement dans l’heure. Désormais, ce n’est plus possible. Il faut consulter une application numérique et enregistrer un créneau via booking.myrezapp.
Ce 2 février à 18h00, heure à laquelle ces lignes sont rédigées, si vous voulez avitailler le lundi 3 février, il vous reste deux créneaux : 9h40 ou 20h20 ! Bon, vous repoussez votre vol au mardi 4 février, vos possibilités augmentent puisque vous pouvez avitailler soit à 7h30 soit à 20h00, 20h10 ou 20h20 – à raison de 10 minutes par créneau avec un camion qui doit aller de la partie ouest à la partie est du terrain et réaliser un avitaillement, on rêve… Bon, passons au mercredi 5 février sans certitude sur la météo. Les créneaux encore disponibles sont 7h30, 7h40, 16h20 et 16h30. Le jeudi 6 février, c’est un peu mieux avec 13 créneaux, les premiers entre 7h10 et 7h40, les suivants seulement à partir de 16h30. Le vendredi 7 février, si vous ratez le créneau de 7h30, pas de chance, le suivant n’est qu’à 15h10. Il faut atteindre l’agenda du lundi 10 pour enfin bénéficier de créneaux encore disponibles sur l’ensemble de la journée. Donc, pour réserver son carburant à Toussus, il faut s’y prendre au moins 10 jours à l’avance. Ahurissant, non ?
De plus, cette contrainte étant en place, il faut encore l’accentuer. Depuis peu, la procédure impose désormais aux camions de ravitaillement (Avgas 100LL et Jet A1) d’être autorisés avant tout déplacement sur la plate-forme par le contrôleur sol… Cela semble logique pour tout déplacement au sol mais là où auparavant le service était pragmatique avec des chauffeurs conscients des mouvements d’appareils au roulage, désormais les chauffeurs des camions, pour certains intérimaires, n’ont pas vraiment été formés à la phraséologie aéronautique. Rajoutez à l’équation que le week-end, un seul contrôleur assure la fréquence sol et tour et vous pouvez imaginer les sketches possibles sur la fréquence. Ah ! au fait, si du retard est pris dans le planning, c’est pas grave, le camion fait l’impasse sur le créneau à venir pour passer au suivant – 10 minutes, cela ne laisse aucune marge. Si vous attendez près de votre avion et que votre créneau vient de disparaitre, c’est pas grave, revenez demain ou la semaine prochaine. C’est le service ADP, « numéro un mondial de la gestion aéroportuaire en nombre de passagers ».
Bienvenu chez les fous… Le pays où la main droite va vous dire qu’un bilan carburant est fondamental, qu’en cas de doute, il est préférable de passer à la pompe mais au même moment, la main gauche vous empêche de réaliser un avitaillement selon des conditions normales. Un pays où le Plan de sécurité de l’État (PSE) décliné au niveau de l’aviation générale a pour objectif d’améliorer la sécurité des vols mais où dans les faits, au-delà du discours type novlangue où le sens des mots est inversé (« la guerre, c’est la paix », « l’esclavage, c’est la liberté »), tout est fait à l’inverse des paroles… Et où en cas d’accident, le lampiste de service sera évidemment le dernier maillon de la chaîne que l’on aura acculé à trop se rapprocher des limites acceptables.
Faut-il préciser aussi qu’aucun Notam n’informe les usagers extérieurs de cette obligation de passer par cette application en ligne – consultation ce jour sur Sofia-Briefing, l’outil de « référence ». Faut-il préciser que la fiche VAC annonce toujours le numéro de téléphone pour demander l’avitaillement (le 01 39 56 31 26 vous répond encore pour vous dire de regarder le Notam qui n’existe pas ou de faire une recherche sur Google !) puisque la VAC disponible sur le site du SIA date du 2 novembre 2023 et que rien n’est mentionné à l’item Avitaillement pour atteindre l’application. Si vous venez chercher un appareil basé à l’extérieur mais entretenu dans un atelier à Toussus, n’espérez pas refaire les pleins avant de décoller si vous n’avez pas anticipé un créneau. Non, le prochain est peut-être disponible que le lendemain voire le surlendemain…
En effet, avec un tel système mis en place pour entraver l’activité des ateliers, des clubs, des écoles et des propriétaires privés, certains réservent un créneau plusieurs jours à l’avance. Et une telle situation peut ainsi mener à des bilans carburant « tendus », poussant à aller chercher de l’essence ailleurs pour pouvoir effectuer son vol, réaliser un vol d’instruction, ou réaliser un vol de contrôle en sortie d’atelier.
Avec des contraintes supplémentaires comme, pour les basés en l’absence des services ATS et donc en l’absence aussi d’appareils non basés, les exercices particuliers sont interdits ainsi que les vols locaux de moins de 20 mn, il faut ajouter, cette fois en présence des services ATS et du lundi au vendredi hors jours fériés, la limitation à 4 aéronefs simultanés en entraînement en tour de piste. On comprend que clubs et écoles aillent réaliser des tours de piste ailleurs, à Étampes par exemple, terrain le plus proche et permettant au passage d’avitailler par simple automate, dont ne dispose pas Toussus…
Et ainsi, si un « problème » est supprimé à Toussus en dégradant l’activité, c’est pour en créer un nouveau à Étampes, terrain qui comptait, il y a encore quelques années, une tour de contrôle, avec Atis, fréquence sol et vol assurés les week-ends, sans compter l’arrivée d’une RMZ juste quelques mois avant… la fermeture des services ATS, même pas remplacés par la présence d’un AFIS. Et il faut préciser que les circuits de piste à Étampes sont également limités à 4 aéronefs simultanés dans le circuit, hormis ceux faisant un complet – il ne manquerait plus que des avions à destination du terrain doivent attendre une place dans le circuit pour venir s’y poser !
Étampes est encore un des rares terrains du sud et de l’ouest parisien où des circuits basse hauteur restent possibles en utilisant la piste en herbe – quand elle n’est pas fermée des semaines d’affilée pour ne pas parler en mois – une pratique désormais interdite sur de plus en plus d’aérodromes. Il faut cependant noter que les exercices particuliers (PTE, PTU, basse hauteur) sont réservés aux aéronefs basés les week-ends et jours fériés. Et si la piste en herbe est fermée, les exercices particuliers sont possibles sur la piste revêtue « sous réserve de 2 avions maximum en tour de piste et accord préalable entre commandants de bord ». Il n’est pas encore précisé – mais tout reste possible… – qu’il faudra de plus, peut-être à l’avenir, choisir un jour pair et/ou seulement entre 14h11 et 16h23…
Bref, il faut assurer la formation d’élèves, contrôler et proroger les pilotes brevetés, participer au perfectionnement pour améliorer la sécurité des vols mais là encore, en gérant des contraintes de plus en plus nombreuses, dont la disparition progressive des services ATS – d’autres tours seraient ainsi sur la sellette à l’avenir pour l’ouest parisien… La DSNA répondra sans doute qu’elle n’a plus les moyens financiers et donc humains pour rendre le service assuré auparavant. La preuve, elle n’a même pas les moyens au printemps 2025 pour organiser – tous les 2 ans – ses réunions « d’échange » avec les usagers dans les régions, pourtant programmées depuis des mois. C’est vous dire l’état de décrépitude avancé du système ! ♦♦♦