Une alarme sur une CHT ne doit pas être négligée…
L’équipage prend place à bord du Cessna 401B dont c’est le premier vol après stockage de plus de… 12 ans suivis d’une période de 8 mois de remise en état pour un nouveau propriétaire. L’objectif de ce vol local est de vérifier le bon fonctionnement général du bimoteur 2 fois
300 ch. On trouve à bord le pilote, un passager-pilote en place droite et un mécanicien en place arrière.
Juste après décollage, la température du cylindre n°4 du Continental gauche dépasse les 460°F ce qui provoque « l’affichage de cette température en rouge sur l’écran du calculateur moteur et déclenche l’allumage d’un voyant d’alerte sur le tableau de bord ». Le mécanicien estime qu’il s’agit « probablement d’une fausse alerte due à un défaut de la sonde de température et le verbalise ». Pilote et passager en place avant effectuent cependant les actions visant à réduire la température, en diminuant la puissance et en passant en palier à 1.500 ft. La température du cylindre diminue et le voyant s’éteint. S’appuyant sur l’avis exprimé par le mécanicien, le commandant de bord décide de poursuivre le vol…
Dix minutes après le décollage, sur la branche de retour, le voyant d’alerte s’allume à nouveau. Les trois membres d’équipage constatent un départ de feu au niveau du moteur gauche.
Le pilote, assisté du passager avant, « coupe l’arrivée du carburant du moteur gauche, sans effet notable sur l’incendie, puis actionne la commande de passage en drapeau de l’hélice », classique procédure de gestion de panne sur bimoteur. Le passager déclare un Mayday sur
la fréquence de l’aérodrome et le pilote vise une directe en piste 25, au plus court.
N’étant pas certain de rejoindre la piste en toute sécurité, le pilote décide peu après d’effectuer un atterrissage d’urgence dans un champ labouré, à 900 m du seuil de piste.
L’atterrissage se déroule sans particularité, trains rentrés et volets sortis. Dès l’arrêt de l’avion, l’équipage évacue sans difficulté. Les pompiers alertés par la tour de contrôle interviennent rapidement et l’incendie du moteur gauche est circonscrit.
Aucun programme de vérification particulier n’était prévu, simplement un vol local pour vérifier le comportement de l’avion et son bon fonctionnement. Le pilote (CPL, 650 hdv dont 183
sur bimoteur) a effectué « un briefing Sécurité renforcé » avant le vol, avec notamment
les procédures d’évacuation et la présence d’extincteurs à bord. L’incendie semblant particulièrement violent, pas certain de pouvoir maintenir l’avion en vol jusqu’à la piste, il a décidé de se poser en urgence dans un champ. Il rajoute que l’hélice gauche n’était pas passée en drapeau, malgré l’action sur la commande, ce qui dégradait la finesse de l’avion.
Le passager (ATPL, 4.450 hdv, sans expérience récente sur Cessna 401) l’accompagnait.
Les responsables de l’atelier avaient recommandé un équipage de pilotes professionnels
au propriétaire, ce dernier étant qualifié multimoteur mais sans expérience sur le type.
Le mécanicien n’avait aucun rôle particulier à bord. C’était le chef d’atelier de la société ayant réalisé les opérations de remise en état du bimoteur.
Propriété jusqu’en février 2020 de l’atelier, l’appareil non utilisé depuis 2006 soit 14 ans, n’avait « pas fait l’objet de mesures de préservation particulières lors de cette période et a été simplement stocké dans un hangar de l’atelier ». Les motoristes ont « développé des procédures spécifiques pour préserver les moteurs lors d’une longue période d’inutilisation ». Pour Continental, les manuels indiquent « un changement de l’huile, le remplacement des bougies par des bouchons déshydratants, l’insertion de sachets absorbeurs d’humidité dans l’échappement et l’application d’une huile de préservation dans les cylindres. Des inspections régulières sont préconisées ainsi que le renouvellement du matériel déshydratant et l’application de l’huile de préservation tous les 90 jours »…
L’avion a été acquis début 2020 par le nouveau propriétaire, à prix faible auquel s’ajoutait
un devis de remise en service comprenant 300 heures de main d’oeuvre. Le moteur gauche était sorti d’usine en 2000 avant d’être installé sur l’avion. En 2020, les documents montrent un temps total de fonctionnement de 408 heures pour ce Continental. Avion immatriculé aux Etats-Unis, la FAR Part 43 impose comme seule obligation d’entretien la « réalisation d’une visite 100 h ou annuelle pour le renouvellement du certificat de navigabilité ». Ceci doit contenir les tâches simples d’entretien (maintenance « on condition »), la réalisation des CN applicables et les exigences définies dans le manuel de maintenance du constructeur.
Si la visite 100 heures ou annuelle peut être réalisée par un mécanicien disposant de la licence Part 65, avec l’aide possible de mécaniciens ne disposant pas de la Part 65, le premier endosse la responsabilité des actions menées. L’APRS ne peut être signée par un mécanicien n’ayant que la Part 65. Il doit avoir obtenu une autorisation d’inspection (IA) de la part de la FAA. En France, une dizaine de mécaniciens disposent de cette IA.
Pour les moteurs, des butées calendaires avant révision générale (RG) sont établies par le motoriste mais la « réglementation américaine ne conditionne pas la validité du certificat de navigabilité au respect de ces butées ». La durée maximale préconisée par Continental entre deux révisions générales (RG) est de 12 ans, incluant d’éventuelles périodes de stockage ou d’inactivité. En 2020, la butée calendaire est donc échue depuis 8 ans. Le BEA rappelle qu’il est « communément admis que la maintenance préventive la plus efficace pour un aéronef devant subir une importante période d’inactivité et de le faire voler au minimum un fois par mois. Il convient de noter que le fait de simplement faire tourner un moteur au sol ne constitue pas une mesure alternative satisfaisante et peut en réalité s’avérer néfaste pour le moteur » précise le rapport.
La remise en état de l’avion a été réalisée sous la supervision d’un inspecteur IA français, engagé par le propriétaire, sur proposition de l’atelier. Il lui incombait la responsabilité
de déterminer les opérations de maintenance obligatoires pour renouveler le certificat
de navigabilité et s’assurer de la bonne réalisation des opérations. Avant la vente, les responsables de l’atelier déclarent qu’une endoscopie des cylindres avait été réalisée
en présence de l’inspecteur et du propriétaire, avec des « résultats satisfaisants ».
Le propriétaire déclare ne pas avoir assisté à l’endoscopie ni avoir été destinataires de photos, les responsables de l’atelier lui ayant simplement assuré que les deux moteurs étaient « sains, sans trace d’usure, endommagement ou corrosion ». Ni l’atelier, ni l’inspecteur ayant signé l’APRS n’ont pu fournir ces images au BEA. L’archivage de telles images n’est pas une obligation réglementaire.
Cette évaluation positive des moteurs ainsi que la possibilité offerte par l’atelier et validée par l’inspecteur de ne pas effectuer de révision générale des moteurs (estimation de 70.000 €
par moteur) a favorisé sa décision de réaliser l’achat. Le programme suivi par l’atelier pour la remise en état de vol est très proche de celui d’une visite de 100 h ou annuelle avec des points ajoutés relevant du maintien de navigabilité : nouvelle suite avionique (opération
validée par l’inspecteur s’appuyant sur les compétences d’électrotechnicien du… propriétaire), peinture, aménagement de la cabine.
La « réglementation américaine permet des allégements notables en matière de navigabilité par rapport au système européen ». L’approche est différente, avec « un socle minimum d’exigences applicable de façon générale ». Mais pour des situations particulières (exemple : stockage de très longue durée) des vérifications et précautions supplémentaires non mentionnées par la Réglementation US devaient être pris en compte. C’est au propriétaire,
à l’atelier et l’inspecteur de « faire preuve d’adaptabilité et de discernement vis-à-vis de ces cas singuliers pour veiller à la bonne prise en compte de la sécurité des vols face aux contraintes économiques ».
Durant les travaux de maintenance, des essais au sol des moteurs ont été réalisés entre
août et octobre 2020. Les données enregistrées n’ont pas été partagées avec l’atelier ou l’inspecteur. La nature et les conditions de ces essais n’ont pu être déterminées.
Lors de l’atterrissage forcé, l’appareil a subi peu de dommages. Aucune des hélices n’était en drapeau. Le compartiment arrière de la nacelle moteur gauche était fortement endommagé par l’incendie. Les longerons de support du moteur étaient presque totalement détruits. Les examens pratiqués sur le moteur trois semaines après l’accident ont montré des « traces d’échauffement significatif », notamment aux cylindres n°2 et 4. Les chemises de l’ensemble des cylindres de ce moteur ont révélé de fortes marques de corrosion et de frottement.
Vue l’ampleur de cette corrosion et des marques de passage du piston, « il est peu probable que cette corrosion soit apparue postérieurement à l’accident » souligne le BEA. L’enquête n’a pas permis de trouver le point de départ de l’incendie ni son cheminement progressif, pas plus que la cause du non-passage en drapeau de l’hélice gauche.
L’analyse des calculateurs enregistrant les paramètres des moteurs a montré que certains essais au sol avaient révélé une tendance pour la température CHT des cylindres 2 et 4 du moteur gauche « d’excéder significativement » celle des autres cylindres des moteurs gauche et droit, sans atteindre la butée constructeur (460°F). Les conditions de réalisation des essais étant inconnues, il n’est cependant pas possible de « conclure de façon certaine à l’existence d’un dysfonctionnement du moteur antérieur au vol de l’accident ». L’atelier indique avoir informé le propriétaire de ces essais mais sans avoir été autorisé à exploiter les données.
Le propriétaire déclare ne pas avoir reçu de demande de l’atelier en ce sens…
Les données le jour de l’accident montrent une montée rapide de la CHT du cylindre 4 dès la mise en route (536°F soit au-delà de la limite maximale définie par le motoriste) et, dans une moindre mesure, du cylindre 2. La température est ensuite redescendue avant de remonter quelques minutes plus tard au-dessus du seuil critique. Une alarme lors d’un premier vol d’un appareil après un chantier majeur ne doit pas être considérée comme une « fausse alarme » mais traitée comme étant bien réelle… jusqu’à preuve du contraire. ♦♦♦
Documents © BEA
Rapport du BEA en téléchargement via ce lien
Cessna401