Une saga en trois tomes qui fera référence sur un constructeur mal connu…
Philippe Ricco n’est pas inconnu dans le milieu aéronautique. On lui doit quelques monographies faisant référence, principalement sur des avions français, du SE-161 Languedoc aux Gerfaut et Griffon en passant par quelques fascicules ou des hors-séries sur des appareils peu connus mais mythiques comme l’étonnant SNCASE SE-100, ou encore une biographie sur René Leduc, pionnier de la propulsion à réaction, ouvrage écrit en collaboration avec Jean Lacroze. Une production éditoriale à laquelle il faut ajouter un grand nombre d’articles publiés dans la presse aéronautique tendance historique, épaulés par une imposante collection personnelle de photographies d’avions…
Cette fois, il s’est attaqué à une « montagne », l’avionneur Marcel Bloch, premier constructeur français avant la Seconde Guerre mondiale, qui deviendra Marcel Dassault à son retour de camp de concentration, prenant le nom de résistance de son frère. Il entamera alors sa seconde vie de constructeur aéronautique par le MD-311/312 Flamant avant de passer à la réaction avec entre autres la série des Mirage III et IV menant jusqu’au Rafale actuel.
Cet après-guerre est bien documenté, mais c’est moins le cas pour l’avant-guerre car les archives ont disparu. Pendant plusieurs années, Philippe Ricco s’est donc attelé à reconstituer un imposant puzzle de pièces éparses à rassembler, à confronter et à évaluer pour reconstituer une longue carrière démarrée avec Henry Potez pour concevoir l’hélice Éclair, adaptée à nombre d’avions de la Première Guerre mondiale.
Dans son avant-propos, l’auteur explique sa démarche pour retrouver des éléments historiques, confirmer ou non des dates de premiers vols, ne trouvant pas toujours des photos pour certains appareils uniques disparus sans laisser de trace, ne parvenant pas parfois à vérifier un jugement confronté à deux témoignages opposés. Il s’est plus intéressé aux études et aux essais en vol ainsi qu’au développement et à la production qu’à la carrière opérationnelle – sauf pour certains modèles comme le Bloch 120. Côté technique, seuls les aspects particuliers à certains modèles sont mentionnés, pour éviter les longues descriptions de tous les éléments techniques qui auraient confiné à l’encyclopédie…
Cette histoire des avions Bloch restait peu ou mal connue, avec bon nombre d’avions dont certains sortis des mémoires, de l’avion de tourisme au trimoteur postal en passant par les multimoteurs coloniaux, les avions sanitaires avant d’aborder le domaine militaire via des bombardiers et des multiplaces de combat. Et s’il reste encore quelques zones d’ombre, le contenu proposé au lecteur s’avère déjà très riche, car cette saga de l’avionneur français sera développée sur trois tomes dont seul le premier est disponible depuis début juin.
Ce premier pavé, intitulé « Premiers succès », compte en effet déjà 512 pages avec 1.077 photos, 94 plans et 54 profils en couleurs ! Prévu pour le mois de décembre prochain, le tome 2 évoquera « L’entrée en guerre », précédée des grèves et de la nationalisation des principaux constructeurs français devenant des Sociétés nationales de constructions aéronautiques dans les régions. Le troisième tome, prévu au printemps 2025, abordera les « Chasseurs et autres développements ». Ce sera l’apogée des avions Marcel Bloch, avec notamment la série des MB-150/152, avant la déportation de l’ingénieur durant la guerre.
Ces trois tomes visent à combler une lacune importante dans l’édition aéronautique, retracer l’histoire complexe d’un grand industriel français qui, de 1929 à 1946, parviendra à produire 1.887 appareils dont 53 prototypes. Histoire complexe car faite de multiples rebondissements, de polémiques, d’échecs suivis de succès éclatants. Mais au final, c’est un pan important du développement aéronautique tricolore, en notant que les sociétés Potez, Breguet, Morane, Loire, Hanriot produiront des Bloch…
Si les trois tomes suivent le développement des différents modèles et non pas une chronologie année après année, le premier tome débute par la première création à succès, l’hélice Éclair suivie de quelques biplans dont l’un sera commandé à 1.000 exemplaires mais l’Armistice de 1918 ramènera ce nombre à une centaine… Marcel Bloch quitte alors l’aviation pour se consacrer à l’immobilier et la production de meubles en bois. Il faudra attendre 1928 pour qu’Albert Caquot, à la direction technique du ministère de l’Air, l’incite à revenir à l’aéronautique pour insuffler de nouvelles idées.
Si des innovations en structure ou en aérodynamique seront développées, les trimoteurs postaux, bien que remportant un concours pour certains, ne seront pas produits en nombre. Les nombreux projets s’accumulent alors sous forme de plans 3-vues, d’études techniques avant que le MB-81, monomoteur sanitaire, ne soit produit à 20 exemplaires. La philosophie de l’ingénieur opiniâtre se découvre dès les débuts de l’aventure industrielle, avec une stratégie faite de petits pas techniques, pour s’appuyer sur les expériences précédentes, bonnes ou mauvaises, en progressant méthodiquement et, tourné vers l’avenir, en faisant fi du passé et des archives, une pratique encore d’actualité chez Dassault Aviation !
Les petites séries de trimoteurs coloniaux, de technologie métal, seront suivies d’une poignée de monomoteurs de tourisme sortis des mémoires et que l’on redécouvre avec historique, photos, profil en couleurs… Il faut attendre la page 222 pour attaquer le chapitre concernant les modèles militaires qui feront réellement décoller le constructeur. Le Bloch 200, « forteresse volante à la Vauban », désuet avec son train fixe mais produit à plus de 200 exemplaires, bénéficie ainsi de plus de 150 pages, avec liste de production mais aussi écorché, profils en couleurs et multiples photos dont des inédites – Ah ! les effets du Mistral sur des appareils stockés sur des parkings !
Fruit d’une nouvelle génération, la série des MB-130 s’attaquera aux grandes vitesses, avec une aérodynamique plus sophistiquée, un train rentrant mais cela ne suffira pas en 1940… Au final, sans surprise, ce tome 1 augure bien de la trilogie en cours de réalisation, qui en fera assurément la référence sur le sujet traité. On n’en doutait pas un instant avant même d’avoir tourné la première page… ♦♦♦
– Les avions Marcel Bloch, Tome 1 : Premiers succès, par Philippe Ricco. Ed. Lela-Presse. Collection Histoire de l’aviation n°45. 512 p. 79,00 €