Le rapport du BEA sur cet accident fortement médiatisé.
Le 4 décembre 2023, l’atterrissage forcé de nuit, à Villejuif, par un Piper PA-30 Twin Comanche après l’arrêt des deux moteurs en approche sur Toussus-le-Noble, avait particulièrement interpellé la communauté aéronautique, par l’issue heureuse après l’atterrissage miraculeux en zone urbaine sans dommages corporels pour l’équipage et aussi par la notoriété de l’instructeur à bord, dirigeant responsable d’une école de pilotage à Toussus mais aussi responsable pédagogique et responsable du SGS de l’ATO.
Sous le titre « Désamorçage du circuit carburant, extinction non commandée des moteurs, atterrissage forcé en milieu urbain de nuit » le BEA a publié ce jour le rapport d’accident
(20 pages). Il y a toujours des apprentissages à tirer d’un rapport d’accident ou d’incident, avec bien souvent l’intervention de l’opérateur humain comme cause principale. Dans ce cas précis, côté Facteurs humains, le syndrome de précipitation associé à une procédure menée de mémoire pourraient être évoqués, avec un pilote en formation mis sous pression par le contrôle aérien en raison de la limite horaire d’un créneau de vol IFR.
C’est au retour d’un Toussus-Rouen aller-retour, avec une attente au sol à Rouen réalisée moteurs tournants pour ne pas rater le créneau du retour, qu’un premier problème a été rencontré, à la suite d’un début de givrage cellule imposant la descente vers 4.000 ft. L’alarme de décrochage va se déclencher et rester active jusqu’à la fin du vol… Un point dont l’origine n’a pas été trouvée mais sans doute liée au givrage et au blocage de la palette de l’avertisseur.
Après le virage pour débuter l’approche finale sur la 25R à Toussus, alors que le pilote en formation reçoit du contrôle le message de contacter le contrôleur d’approche, l’équipage (pilote en formation, instructeur et passager à l’arrière) note des ratés du moteur droit (phénomène que le pilote en formation croit au départ être un exercice de panne simulée) puis constate l’arrêt successif des deux moteurs. L’instructeur et le pilote en formation tentent de redémarrer le moteur droit. L’instructeur reprend les commandes, le pilote en formation annonce la situation d’urgence sur la fréquence.
Avec un taux de chute de 1.400 ft/mn, 1 mn 30 secondes plus tard, l’instructeur tente d’atterrir dans la cour d’un immeuble, non éclairée. Le retour au sol est effectué en configuration lisse, hélices non passées en drapeau, en passant à proximité d’un arbre de 10 m de hauteur environ. Après un demi-tour sur lui-même, l’appareil s’immobilise contre un muret et l’équipage évacue le bimoteur. L’avion a touché le sol avec une vitesse verticale « assez faible ». L’aile gauche a touché des branches de l’arbre, l’aile droite la façade d’un immeuble, avec séparation du réservoir d’extrémité et d’une partie de la voilure.
Dans son rapport, le BEA analyse en détail le circuit carburant, le PA-30 disposant de 6 réservoirs situés dans les ailes : deux principaux (Main de 30 US gallons chacun), deux auxiliaires extérieurs (Aux de 15 US gal.) et deux auxiliaires en saumons de voilure (Tip de 15 US gal.). Le sélecteur, situé entre les deux sièges, permet de sélectionner plusieurs positions : Off, auxiliaire (Aux ou Tip), Main ou Crossfeed. Le BEA indique que certaines identifications de position sont absentes sur le sélecteur, point également constaté sur d’autres PA-30 de la flotte. L’avion n’est pas doté de voyant « bas niveau carburant » mais de jauges (une pour chaque côté) situées sur la planche de bord devant le siège droit.
Le rapport précise que « les examens effectués sur la partie terminale du circuit carburant, juste en aval des moteurs, permettent de conclure à un assèchement en carburant du mélange injecté dans les moteurs, ayant entraîné leur arrêt complet ».
En conclusion, le BEA précise qu’au « cours de la visite prévol, le pilote en formation a probablement omis de repositionner les sélecteurs des réservoirs de carburant sur Main après avoir purgé les réservoirs Main puis Aux. La check-list « Before start-up » a été effectuée sous pression temporelle, face à l’imminence de la fin du créneau » pour le décollage et sans supervision de l’instructeur. L’item « qui consiste à s’assurer que les sélecteurs des réservoirs de carburant étaient correctement positionnés sur Main, n’a pas été vérifié ».
Par la suite, « les vols aller et retour ont été réalisés en consommant le carburant des réservoirs Aux, sans que les occupants n’en soient conscients. Le pilote en formation et l’instructeur pensaient faire le vol en utilisant le carburant des réservoirs Main, conformément aux pratiques de l’ATO qui préconise leur usage exclusif, pour ce type de vol. Les jauges des réservoirs de carburant n’étaient jamais utilisées en vol et au sol ».
Au cours de la descente, dans la couche nuageuse, « le circuit carburant de chacun des deux moteurs s’est désamorcé en raison de l’épuisement du carburant des réservoirs Aux. Les deux moteurs n’ont plus délivré de puissance. L’instructeur a alors repris les commandes et a tenté de redémarrer le moteur droit. Il n’a pas sélectionné un réservoir qui contenait du carburant lors de ses actions. Il n’a pas passé les hélices en drapeau en espérant un redémarrage des moteurs et il a conduit un atterrissage forcé en configuration lisse, de nuit en milieu urbain ».
L’enquête « n’a pas permis de déterminer l’origine du déclenchement intempestif de l’avertisseur de décrochage, pendant les 6 à 9 dernières minutes du vol, lorsque l’avion était en descente pour débuter l’approche. Cette alarme a probablement généré une situation stressante et une charge de travail supplémentaire, impliquant une surveillance accrue des paramètres, notamment lors de la conduite de l’atterrissage forcé ».
Dans le cadre des formations IR/ME dispensées par l’ATO, « la gestion du carburant a été simplifiée pour les vols courts afin de permettre aux pilotes en formation de se concentrer sur les aspects jugés prioritaires de la formation, tels que la gestion des procédures IFR et la maîtrise du vol avec un moteur en panne. Cette simplification reposait sur l’utilisation exclusive des réservoirs Main dans le but d’alléger la charge de travail en vol ».
« Les check-lists de l’ATO, qui différent des procédures du manuel de vol, étaient cohérentes avec cette pratique. Cette approche simplifiée a pu cependant induire une diminution des connaissances du pilote en formation sur le circuit carburant ainsi qu’une vigilance réduite concernant certains aspects de la gestion du carburant » précise le BEA qui note par ailleurs que « le pilote en formation indique que le sélecteur carburant du simulateur était différent de celui de l’avion et qu’il ne l’a pas manipulé lors des séances de simulation ».
Ainsi, « la perte de puissance des moteurs est liée à une erreur de sélection des réservoirs de carburant, non détectée lors des vérifications avant le décollage et en vol ». Ont pu y contribuer :
– la « réalisation par le pilote en formation des actions de mémoire, au cours de la visite prévol et de la mise en route, dans un contexte de pression temporelle, avec une vérification imparfaite réalisée à l’aide des « check-lists » de l’ATO ». Si l’instructeur dit n’avoir pas été au courant des limites des créneaux horaires et donc du potentiel départ sous contrainte temporelle, il n’y a pas « eu de briefing formel avant le vol, cependant le pilote en formation avait évoqué les menaces pour le vol avec l’instructeur quand il s’est rendu à l’avion pour faire la visite prévol » dont le givrage possible (Temsi), les limites horaires de créneaux.
– des « vérifications insuffisantes par l’instructeur avant chacun des deux décollages et en vol avec le pilote en formation ». Au départ de Toussus, l’instructeur a contrôlé visuellement le niveau des réservoirs principaux avant de monter dans l’avion mais n’a pas vérifié les sélecteurs sur Main. Le rapport précise que lors du roulage à Toussus, le moteur droit a calé, phénomène attribué à un régime trop faible.
– « l’absence d’évaluation par l’ATO des risques associés à la simplification de la gestion du carburant mise en place et de ses procédures. L‘ATO s’est ainsi privé de moyens permettant la détection et la récupération d’une erreur de sélection des réservoirs avant le décollage, y compris en cas d’arrêt des moteurs ». L’ATO a modifié par la suite sa documentation notamment via l’ajout d’items dans sa check-list Descent et aussi la cartographie des risques dans son manuel d’organisation avec un rajout lié à la réalisation des purges sur PA-30/39.
À noter que « le plan de vol déposé la veille n’avait pas été modifié par le pilote en formation ni par l’instructeur pour mentionner l’absence d’une personne à bord ». Il avait été « déposé pour quatre personnes à bord. Dans le cadre des opérations de sauvetage SAR menées après l’accident, des vérifications supplémentaires ont dû être réalisées par les services de secours afin de confirmer qu’il n’y avait en effet que trois personnes à bord ».
Comme tout événement « dynamique » à fort impact émotionnel, on note dans le rapport des commentaires pouvant diverger entre ceux du pilote en formation, de l’instructeur et du passager arrière également en formation professionnelle. ♦♦♦
Photos © BGTA / BEA
Rapport du BEA en téléchargement via ce lien
PA30Villejuif