Quelques enseignments à tirer d’un rapport d’accident…
Il y a toujours matière à réflexion à la lecture d’un rapport d’accident. Partant du principe que dans au moins 80 à 90% des cas, la cause de l’accident est due à « l’opérateur humain », peu importe le lieu de l’accident, le type d’appareil… En juillet 2022, un accident survenu à proximité de l’aéroport de North Las Vegas, la plate-forme aviation générale de la ville aux casinos, faisait la une des médias aéronautiques américains.
En dernier virage pour deux pistes 30 parallèles, avec des circuits de piste opposés, un Piper Malibu Mirage et un Cessna Skyhawk étaient entrés en collision en début de finale, à moins d’une minute du point de toucher. Bilan : 4 morts. Un premier rapport préliminaire du NTSB révélait que les deux pilotes avaient eu une faible probabilité de voir l’autre appareil du fait de leurs trajectoires respectives. Le rapport final a été diffusé récemment. En voici les principaux éléments.
À bord du Piper PA–46-350P (turbinisé) se trouvait en place gauche un pilote professionnel
(82 ans, 6.643 hdv, SEP, MEP, IR, BasicMedical avec restrictions) et en place droite une pilote privée, sa femme (76 ans, SEP, MEP, NasicMedical avec restrictions, 1.536 hdv dont 280 sur type). Ils arrivaient sur leur terrain de base en VFR à l’issue d’un vol en IFR d’environ 2h00
de durée. Alors à 7.600 ft, ils ont reçu instruction de la tour de faire une verticale et d’intégrer le circuit à mi-vent arrière pour un tour de piste main gauche pour la 30L. Au même moment, un instructeur (40 ans, SEP, MEP, IR, Classe 1, 850 hdv) et son élève (47 ans, Classe 3, 57 hdv) en Cessna 172N effectuaient des tours de piste main droite pour la 30R, ayant été autorisés à l’atterrissage à l’issue d’un circuit court.
La copilote du PA-46 a collationné l’approche par la verticale et intégration en vent arrière pour la 30L, l’appareil étant alors autorisé à l’atterrissage par le contrôleur, autorisation collationnée par la copilote. Les données ADS-B ont révélé qu’après le passage verticale, l’appareil est parti en virage en descente par la gauche pour s’aligner en 30L mais que la trajectoire a emmené le monoturbopropulseur sur la finale de la 30R, d’où la collision à environ 450 m du seuil de piste. Les deux pistes sont séparées de 700 ft (distance entre les axes).
Les conditions météorologiques étaient bonnes mais une étude du champ de vision a montré qu’il aurait été très difficile aux deux pilotes de voir et éviter l’autre appareil, suite aux angles morts sans parler de l’arrière-plan noyant les appareils dans les habitations. Le pilote du
PA-46, constamment en virage par la gauche, ne pouvait facilement localiser le Cessna, son regard étant de plus certainement focalisé sur la piste. Le NTSB a évalué à seulement 15 secondes la durée où le pilote du Piper aurait pu éventuellement apercevoir le Cessna, mais ce dernier ne mesurant qu’un 1° en azimut et altitude. Durant les 8 dernières secondes avant
la collision, le pilote du Piper ne pouvait pas voir le Cessna.
Pour le Cessna, le Piper était sur son arrière gauche, légèrement plus bas que l’horizon, se détachant donc mal sur un arrière-plan complexe, surtout avec un équipage en instruction, focalisé sur la piste devant soi pour tenir les paramètres axe-plan-vitesse. Le NTSB a calculé à 39 secondes la durée où le Piper aurait pu être visible depuis le Cessna. La position du soleil n’était pas gênante pour les deux équipages.
Ces images reconstituées par le NTSB révèlent le champ visuel des deux pilotes à seulement 2 secondes avant l’impact. L’image supérieure est vue depuis la place gauche du Piper,
le Cessna étant caché par un montant de verrière. L’image inférieure est vue depuis le siège gauche du Cessna, le Piper étant difficilement détectable en bas à gauche.
Le Piper était équipé d’un Cockpit Display of Traffic Information (CSTI), équipement avertissant de la présence proche d’autres avions. Ce n’était pas le cas du Cessna. S’il avait été équipé, selon le NTSB, l’équipage du Cessna aurait reçu une alerte environ 30 secondes avant la collision. Le pilote du Piper a peut-être été averti d’une alarme – 22 secondes avant la collision selon les calculs du NTSB – mais sans la considérer comme critique car alarme souvent rencontrée en tours de piste. Le NTSB indique qu’il est peu probable que le pilote du Piper se soit trompé de piste puisqu’habitué de cet aéroport mais il était peu familier avec la trajectoire donnée par le contrôle, une relativement nouvelle procédure mise en place par le contrôle, sur une base expérimentale depuis 1 semaine et pour une durée de 2 mois.
Peu habitué à cette procédure qu’il n’avait pas pratiquée auparavant, le pilote du Piper a mal évalué sa trajectoire, en descente et en virage, débordant en fin de virage sur la finale de la 30R. Le NTSB se base pour cela sur l’excédent de vitesse durant la manoeuvre, allant de 21 à 38 Kt trop rapides par rapport aux 85 Kt d’une finale standard. D’où une trajectoire serrée, en virage continu (avec un maximum de 40° d’inclinaison), et trop rapide. À 85 Kt, une inclinaison de 20° aurait permis de s’aligner sur la 30L. À 100 Kt (+15 Kt), il aurait fallu incliner à 23°.
Avec les vitesses pratiquées, près de 37° étaient nécessaires en continu.
Le vent, faible (320° pour 4 Kt au sol) n’a pas été un paramètre agravant la trajectoire sol.
Même si les deux commandants de bord et l’élève connaissaient des problèmes cardiovasculaires, l’un pouvant aussi avoir des problèmes d’audition (mais c’était la copilote qui assurait les échanges avec le contrôle) aucun syndrome médical n’a été relié à l’accident. Même si l’équipage du Piper était âgé, aucune preuve d’un trouble cognitif n’a été relevé, le collationnement des messages ayant été correct.
Le NTSB précise que le contrôleur n’a pas fait d’information de trafic aux deux appareils durant toute leur approche, même si le Piper est passé 500 ft au-dessus du Cessna alors qu’il descendait vers la verticale de l’aéroport. Sa justification de n’être pas intervenu vient que bien que les deux avions soient sur des étapes de base face à face, il pensait que le Cessna serait posé bien avant la finale du Piper, ce dernier pouvant donc voir le 172N en finale à droite. Mais il n’a pas pris en compte la différence de performance entre les deux appareils. Après les avoir autorisés à l’atterrissage, il a communiqué avec deux autres avions sans suivre les trajectoires des Piper et Cessna en approche sur les 30L et 30R. Quand il a regardé à nouveau les finales en court, il a compris que les positions n’étaient pas bonnes mais la collision est intervenue avant de pouvoir faire un message radio.
Le NTSB pointe du doigt ce manque de jugement, en précisant que les mois précédant l’accident, une série d’incidents avait été enregistrée allant de pilotes ayant fait des erreurs d’alignement, ayant atterri ou décollé depuis la « mauvaise » piste. Des événements dits « précurseurs » à prendre en compte… Il s’est avéré que la dotation en personnel était déficiente, avec de nombreuses heures supplémentaires, jusqu’à atteindre 400 à 500 heures supplémentaires à l’année. Cette surcharge n’a pas permis de juger de la qualité du contrôle
ni de parfaire l’entraînement. Le personnel était fatigué, avec parfois des temps réduits de récupération entre deux quarts.
Que peut-on rajouter au rapport final du NTSB ?
– Le « voir et être vu » connaît ses limites et n’est pas suffisant. Même avec un équipement électronique avertissant de la présence d’autres aéronefs à proximité, il n’est pas toujours facile de les localiser visuellement ensuite.
– Les probabilités d’une collision en vol sont fortes lors d’une intégration en tour de piste et durant ce dernier, surtout s’il y a deux pistes et des circuits opposés. Un avion à aile haute et un avion à aile basse rajoutent un paramètre supplémentaire…
– Attention aux trajectoires, au départ comme à l’arrivée, quand les deux pistes parallèles sont utilisées, surtout si elles sont peu espacées. Même si la fiche VAC indique « Interdiction d’utiliser les deux pistes simultanément », des différences de performances entre deux appareils peuvent amener à des situations critiques.
– Dans le cas de circuits de piste opposés, il faut visualiser le ou les trafics sur le circuit opposé pour éviter des face-à-face en étape de base, quitte à rallonger la vent arrière pour espacement. Si l’autre circuit est pour les planeurs, l’étape de base d’un planeur est généralement plus proche du seuil de piste que pour un avion.
– Un terrain contrôlé n’empêche pas une collision en vol. Si le contrôleur est là pour assister les pilotes, si l’on tient à sa vie, il ne faut pas déléguer la sécurité… Assurer ses « arrières » peut-être un plus (check six !).
– Sur terrain non contrôlé, la radio doit permettre d’obtenir une bonne conscience de la situation, avec une bonne image mentale de la position des autres appareils. D’où la nécessité d’utiliser une phraséologie précise. « Vent arrière » n’est pas précis. « Début de vent arrière », « Milieu de vent arrière » (ou travers tour) et « Fin de vent arrière » le sont beaucoup plus.
Ne pas hésiter à lever le doute en demandant la position d’un appareil.
– Les équipements électroniques participant à l’anti-abordage sont une aide supplémentaire mais ils ne ramènent pas le risque à zéro… Voire, dans certains cas, ils peuvent rajouter une distraction supplémentaire. S’il y a trop d’alertes en tour de piste, ils ne servent plus à rien.
– La vitesse est un paramètre important dans la détermination d’une trajectoire en virage.
En formation, les leçons portant sur les « relations dans le virage » et les « effets du vent traversier sur les trajectoires sol » sont là pour le rappeler. Le pilotage de l’inclinaison en dernier virage doit servir à bien s’aligner, en déterminant à chaque instant du virage si la « projection » de la trajectoire à venir est souhaitable ou non.
– Il y a des angles morts, inévitables sur tout appareil, et il ne faut donc pas hésiter à faire des évolutions en roulis pour les modifier temporairement et observer des secteurs qui seraient autrement cachés à la vue. ♦♦♦
Illustrations © NTSB
Pour aller plus loin, à lire sur le sujet sur aeroVFR :
– Angles morts, tache aveugle et collision, avec notamment la photo d’un Swearingen Merlin découpé en tranches par un SR22 « overshootant » l’axe de sa piste parallèle… de nuit.
– Les limites du « voir et être vu », avec notamment la réaction optimale en cas de face-à-face à éviter d’urgence…
Lien vers le rapport final du NTSB
MalibuVsSkyhawk