Sur les traces d’un dirigeable rigide de la Marine disparu il y a un siècle…
C’est en partant sur les traces de son grand-père, disparu lors du dernier vol du dirigeable Dixmude, que l’auteur a retracé l’histoire de ce géant des airs. L’enquête a mené à la publication d’un Cahier de l’Association pour la recherche de documentation sur l’histoire de l’Aéronautique navale (ARDHAN). Les premiers chapitres redonnent le contexte avec l’histoire des plus légers que l’air, à l’air chaud et au gaz, puis la conception des premiers dirigeables souples avant que des versions rigides ne voient le jour avant la Première Guerre mondiale.
Si plusieurs pays se sont lancés dans l’aventure technologique, l’Allemagne est en tête avec la société Zeppelin. Durant la Grande Guerre, les dirigeables vont être utilisés comme appareils de reconnaissance et de bombardement, de jour et de nuit, protégés par leur altitude de survol mais l’amélioration rapide des avions de chasse va mener à leur extinction comme bombardier. Les armées abandonnent ce nouveau vecteur tandis que les différentes Marines le récupèrent pour la surveillance des côtes et la lutte anti-sous-marine.
Au Traité de Versailles, ces dirigeables ne sont pas listés dans les matériels à récupérer avant que des stratèges militaires décident de se répartir au niveau des Alliés les quelques dirigeables rigides récupérés outre-Rhin. C’est ainsi que la France se retrouve propriétaire de deux Zeppelin, le Dixmude et le Méditerranée. Le premier est le dernier de la production des Zeppelin fin 1918 avec la désignation L72, encore non livré à l’armée allemande.
Si une politique a déjà été lancée en France pour développer cette branche aéronautique, elle a du retard pour mettre en place hangars adaptés et usines à hydrogène. Ainsi, piloté par un équipage allemand sous surveillance, le Dixmude en provenance d’Allemagne doit passer en 1920 par Maubeuge et attendre un mois pour rejoindre les nouveaux hangars de Cuers tout juste achevés. Tout ceci a reposé en grande partie sur la volonté, le charisme et l’opiniâtreté de Jean du Plessis de Grenédan, lieutenant de vaisseau convaincu par le rôle que doit jouer ce type d’aérostat au sein de la Marine.
Il faudra trois ans pour revoir voler le Dixmude en 1923, avec des luttes à différents niveaux, entre les pour les dirigeables rigides et les contre, dans la Marine comme à l’Assemblée nationale. Il faut des montants financiers importants pour entretenir ce genre d’engin, dont les ballonnets de gaz à renouveler exigent l’abattage de milliers de boeufs… La production d’hydrogène coûte cher également. Pour être opérationnel, il faut plusieurs bases éparpillées sur le territoire de l’empire français, avec hangars, usines de production d’hydrogène. Et les restrictions budgétaires d’après-conflit sont bien présentes…
Finalement, après moult luttes et malgré des campagnes de presse instrumentalisant le dossier, le feu vert est acquis. Plusieurs vols vont être entrepris, de durée croissante jusqu’à atteindre plusieurs jours et décrocher un record mondial (118 heures et 7.200 km parcourus à 75 km/h de moyenne). Il s’agit progressivement d’appréhender le mode de fonctionnement de ce type d’engin, les Allemands n’ayant rien concédé sur le pilotage. Ce dernier n’est pas intuitif, avec des paramètres en vol liés à la température, à l’altitude, au volume du gaz (à planifier avant le décollage selon l’altitude de croisière visée) et l’assiette du dirigeable, le tout à gérer selon vol diurne ou nocturne. Oublions au passage les 250 à 300 personnes nécessaires aux opérations au sol…
Participent au pilotage des gouvernes aérodynamiques plus ou moins efficaces, des soupapes pour réguler le gaz (jusqu’à 68.000 m3), ce dernier pouvant également fuir et incommoder l’équipage, et des réservoirs d’eau dont certains largables. Il faut rajouter encore la gestion de 6 moteurs de 240 ch consommant environ 4.000 litres de carburant par jour et qu’il faut parfois réparer en vol. Le total atteint les 80 tonnes dont 50 de charge utile (10 tonnes d’eau, 15.000 litres d’essence), avec 226 m de long pour 24 m de diamètre. L’équipage peut atteindre 50 personnes réparties dans la cabine du commandant, à l’avant, dans les nacelles motrices et dans la structure métallique triangulaire, servant de colonne vertébrale à la base du dirigeable, par où passent toutes les commandes (eau, essence, électricité…).
C’est au 7e vol d’essai, avec un objectif de propagande, que l’appareil va connaître une fin tragique le 21 décembre 1923. Un événement météorologique, sous la forme d’une tempête sur le bassin méditerranéen, va entraîner des choix de trajectoire pour remonter du Sahara vers la France avec déroutement via la Sicile, en l’absence de bases bien adaptées pour l’accueillir ailleurs qu’à Cuers-Pierrefeu. Le dirigeable sera rattrapé par l’épisode orageux.
La foudre portera le coup de grâce au Dixmude au large de la Sicile, menant à la mort l’ensemble de l’équipage, seul le corps de son capitaine sera retrouvé après avoir été éjecté de sa cabine lors de l’explosion.
Ceci mènera en quelques années à la fin du programme de dirigeables rigides en France tandis que d’autres pays (Allemagne et Etats-Unis) poursuivront jusqu’aux années 1930 quand plusieurs accidents mortels – le USS Akron de l’US Navy et le Zeppelin Hindenburg à Lakehurst – mèneront à la fin de cette branche de l’arbre généalogique aéronautique, même si des tentatives récentes visent une utilisation de « gros-porteur » pour le fret.
Avec un récit détaillé des 7 vols effectués par le Dixmude entre l’été et l’automne 1923, le tout agrémenté de photos d’époque, de cartes pour suivre les différents périples effectués et de schémas techniques signés Jacques Marquet pour comprendre la conception de ces « géants des airs », ce « cahier » retrace cette aventure technique et humaine remontant à un siècle
– l’ouvrage est sorti fin 2023 à l’occasion du centenaire de la disparition du Dixmude. ♦♦♦
Photo © DR
– Le dirigeable Dixmude (1920-1923), par Jean-Marie Nicolas, 87 p. ARDHAN. 20,00 €