Des projets de transition vers l’Ethanol pour les moteurs tournant à la 100LL.
On le sait, l’avenir de l’Avgas 100LL (LL pour Low Lead, faible teneur en plomb) est condamné par la présence du tétraethyle de plomb (TEL). Retenu en 1921 par la General Motors et la Standard Oil/Esso pour limiter la détonation par augmentation de l’indice d’octane dans les moteurs à explosion alors que d’autres produits moins toxiques auraient été utilisables mais moins « rentables », ce produit est prévu pour être interdit à l’importation dès 2025 en Europe, alors que le seul producteur européen se trouve outre-Manche. Aux Etats-Unis, plusieurs sociétés (GAMI, Swift) ont développé de nouveaux carburants sans plomb pour remplacer la 100LL mais en utilisant comme base des produits issus de l’énergie fossile.
De ce côté-ci de l’Atlantique, plusieurs projets visent une autre approche, en retenant un carburant « durable » sous la forme de l’E85, soit le bioéthanol, qui a pour avantage de s’affranchir à la fois du plomb et en partie du carbone. Le tout « consiste » donc à adapter les moteurs habitués à fonctionner à la 100LL pour passer à l’E85, voire à des mix de différents carburants car la « transition » ne va pas se faire à une date donnée mais sera assurément étalée sur un certain nombre de mois ou plutôt d’années… D’où la nécessité d’une flexibilité dans les possibilités d’utilisation des carburants.
L’E85 apparaît sous la désignation de superéthanol ou de bioéthanol, terminologies plus « vendeuses ». Ce carburant est apparu sur le marché automobile français en 2007, avec comme atouts un prix de vente le moins élevé des carburants et moins de pollution. Il est alors considéré comme « la seule alternative à l’essence capable d’être mise en oeuvre immédiatement sans effectuer de modifications lourdes » sur un véhicule. Présent dans plus de 3.800 stations-service soit 45% du réseau global en métropole, le carburant vendu en France est produit dans le pays à partir de blé et de betteraves à sucre, d’où la mise en avant par la filière d’un soutien à l’agriculture française qui en a besoin. Ce type de carburant est déjà utilisé dans d’autres pays, depuis des décennies (Brésil, Etats-Unis…).
L’E85 est composé d’essence SP95 (donc sans plomb mais avec du carburant d’origine fossile) et de bioéthanol. Pour ce dernier, la proportion varie entre 65 % en hiver et 85 % en été, si l’on en croit le site Bioéthanol Carburant animé par la filière, soit des planteurs de betteraves et producteurs de bioéthanol. Ce dernier est produit à partir de végétaux contenant du sucre, comme la canne à sucre et la betterave, ou de l’amidon issu du maïs et du blé – d’où une possible concurrence avec les surfaces agricoles dédiées à l’alimentation humaine.
Bénéficiant d’un indice d’octane supérieur à celui des carburants SP95 et SP98 (meilleur rendement en augmentant l’avance à l’allumage, réduction du phénomène de cliquetis),
l’E85 entraîne une surconsommation évaluée autour de 20% par rapport au SP98. Le pouvoir calorifique (densité énergétique) de l’E85 est en effet plus faible que celui des SP95/SP98. Ainsi, à volume égal dans les réservoirs, l’E85 contient moins d’énergie d’où la surconsommation. Ce point peut être en partie minoré par la possibilité pour le moteur de fonctionner avec un mélange plus pauvre et par l’admission d’un air de plus faible température suite à la forte capacité de l’E85 à absorber la chaleur lors de l’évaporation.
Au-delà du prix de vente moins élevé – point en partie artificiel car le E85 est moins taxé
que les autres carburants… – la filière met en avant une réduction des émissions de particules fines par rapport à l’essence (-90%) et une réduction des émissions de gaz à effet de serre
(-70 à -75%) par rapport à une essence sans plomb.
Si l’usage de l’E85 est réservé aux véhicules automobiles dits flex-E85 d’origine et aux « véhicules essence munis d’un boîtier de conversion E85 homologué par l’État et installé par un garagiste agréé », pour les moteurs aéronautiques, un « boîtier de conversion » s’impose également. Ce boîtier spécifique a pour objet d’injecter la bonne quantité de carburant après avoir évalué via une sonde électronique la proportion variable d’éthanol dans le carburant pour optimiser son fonctionnement au niveau admission et allumage.
Pour l’heure, deux sociétés travaillent sur ces sujets en France : Aerolight et NeoFuel. La première, notamment déjà connue pour son système d’injection EFI Unicorn pour les Rotax, propose en option à sa solution EFI Unicorn la fonction multi-fuel. Cette fonction est dès à présent disponible pour tous les Rotax 9XX, donc sur ULM, voire CNRA. Le système permet aux Rotax d’utiliser les bio-carburants dans n’importe quel mix avec d’autres carburants.
Pour cela, Jean-Baptiste Bely et Benoît Dametto se sont appuyés sur plus de « quinze ans d’expérience avec ce carburant dans le monde du sport automobile (24h00 du Mans, GT series). Un V8, V10, V12 lors d’une course de 24h00, voire une saison à plus de 600 ch, subit plus que nos Rotax et les moteurs vivent mieux à l’éthanol 100 qu’à l’essence » précise
J.-B. Bely qui précise que « l’éthanol est moins corrosif que l’essence pour tout le circuit carburant ». Ceci affirmé après plus de trois ans de tests avec de l’éthanol dans des réservoirs en plastique, composite, aluminium, sans détérioration. Si un doute existe sur un réservoir en composites, la fiche technique des résines employées est demandée au constructeur de l’appareil pour vérification chimique.
À Bourg-en-Bresse, on précise que « ce système (multi-fuel) est adaptable sur la plupart des moteurs à carburateur ou à injection sans modifier leurs caractéristiques initiales telles que la cylindrée ou le régime maximal. Il vise à offrir une solution de rétrofit efficace et fiable, réduisant ainsi l’empreinte carbone et améliorant les performances globales des moteurs ». D’où la volonté d’Aerolight de viser à l’avenir une utilisation sur appareils certifiés VLA/LSA déjà motorisés Rotax, mais sans donner d’échéance, voire aussi une adaptation aux Lycoming, Continental et ULPower, soit « tous les moteurs finalement ».
NeoFuel, récente start-up bordelaise, vise aussi ce marché, orienté Lycoming et Continental utilisés dans les aéro-clubs, avec le soutien fédéral. Cette société compte ainsi « proposer à l’avenir des kits de compatibilité des circuits carburants avec tous les types de carburants ».
La démarche comprendra successivement la mise au point d’un boîtier de déshydratation de l’éthanol, avant de remplacer carburateur ou système d’injection mécanique. Le tout devra être contrôlé par un module de commande électronique (ECU) alimenté par les capteurs de taux d’éthanol, d’oxygène, de températures pour gérer injection et allumage… Il restera à résoudre les problèmes des sièges de soupapes des moteurs les plus anciens et à atteindre les « redondances nécessaires pour répondre aux exigences de certification ».
Pour l’heure, cela reste la théorie avec des kits d’adaptation prévus à l’avenir pour Lycoming, Continental, Rotax et ayant « la capacité de mélanger les types de carburant sans limitations », soit « à la fois nos carburants actuels (Avgas 100LL), les premiers substituts sans plomb (UL91, UL94, GAMI, etc.), les carburants automobiles (SP98, SP95, E10…) jusqu’aux carburants à base d’éthanol, sans plomb ni carbone (E85) ». L’objectif est que « tous les moteurs existants (Lycoming, Continental et Rotax) bénéficieront d’un kit certifié (AML/STC de l’EASA, de la FAA ou des Autorités nationales) ».
A suivre… ♦♦♦
Photo © Air BP