Dans le sillage d’un rapport d’accident du BEA.
Le touché-décollé est une pratique très répandue durant la formation d’un pilote. Et pour cause, c’est une manoeuvre très efficace pour accumuler en un temps donné le maximum d’atterrissages suivis de décollages, histoire d’augmenter la capacité d’un élève à revenir de façon satisfaisante sur le plancher des vaches. Pédagogiquement, c’est efficace. C’est aussi
le cas économiquement car rien ne sert après atterrissage de freiner, de sortir de piste et de rouler si c’est pour rejoindre à nouveau le seuil de piste en service. Si en plus, sur certains terrains, vous êtes numéros 3 ou 4 au point d’attente avec des appareils en base et en finale,
le rapport efficacité/coût de la séance sera totalement inapproprié.
Si l’on est puriste, le touché-décollé n’existe pas en tant qu’opération aérienne puisqu’en situation normale (hors formation), une finale à l’issue d’un vol local ou de navigation s’achève soit par un atterrissage complet soit par une approche interrompue (remise de gaz).
Le touché-décollé reste donc essentiellement utilisé en instruction mais c’est aussi un bon moyen, après une interruption d’activité, après la période hivernale par exemple, de reprendre ses marques, de retrouver ses réflexes et de conforter des gestuelles parfois un peu rouillées qui peuvent de plus varier d’un appareil à l’autre selon l’ergonomie du cockpit : volets à commande manuelle ou électriques, volets électriques à pré-affichage ou pas, position des commandes, etc.
En dehors des capacités à naviguer qui restent spécifiques (c’est plus de la gestion de vol que du pilotage pur), l’évaluation du niveau de pilotage d’un pilote peut ainsi être assurée en grande partie lors d’une poignée de tours de pistes car tout le pilotage est concentré dans ce circuit d’aérodrome : respect de la vitesse de montée, captation de l’altitude du tour de piste, gestion de la trajectoire lors du changement de configuration, prise en compte du vent sur les différents segments du tour de piste, pilotage du dernier virage pour intercepter l’axe de la piste, tenue du triumvirat axe-plan-vitesse en finale, qualité de l’arrondi, sans oublier la phraséologie et la prise en compte de la sécurité extérieure… Tout y est !
D’où l’intérêt du touché-décollé comme pratique utile pour atteindre un certain niveau (en formation) puis pour maintenir dans le temps un niveau d’expérience récente pour tout ce qui concerne les phases critiques que constituent le décollage et l’atterrissage. Ce n’est pas pour rien que la réglementation impose trois décollages et trois atterrissages comme commandant de bord dans les 90 jours avant de pouvoir embarquer des passagers.
Ainsi, rien n’interdit à un pilote breveté d’effectuer des touchés-décollés en solo. Si c’est après une interruption d’activité, il est reste cependant recommandé d’avoir un instructeur en place droite pour ces premiers tours de piste de reprise, assurant la fonction de « safety pilot », pouvant évaluer la disponibilité du pilote, surveiller la tenue des paramètres, souffler un conseil ici ou là. Ce sera le cas dans la plupart des aéro-clubs où le règlement intérieur impose à tout pilote un vol en double après une interruption d’activité de x mois. C’est généralement moins le cas pour des propriétaires privés évoluant sur leur propre machine…
Le touché-décollé impose d’appliquer sans retard une procédure qui au niveau « générique » reste identique sur tous les appareils (reconfiguration de la machine, application de la pleine puissance en contrant les effets moteur, élimination du réchauffage carburateur s’il a été appliqué) mais qui peut varier dans la gestuelle selon l’emplacement des commandes (manche ou volant, manette des gaz à gauche ou au centre), le type de volets (manuels, électriques), voire la compensation…
La procédure doit se faire sans la moindre hésitation. L’ordre des actions reste impératif :
1) reconfiguration de l’appareil (volets), 2) application de la pleine puissance. 3) réchauffage-carburateur à annuler si appliqué. La procédure doit donc être bien connue et mémorisée. D’où l’intérêt de la pratiquer et de la répéter au sol, appareil à l’arrêt – cela ne coûte rien !
La gestuelle doit en effet devenir un réflexe, avec des actions à entreprendre dès les trois roues de l’appareil au sol. Ce peut être un changement de main pour aller chercher la commande des volets entre les deux sièges si l’appareil se pilote au manche avec les gaz à gauche. Ce ne sera pas le cas si le pilotage se fait de la main gauche, la droite pouvant alors quitter la manette des gaz centrale pour assurer la reconfiguration de la machine.
Avec des pistes faisant 700 à 800 mètres, avec la puissance toute relative de nos avions légers, il n’y a rien de trop pour réaliser rapidement mais sans précipitation la procédure de touché-décollé. 300 à 400 m peuvent être des distances comparables pour des ULM 3-axes. En dessous de ces valeurs « conservatrices » par sécurité, un touché-décollé reste possible, fonction des performances (comprendre la puissance disponible pour réaccélérer l’appareil) mais il faut alors bien connaître sa machine et toucher le sol en entrée de bande.
En formation, les premiers touchés-décollés d’un élève constituent une séance dense, où des actions doivent être réalisées au bon moment et dans le bon ordre, tout en gérant la trajectoire de l’appareil, le tout sous la pression temporelle se traduisant par une longueur
de piste qui diminue régulièrement dans le pare-brise, pouvant alors amener du stress,
des actions intempestives, désordonnées ou inappropriées. D’où la nécessité d’étaler la progression sur plusieurs séances, l’instructeur au départ assurant la reconfiguration de l’appareil tandis que l’élève gère la tenue d’axe avant de remettre les gaz après « feu vert »
de l’instructeur.
Mais rapidement, l’élève devra être capable d’effectuer seul la totalité de la procédure. Il est aussi possible de rajouter un paramètre de prise de décision dans le schéma de réflexion avec, par exemple, un atterrissage complet décidé par l’élève si la pleine puissance n’a pas encore été remise travers tel repère… la longueur de piste restant devant soi devenant alors « limitative ».
Si l’on en croit le Guide du FI de l’ENAC, une autre option serait le « stop-and-go » : « Si la piste est assez longue et avec l’accord du contrôle, faites un arrêt complet et demandez à l’élève de reconfigurer son avion pour un nouveau décollage ». À part à Saint-Yan et à Grenoble-Alpes-Isère, cela semble bien utopique ailleurs, à la fois en termes de longueur de piste disponible et/ou de coopération du contrôle avec des appareils arrivant derrière vous en finale…
Le touché-décollé est une pratique utile mais comme la remise
de gaz, elle doit être connue, mémorisée et parfaitement appliquée avec une pression temporelle qui peut jouer les trouble-fêtes. Dans le cadre de la formation initiale, c’est une aide irremplaçable et on ne voit pas pourquoi il ne serait pas possible de lâcher ensuite un élève en tours de piste solo avec des touchés-décollés après lui en avoir imposé une certaine quantité, le tout pour lui permettre de gagner en confiance dans ce qu’il sait faire, le tout sous supervision, VHF en main. Il ne serait en effet pas logique d’imposer que des atterrissages complets avec retour au point fixe, procédure rarement pratiquée auparavant en formation et donc source d’erreurs…
La mise en ligne récente d’un rapport du BEA (en pièce jointe en bas de page), traitant d’un accident suite à un touché-décollé en solo d’un pilote breveté, confirme qu’une « gestion inadéquate des actions de remise en puissance » peut « contribuer à une sortie latérale de piste » d’un appareil. Si le pilote remet les gaz en premier, puis s’occupe ensuite de reconfigurer l’appareil avec son regard pouvant chercher à localiser des commandes, l’appareil est alors en pleine réaccélération, avec la prépondérance des effets moteurs. Il vient ainsi de s’ajouter des difficultés supplémentaires et la moindre relâche de son attention ne va pas permettre de conserver l’axe de la piste, surtout s’il est timoré au niveau de l’axe de lacet…
Dans le cas concerné, un effet supplémentaire a pu provenir d’une composante de vent de travers, avec ou sans rafale. En conclusion, dans les enseignements de sécurité, le BEA précise que « la réalisation d’un posé-décollé ou « touch and go » (Ndlr : pour Monsieur Allgood, la traduction française est « touché-décollé ») en dehors d’une situation d’instruction peut généralement être banalisée par les pilotes, sans qu’ils aient reçu au préalable d’informations ou de consignes de la part de leurs instructeurs ». Ou plutôt, les ont oubliées
au fil du temps… d’où l’intérêt de pratiquer quelques touchés-décollés lors de l’heure de prorogation pour réactiver la mémoire. Encore plus si le vent est de travers !
Par ailleurs, « une approche de gestion des risques de type Threat and Error Management (TEM), prenant en compte notamment les conditions extérieures (aérologie, longueur de piste, revêtement et état de la piste, etc.) et celles propres au pilote (expérience totale, expérience récente, connaissance de l’aérodrome, forme et état d’esprit, etc.) peut être une bonne pratique pour la décision de réaliser ou non un toucher en dehors de l’instruction » précise
le BEA.
Assurément, surtout en solo, le touché-décollé, n’est pas un exercice anodin ! ♦♦♦
Photos © F. Besse / aeroVFR.com
Lien vers le rapport du BEA ci-dessous
DR400Toucher