40 années de leader de patrouille jusqu’aux L39 de la Breitling Jet Team.
En décembre dernier, une page s’est définitivement tournée pour Jacques Bothelin par la vente de la société Apache Aviation et sa flotte d’avions au groupe de défense Babcock.
Ceci mettait fin à plusieurs décennies d’activité liée à une patrouille aéronautique. D’où la volonté de jeter de nombreux souvenirs dans un ouvrage retraçant cette aventure technique et humaine, le parcours d’un enfant au rêve contrarié de devenir pilote de chasse…
Avec une bonne pratique de la compétition en voltige, les débuts se sont faits à coups de Cap-10B loués à des clubs pour quelques présentations ponctuelles avant de passer à la vitesse supérieure en arrivant à conjuguer au même moment les attentes d’un distributeur d’alcools (Martini) et un constructeur d’avions (Siai-Marchetti) pour réaliser une patrouille à trois SF-260. Le « modèle économique » fonctionnant bien pour la promotion de la marque, le stade suivant est l’arrivée de Pilatus PC-7 dont le constructeur suisse appartenant à un groupe de défense souhaite « civiliser » dans les esprits sa production.
Mais la loi Evin interdisant la promotion de l’alcool, c’est peu après la fin du contrat mais un premier rebond sera assuré avec comme sponsor, Ecco, société de travail temporaire, les Pilatus prenant la couleur verte. Puis ce sera Adecco avec la fusion de deux sociétés de travail temporaire (Ecco et Addia), les avions passant alors au rouge et le contrat pouvant être poursuivi. Il y aura ensuite une période de flottement après ce dernier contrat, en limitant effectifs et machines, avant de trouver un nouveau sponsor sous la forme d’un horloger, Breitling. C’est là que la patrouille va passer à la vitesse supérieure, avec des L39, devenant la première patrouille acrobatique civile professionnelle à évoluer sur jets. Suivront 17 années d’opérations à travers la planète comme outil de marketing. Cette histoire résumée en une quarantaine de pages dans le premier chapitre ne constitue que 10% de la pagination.
L’essentiel de l’ouvrage s’intéresse à la vie au quotidien de la Breitling Jet Team (BJT) à travers plusieurs tournées annuelles (Moyen-Orient, Asie et surtout Etats-Unis via 2 tournées d’affilée). On la suit quasiment au jour le jour, étape par étape. Si le lecteur n’échappe pas au déroulé d’une démonstration, depuis le briefing jusqu’au retour au parking sans oublier les figures
et le fameux « La fumée… Top ! » qui donne le titre à l’ouvrage, l’essentiel de ces chapitres concernant les tournées relate la vie hors public de la patrouille. Un vol de démonstration en meeting, ne durant qu’une trentaine de minutes, ne représente en effet que la pointe ultime
de l’iceberg…
Le reste est constitué de tout le fonctionnement d’une équipe pouvant compter une vingtaine de personnes, avec pilotes, mécaniciens, photographe, vidéaste, commentateur. C’est toute la préparation en amont pour préparer une tournée, avec les navigations, les autorisations de survol, la préparation des pièces détachées et toute la logistique d’étape en étape. Pour les tournées américaines, c’est ainsi un biturbopropulseur Merlin qui s’ajoute à l’équation, pour transporter des mécaniciens, ouvrir la météo et préparer l’escale à venir. C’est aussi un poids lourd avec les pièces détachées dont des réacteurs complets pour assurer la maintenance.
Le leader de la patrouille et aussi le patron d’Apache Aviation, société propriétaire des avions et en contrat avec le sponsor, devient ainsi le chef d’orchestre d’une armada où la gestion des problèmes est un processus quotidien. Ce peut être une difficulté à gérer une approche
avec un contrôle d’un aéroport international peu habitué à recevoir 8 jets à poser au break après une approche aux instruments en deux box. Ce peut être aussi un avion endommagé
par un véhicule sur le parking, nécessitant réparations et mise en place d’un « spare » ou de reconfigurer la présentation avec un avion en moins.
Ce peut être plus grave, avec le récit d’une éjection lors d’un convoyage suite à un problème moteur ou une collision aviaire sur le pare-brise du leader. Ce peut être encore des négociations difficiles avec un organisateur de manifestation aérienne à laquelle le sponsor souhaiterait voir participer sa patrouille. C’est encore et surtout des convoyages parfois réalisés par conditions marginales, avec la « lourdeur » d’une patrouille lorsqu’il s’agit d’évoluer rapidement ou de changer d’approche IFR à plusieurs reprises suite à des décisions de l’approche d’un aéroport. La charge mentale du leader peut être élevée, avec les coéquipiers l’oeil rivé sur l’avion leader, faisant totale confiance à ce dernier alors que les jauges du carburant vont peut-être entraîner un déroutement. Surtout si le soir, au téléphone, le secrétariat à Dijon prévient d’un nouveau contrôle fiscal à venir…
C’est aussi, évidemment, affronter la bureaucratie aéronautique, où dans certains pays, une étape peut durer bien plus que prévue, les passeports des pilotes remis à ces derniers dans les cockpits une fois bien brêlés et pas avant. Et il ne faut pas forcément aller chercher des pays à l’aviation « privée » peu développée pour des contraintes supplémentaires… L’arrivée de la patrouille aux Etats-Unis, au-delà des habituels contrôles pointilleux de l’immigration, sera ainsi marquée par une approche très suspicieuse des agents de la FAA, dont le cerveau n’est visiblement pas habitué à contrôler une patrouille constituée de pilotes français, volant sur un avion tchèque, le tout avec des mécaniciens estoniens et pour un sponsor suisse.
L’avion étant considéré comme « experimental » par la FAA entraînera l’impossibilité d’utiliser les réservoirs supplémentaires sous les ailes car… largables. Il ne sera pas possible non plus de survoler des zones urbanisées, imposant tout un détour au lieu d’une directe proposée par le contrôle plus pragmatique… Heureusement, un « coach » ex-US Navy et ayant un bon carnet d’adresses sous la main mettra de l’huile dans les engrenages et permettra d’évoluer dans des secteurs sensibles, comme le tour à travers New-York, Manhattan et la Statue de la Liberté.
Et la prestation ne s’arrête pas à l’issue d’un vol. Au service d’une marque, les pilotes doivent répondre aux médias, organiser des vols privés pour les clients ou les forces de vente de l’horloger, participer à l’inauguration de nouveaux magasins où le résultat se calcule en nombre de montres vendues au cours de la soirée, dont certaines atteignent les 15.000 €
À travers les lignes, on note que la vente de montres est très lucrative pour pouvoir sponsoriser une telle patrouille sur autant d’années, sachant qu’environ 90% du chiffre d’affaires de la patrouille provient du sponsor, la participation d’un organisateur de meeting restant marginale. Et Breitling n’a pas soutenu que cette patrouille de jets, sponsorisant quasiment simultanément les L39 mais aussi un Douglas DC-3, un Lockheed Super Constellation, des pilotes de voltige, une patrouille de Super Stearman et l’on doit en oublier.
Si les journées des membres de la BJT (pilotes et mécaniciens) sont donc bien remplies,
ce peut être aussi les vacances entre deux meetings espacés d’une ou deux semaines, permettant tourisme, maintenance ou un retour en France car la saison étalée sur plusieurs mois impose d’être loin des familles et des proches. C’est aussi la rencontre des pilotes d’autres patrouilles (Blue Angels, Thunderbirds, Snowbirds…), avec des échanges au sol ou en vol. Et aussi des anecdotes comme celle d’un organisateur, prévenant le leader de la patrouille en vol, que l’organisation vient se mettre en faillite et que la démonstration ne sera donc pas payée ni le carburant promis assuré…
Vivre dans le milieu de la manifestation aérienne, c’est aussi affronter parfois la réalité d’un accident mortel, vécu depuis le sol, qu’il s’agisse d’un F-18 des Blue Angels, d’un Extra 300
de la patrouille jordanienne ou d’un PC-7 de l’équipe lors d’une vrille en solo après un entraînement. Les derniers chapitres, plus courts, abordent d’autres facettes du « métier de saltimbanque » : les vols avec la Patrouille de France et un vol en Alphajet avec la PAF, une patrouille constituée de L39 et d’un A380 d’Airbus, la BJT en formation éphémère (question d’autonomie…) avec Jet Man, alias Yves Rossi. C’est aussi la philosophie utilisée pour sélectionner les pilotes de la patrouille, l’organisation des entraînements, les différences de « traitement » entre une patrouille civile et une patrouille militaire…
Tout ceci a donc pris fin récemment, alors qu’Apache Aviation, à l’apogée, comptait 8 L39 mais aussi un Beech Baron, un TBM-700 et 6 TB-30 Epsilon pour diversifier l’activité et gagner un peu plus d’autonomie vis à vis d’un mono-sponsor qui peut toujours mettre fin à un contrat. Sans oublier trois Hawker Hunter ayant servi un temps comme « plastron » au bénéfice des personnels de bâtiments de la Marine nationale lors d’attaques simulées en Méditerranée.
Au final, pour Jacques Bothelin, cette aventure de près de 40 ans aura représenté plus de 3.000 démonstrations dans 40 pays et 12.500 heures de vol accumulées sur 150 types différents. Un bon aperçu de cette carrière unique en 400 et quelques pages permet une immersion du lecteur dans le milieu du meeting aérien avec l’envers du décor… ♦♦♦
Photos © BJT
– La fumée, Top ! par J. Bothelin, Casa Editions. 434 pages (dont un cahier de photos couleurs). 26,00 €