Quand les lacunes de l’information aéronautique entraînent une menace majeure sur la sécurité des vols.
Edit : texte amendé le 29 octobre à 15h00 pour quelques précisions sur la ZRT, des compléments d’information et une interprétation modifiée concernant le compte-rendu du pilote hélico, reprenant en fait les propos de l’équipage du biplace sur Sofia-Briefing.
L’affaire remonte à un mercredi de juillet dernier mais il était nécessaire de laisser du temps
au temps car la réactivité d’un blog n’est pas la même que celle de l’administration.
Sans suite apparemment donnée cinq mois plus tard, le sujet doit être cependant abordé
ici pour l’information des pilotes.
Synthèse de l’événement : à Etampes, en matinée, un instructeur et son « élève » (un pilote breveté, qualifié IFR…) doivent effectuer un vol de prise en main d’un nouvel appareil arrivé un mois auparavant dans la flotte du club. À 7h30 locales, pour un vol prévu à 9h00 locales, l’instructeur consulte Sofia-Briefing de chez lui à la recherche d’éventuels Notam. L’élève fait de même chez lui. Rien n’est noté et l’équipage décolle donc pour de la maniabilité dans le secteur sud-est du terrain avant un retour pour quelques tours de piste. Rien ne l’oblige à contacter le SIV Seine Info puisque le biplace est en classe G, SIV d’ailleurs « inactif » une bonne partie des mois de juillet et août (en pleine période des JO), point confirmé à plusieurs reprises par Notam, ce qui n’incitait pas les pilotes à contacter Seine-Info…
Alors que l’avion est en tour de piste, le pilote « d’un hélicoptère largueur » entre en contact avec l’équipage, signalant que l’avion a dû pénétrer une ZRT. L’instructeur répond qu’aucune ZRT n’était mentionnée lors de la consultation des Notam avant le vol, point qui est confirmé sur la fréquence par d’autres pilotes alors en tours de piste… Bien que sur la fréquence d’Étampes durant tout le vol entre Etampes et Pithiviers, l’instructeur n’a pas entendu la moindre annonce d’activité para par l’hélicoptère, ce qui aurait pu « sensibiliser les usagers à cette activité ne se déroulant pas directement sur le terrain » mais à très courte distance.
Le pilote de l’hélicoptère – un NH-90 de Villacoublay – précise alors qu’il va déposer un Airprox auprès d’Orly pour intrusion dans la ZRT. Puis, conformément aux consignes prévues, il annonce sur la fréquence d’Étampes le largage imminent et la position du secteur de largage de parachutistes, message cette fois bien entendu par l’équipage du biplace. Revenu au sol, après 1h30 de vol, l’instructeur reconsulte les Notam et là, la ZRT apparaît… Il s’agit d’une zone de largage SFC/FL100 dans le 169° d’Étampes-Mondésir (secteur classique d’arrivée du sud-est après de la maniabilité sur les champs de la Beauce) à seulement 3.2 nautiques de l’aérodrome, ZRT prévue pour être active de 9h00 à 14h00 locales. Le tout avec un rayon de 1,5 nautique.
L’instructeur tentera par un appel téléphonique à Melun (SIV Seine-Info) de connaître l’heure de publication du Notam en question, sans succès, la réponse reçue se contentant de préciser que la ZRT est bien mentionnée… Dans l’analyse de la Fiche de Notification d’Événement (FNE) par la DSNA, il est précisé que le Notam a été publié le 26 juin précédent par le Bureau Exécutif Permanent (BEP) en charge de la création de la ZRT – affirmation qui n’est pas remise en cause ici mais seulement dans sa concrétisation finale sur Sofia-Briefing. On peut en effet s’étonner que plusieurs pilotes dont des instructeurs n’aient pu en prendre connaissance après consultation de Sofia-Briefing, en tout début de journée.
Commentaires et quelques questions…
– Le texte du Notam évoque du parachutage entre SFC et FL100 avec une ZRT FL065/FL100 pour permettre à l’hélico largueur de monter dans la classe A parisienne. Il semble que « l’activité de parachutage n’entraîne la création d’une ZRT qui » – à l’exception des dérives sous voile ou sauts opérationnels à très grande hauteur et protégés jusqu’au sol – « ne sert que pour la pénétration de… l’aéronef largeur dans une classe d’espace en se substituant à la portion d’espace aérien contrôlé avec laquelle elle interfère » – d’où le FL065/FL100 indiqué dans le Notam même si les parachutistes vont bien jusqu’au sol sous voile… Ainsi, « l’activité parachutage indiquée par le Notam, bien que n’interdisant pas la pénétration en classe G, limite cependant la circulation lors de l’activité en cours dans la zone de parachutage ». Le VFR a circulé entre 1.500 et 3.000 ft si l’on en croit les échanges radio hélico-Orly. A cet endroit, les vols VFR sont limités sous le FL065.
– En lisant la chronologie des échanges radio entre l’hélicoptère et Orly, on note qu’après avoir eu connaissance de l’intrusion d’un VFR dans la ZRT, le pilote de l’hélico précise son intention de « faire un Airprox ». Mais avant de déclarer l’Airprox, on note aussi qu’il demande à Orly « Vous confirmez que le Notam a bien été publié ? » ce qui montre que ce professionnel peut avoir des doutes sur la fiabilité de l’information aéronautique… Orly lui répond : « Oui, on vient de vérifier, le Notam a bien été publié ». Le pilote de l’hélico largueur confirme alors souhaiter déposer un Airprox, Orly ayant relevé l’immatriculation du VFR via le transpondeur mode S.
Il est 8h50 UTC.
– L’instructeur interrogé sur l’intrusion de la ZRT a bien confirmé n’avoir pas trouvé le Notam à 7h30 mais l’avoir trouvé après 11h00, avion revenu au sol. D’autres pilotes ont confirmé n’avoir pas trouvé ce matin le Notam en question, sauf un seul indiquant l’avoir eu « en amont » (alors que l’avion incriminé était de retour en tour de piste à Etampes après séance de maniabilité en local, pour un vol total de 1h30 et donc l’hypothèse d’un pilote ayant bien lu le Notam plus tardivement que l’équipage du biplace reste possible).
Le pilote de l’hélico a confirmé que les parachutistes ont annoncé avoir vu passer « de très près » d’autres trafics VFR dans la zone. Il a également judicieusement précisé que « se reposer sur l’annonce faite en vol sur la fréquence auto-info ne suffit pas car tout dépend du moment où un pilote approchant du terrain se branchera sur la fréquence et qu’il y a forcément un laps de temps plus ou moins important entre le moment de l’annonce et le passage des voiles pendant lequel les parachutistes sont trop vulnérables à ce genre d’incident ». Bien vu ! On rajoutera que les échanges multiples en vol entre instructeur et élève peuvent amener à « zapper » un court message du type « Top largage à Etampes au FL100… ».
Le pilote de l’hélico préconise que « des actions soient menées localement sur les terrains
afin de sensibiliser les usagers à l’importance d’une bonne préparation de leur vol en dépit
des bugs de Sofia de par le risque vital qui pèse sur ce genre d’activité » (sic !). Sa reprise des éventuels « bugs de Sofia » provient du témoignage de l’équipage du biplace, qu’il reprend donc dans son point de vue.
L’analyse de la DSNA s’achève ainsi : « Bien qu’étant en espace de classe G dans lequel les VFR n’ont aucune obligation de contact radio avec un organisme de la Circulation aérienne ou obligation de contournement, il apparaît clairement que ni le pilote de l’hélico largueur ni le contrôleur sur position ne s’attendaient à voir un trafic survoler la zone de largage car il est d’usage pour les pilotes de l’éviter… quand ils en ont conscience » (sic !). On notera que la tour de contrôle d’Etampes a été fermée il y a quelques années après avoir mis en place une RMZ… Si elle avait été active, nul doute que le contrôle aurait prévenu les pilotes de l’activité de la ZRT sur la fréquence ou sur l’ATIS enregistré.
La DSNA poursuit : « Ce qui amène au deuxième facteur contributif de l’évènement, une conscience de la situation différente du pilote (du monomoteur) qui n’a pas été en mesure d’avoir connaissance de l’activité de parachutage en cours ni avant ni pendant son vol, que ce soit par l’intermédiaire du Notam qu’il n’a pas trouvé en amont, d’un organisme de la CA avec lequel il n’était pas en contact comme l’autorise la classe d’espace dans lequel il évoluait
ou de l’annonce faite de l’activité sur la fréquence auto-information d’Étampes en fonction du moment où il s’est branché sur la fréquence. De manière unanime, tous les acteurs de cet évènement préconisent comme retour d’expérience de renforcer l’information et la communication autour de ce genre d’activité pour un meilleur partage de la conscience
de la situation ».
Mais on peut encore aller beaucoup plus loin que cette conclusion oecuménique à souhait. On décode : la « Carte Chance » a fonctionné, ouf ! On aurait bien « chargé » le pilote de l’avion VFR – en répétant aux pilotes qu’ils doivent impérativement bien préparer leurs vols… – mais on n’a pas vraiment la preuve de la publication du Notam aux bonnes heures et tout porte à croire que l’information n’était pas correcte à écouter plusieurs retours de pilotes
VFR ce jour-là… Bon, mettons donc la poussière sous le tapis et réfléchissons à une amélioration du système !
Et pour finir :
– est-il raisonnable de venir faire de la chute libre au FL100 à moins de 6 km d’un aérodrome actif de l’aviation générale en région parisienne quand il y a des kilomètres-carrés de champs en Beauce pour cela ou, mieux, des zones militaires bien répertoriées à proximité ? Le tout en squattant une base ULM…
– est-il raisonnable de se contenter d’un simple Notam (perdu peut-être quelque part dans Sofia-Briefig) pour diffuser l’information d’une telle menace majeure ? La conclusion de la DSNA parle de « renforcer l’information et la communication » pour une meilleure conscience de la situation, mais sans donner la réponse technique appropriée ! C’est pourtant simple :
un SUP-AIP aurait été bien plus efficace. D’ailleurs on note que pour d’autres exercices de parachutage très similaires dans d’autres régions, des SUP-AIP sont publiés ! Exemples :
ici et là. Mais pas pour une zone para en région parisienne… Où est la cohérence ? La DSNA répondre inévitablement qu’il faut minimum de 2 à 3 mois pour aller de la page blanche à la mise en ligne du SUP-AIP… Si les délais sont trop courts pour sortir à temps un SUP-AIP, les pilotes ne peuvent se contenter d’un Notam de FIR perdu parmi de multiples Notam quand la menace est majeure. Si l’on juge que la durée de la ZRT (quelques heures d’activité dans le cas mentionné) ne « mérite » pas le long processus de création d’un SUP-AIP, alors à quel coût évalue-t-on la vie humaine ?
Le SUP-AIP ci-dessous « réalisé » par aeroVFR en moins de 20 mn sous Photoshop montre ce qui aurait dû être fait, surtout quand on dit aux pilotes privés de pratiquer le TEM (gestion des erreurs et des menaces) et de faire une analyse de risques dans les DTO, dont désormais celui de « se prendre des parachutistes en vol » faute d’une information aéronautique à la hauteur (sans jeu de mots).
– il serait bon que l’heure et la date de publication d’un Notam sur Sofia-Briefing apparaisse clairement. Il est déjà arrivé qu’un Notam sorte du chapeau à la dernière minute puis disparaisse en fin d’activité quelques heures plus tard, ni vu, ni connu. Quand un tel Notam sort alors que des pilotes sont déjà en vol, ayant consulté les Notam avant leur décollage, c’est les mettre en infraction de façon systémique… C’est intellectuellement malhonnête.
– si l’instructeur reste sous le coup d’un Airprox (la logique voudrait que ce dernier soit classé verticalement vues les responsabilités largement partagées…), il serait bon que le club dépose un CRESAG via ECCAIRS2 pour mise en danger de la vie d’autrui par défaut d’une information réellement exploitable. ♦♦♦
PS : ce SUP-AIP est un faux !