À Laon-Chambry, le bras de fer d’un aéro-club avec l’État…
En aviation, le concept d’anticipation est important notamment pour gérer sa trajectoire mais c’est aussi le cas pour la gestion opérationnelle d’un aéro-club. Aussi, le 22 avril dernier, Matthieu Cabau, président de l’aéro-club de Laon, a-t-il écrit au maire de la ville, gestionnaire de la plate-forme pour l’informer des multiples projets de l’association pour l’année 2024.
Il y est question de fins de formation prévues durant cette période pour des jeunes visant ensuite une formation professionnelle après avoir acquis le PPL, de l’entraînement d’un jeune membre candidat au tour aérien des Jeunes pilotes ou encore d’un stage de voltige. L’objectif du courrier était d’alerter la municipalité sur les problèmes que poserait dans ces conditions l’installation de gens du voyage sur l’aérodrome, au vu des situations rencontrées les années passées.
Ce courrier du club a sans doute déclenché un contact du maire auprès de la préfecture de l’Aisne pour connaître les projets de passages de la communauté des gens du voyage durant l’année 2024 dans la région. Aussi, deux jours après le courrier du club, le maire appelait par téléphone le président de l’association pour lui indiquer les informations recueillies auprès de la préfecture, à savoir :
– 19 mai au 27 mai 2024, passage de 100 caravanes,
– 30 juin au 7 juillet 2024, passage de 100 caravanes,
– 14 juillet au 21 juillet 2024, passage de 200 caravanes,
– 22 août au 8 septembre 2024, passage de 600 caravanes.
Le préfet de l’Aisne avait de plus informé le maire que ces passages de 1.000 caravanes auraient lieu à Laon et notamment sur l’aérodrome. Sans le courrier du club et le contact du maire, l’information n’aurait sans doute jamais été communiquée aux associations implantées sur le terrain (clubs avion et ULM) si l’on se base sur les années passées.
Si en février 2021 des gens du voyage étaient venus à Laon, leur installation s’était limitée au centre de la ville sans impacter l’aérodrome. Mais en avril 2022, « Le Courrier picard » faisait état de « problèmes en raison de l’absence d’une aire d’accueil » et d’une aire de grand passage pour les gens du voyage, ceux-ci s’étant finalement « installés dans la ville mais aussi sur l’aérodrome » (300 caravanes durant 10 jours) – photo en ouverture. Prévenu seulement 72 heures à l’avance, l’aéro-club avait pu délocaliser ses avions sur les terrains environnants afin de pouvoir poursuivre son activité.
Le maire de Laon, Eric Delhaye, annonçait alors à la presse « chercher un terrain ». Même si « le foncier se fait rare dans la région », un terrain avait été identifié à l’ouest mais cela nécessitait plusieurs études de terrain, le maire annonçant alors « trois ans et plusieurs centaines de milliers d’euros pour le créer ».
En juillet 2023 (image de la webcam ci-dessus), la situation était à nouveau d’actualité, le journal « L’Union » annonçant que « des gens du voyage se sont installés sur l’aérodrome de Laon ». 250 caravanes avaient en effet investi l’aérodrome durant 13 jours, les « autorités n’étaient pas au courant de la venue massive des nomades » (sic !), ce qui semble peu probable. Pour rentrer sur l’aérodrome, des barrières ont été cassées avant une installation illégale sur des terrains privés et communautaires le week-end des 29 et 30 juillet.
La piste étant investie, la DGAC a suspendu toute activité aéronautique « pour raisons de sécurité ». L’occupation était alors prévue pour ne pas durer, les gens du voyage devant se rendre à un rassemblement évangélique en Moselle prévu… un mois plus tard, du 3 au 10 septembre. En 2022 et 2023, l’aéro-club avait joué l’apaisement, acceptant des compromis malgré les difficultés rencontrées pour mener son activité habituelle. En notant qu’il faut généralement au moins une semaine de remise en état après le départ des gens du voyage pour pouvoir à nouveau rouvrir le terrain.
Une année, le jour de départ des gens du voyage, c’est le poste électrique de l’aérodrome qui a connu une sur-intensité, après branchements sauvages, coupant toute l’électricité sur le terrain pendant une semaine. Une autre année, ce fut l’automate Total qui fut endommagé, interdisant la prise de carburant pendant une semaine, le temps au pétrolier de remettre en état la pompe. La première année, le club avait demandé une aide financière pour la perte d’activité et plus de 3.000 € de frais engagés mais ce fut une fin de non-recevoir qui fut reçue de la part de la préfecture, celle-ci bottant en touche (« L’État n’est pas acteur de l’octroi de ce terrain à la communauté des gens du voyage ») et renvoyant sur les services de la mairie.
La seconde année, après environ 6.500 euros de pertes enregistrées sur les deux années, une aide fut sollicitée auprès de la mairie mais sans réponse favorable.
Pour 2024, il n’y a eu aucune information de la part de la préfecture aux usagers de l’aérodrome, aucun courrier, aucune réunion d’information ou de concertation, aucun appel téléphonique – une pratique confinant au mépris absolu. La République exemplaire dans toute sa splendeur… C’est Matthieu Cabau, président de l’aéro-club de Laon qui a prévenu Maxime Béton, son homologue du club ULM…
On comprend donc les inquiétudes des dirigeants des clubs quand on leur annonce pour 2024 quatre passages pour un total de 1.000 caravanes. Si les deux premiers passages (100 caravanes) pourraient éviter l’aérodrome avec la bonne volonté de toutes les parties en jeu,
les deux derniers passages, par leur ampleur (200 et 600 caravanes) vont poser problème.
Si l’objet de cet article n’est pas de remettre en cause les déplacements des gens du voyage,
il n’est pas acceptable que ces passages entraînent des suspensions d’activités pour les clubs du terrain. Ceux-ci se trouvent placés au milieu d’une problématique qui leur échappe.
La loi du 5 juillet 2000, relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, prévoit en effet l’élaboration et l’approbation dans chaque département d’un schéma d’accueil des gens
du voyage.
Les communes de plus de 5.000 habitants (Laon dépasse les 24.000 habitants) ont l’obligation de réaliser les aires d’accueil prévues par ce schéma départemental. Nombreuses sont les communes ne répondant pas aux exigences de la loi faute de terrain et/ou de moyens financiers pour investir sans connaître si des passages auront lieu à l’avenir. L’aire d’accueil de Laon a été fermée en avril 2010 pour cause de dégradations. En octobre 2012, le « Schéma départemental d’accueil des gens du voyage dans le département de l’Aisne » évoquait 7 aires d’accueil prévues au schéma dont à nouveau Laon pour… 40 places. Pour les aires de grand passage, une capacité de 100 à 150 caravanes est alors prévue.
Face à cette situation, les gens du voyage s’installent où bon leur semble ou plutôt là où les pouvoirs publics leur conseillent de s’installer. Évidemment, les surfaces des aérodromes, à l’écart de la ville, sont généralement mentionnées, ce qui est inacceptable de la part des préfets, commis de l’État qui ne respectent pas la loi. Nous avons posé la question à la préfecture de l’Aisne : sur quelle base juridique un aérodrome se doit d’être ainsi « saisi »
au détriment de l’activité économique des usagers, fussent-ils au sein d’associations loi 1901.
On attend la réponse…
En attendant, plutôt que de retenir la facilité, Thomas Campeaux, le préfet de l’Aisne
depuis juin 2021, pourrait réfléchir à d’autres solutions. Il y a notamment l’ancienne base de l’Otan de Couvron-et-Aumencourt, à quelques kilomètres au nord-ouest de Laon. La photo
ci-dessous de cette base de 70 hectares il y a quelques années, lors du passage de 1.200 caravanes, donne une idée de la surface occupée et des dommages inévitables sur une piste en herbe comme celle de Laon.
D’autres anciennes bases dans l’Est, quand elles ne sont pas recouvertes de panneaux voltaïques, offrent des surfaces disponibles, telle Marigny ou Reims-Champagne. Imposer de force le stationnement de 600 caravanes sur un aérodrome au motif « qu’il n’y a pas d’autres choix » relève du degré zéro de la décision politique car il n’y a assurément pas la place à Laon pour recevoir un tel rassemblement (600 caravanes et autant de véhicules tracteurs
sans compter 150 véhicules suiveurs, et de 1.500 à 1.800 personnes).
Le club de Laon, contrairement aux années passées où il a fait le « dos rond », n’entend pas supporter à nouveau la suspension de son activité. Le bras de fer est lancé face à l’État. Le 26 avril, un courrier de l’aéro-club a été envoyé au préfet, sans retour à ce jour… Matthieu Cabau informe le préfet que « ces décisions et/ou hypothèses de travail sont totalement inenvisageables et inacceptables pour l’association », demandant au préfet de « garantir qu’en aucun cas il n’a été décidé ou il n’est envisagé d’autoriser le stationnement de caravanes sur l’aérodrome de Laon ».
Rappelant que si le club n’a eu d’autres choix que de laisser envahir l’aérodrome en 2022 et 2023, le courrier indique que cette situation ne peut être répétée d’année en année. Il est rappelé qu’une semaine d’entraînement à la voltige est prévue du 22 au 28 juillet, au lendemain d’un possible départ de caravanes, avec des vols de mise en garde au profit des membres du club, point visant à améliorer la sécurité des vols. On suppose que le préfet a entendu parler du Plan de sécurité de l’État (PSE) et ses déclinaisons en matière aéronautique…
Par ailleurs, le 1er Tour de France en avion électrique est prévu cet été avec une cinquantaine d’étapes dont l’aérodrome de Laon (https://elektro-tour.fr). Et que l’été constitue la période de pic d’activité de tout aéro-club, avec en moyenne 500 heures de vol enregistrées de juin à septembre, soit 60% de l’activité annuelle pour le club de Laon.
Dès le 25 avril dernier, l’aéro-club avait déjà alerté le Comité régional aéronautique Hauts-de-France, le Comité départemental aéronautique et la commission Défense des terrains de la FFA. À la demande de cette dernière, un courrier du Conseil national des fédérations aéronautiques et sportives (CNFAS) a été adressé au ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, en charge de la protection des personnes et des biens, et dont le rôle est d’empêcher tout trouble à l’ordre public – un risque certain avec 600 caravanes envahissant un aérodrome
non adapté à cet usage.
Dans son courrier, le CNFAS sollicite ce dernier pour « une prise en compte plus formelle de la sanctuarisation des aérodromes, des plateformes ULM et d’aéromodélisme, ainsi que des équipements sportifs en général, lesquels ne constituent en aucun cas des aires de stationnement pour les gens du voyage ».
Il est rappelé que « les travaux du Muséum national d’histoire naturelle ont scientifiquement prouvé que les aérodromes sont de véritables espaces de biodiversité représentant une surface de plus de 300 km2 sur laquelle nous trouvons une variété de faune et de flore inestimables, pour certaines en quasi-extinction. Il est donc essentiel de nous aider à les préserver en particulier dans le contexte climatique que nous connaissons ».
Et dans ce domaine, l’aéro-club de Laon n’est pas à la traîne pour atténuer son empreinte carbone avec notamment le lancement d’une étude pour réduire et transformer la consommation électrique en énergie verte, la mise en place de la récupération d’eau de pluie pour le lavage des avions, une clarification des règles de tri des déchets, une cartographie du lieu d’habitation des membres pour réduire les trajets domicile/aérodrome. Par ailleurs, des actions de sensibilisation en partenariat avec d’autres associations locales et les scolaires sont réalisées pour faire découvrir la biodiversité de la plateforme. Des hôtels à insectes et des piquets pour servir de perchoir aux rapaces ont été implantés. Des arbres fruitiers ont été plantés autour du club-house, 2.500 m2 ensemencés de fleurs près du taxiway principal.
Des vélos en libre-service sont mis à disposition des visiteurs aériens. En 2024, le projet d’installation de ruches a été figé si c’est pour les voir saccager ces prochains mois…
Jean-Luc Charron, délégué général, signataire du courrier du CNFAS, évoque le dossier de Laon programmé pour « subir plusieurs occupations des gens du voyage entre mai et septembre 2024, ce qui va paralyser toute l’activité aéronautique et sportive pendant plusieurs semaines mettant en péril les entités basées ». Rappelant le droit au… ministre de l’Intérieur, le courrier signale que « cette occupation de l’aérodrome de Laon s’opère en dehors du cadre posé par l’instruction n°IOMD2401806J du 22 mars 2024 relative à la préparation des stationnements de gens du voyage pour l’année 2024, qui a justement pour objet de prévenir de telles difficultés liées aux grands passages de groupes de gens du voyage à l’occasion de la période estivale par des procédures bien définies ».
Et de poursuivre avec « de telles situations sont préjudiciables tant pour la biodiversité, les infrastructures que pour la mission de service public des associations aéronautiques et sportives d’Intérêt général affiliées aux Fédérations françaises reconnues d’tilité publique ». Aussi, une rencontre dans les meilleurs délais est souhaitée pour partager retour d’expérience et « mieux prévenir les risques d’occupations et de dégradations provoqués par ces populations ». Pour l’heure, l’accusé de réception du courrier est arrivé le 1er mai et le retour
le 2 mai de l’engagement à « apporter une réponse dans les meilleurs délais »… Sans suite depuis.
Le bureau exécutif a communiqué aux membres du club toutes les actions entreprises face aux menaces, prévenant également les aéro-clubs des alentours. Des contacts avec la presse ont été réalisés. Une équipe de France 3 est venue sur place. Le journal « L’Union » a déjà évoqué la problématique avec pour titre « Près de 1.000 caravanes de Gens du voyage vont atterrir cet été à l’aérodrome de Laon » (mise en ligne sur son site le 1er mai). Le chapeau de l’article indique que « les responsables des deux clubs actifs à l’aérodrome ont appris par hasard que le terrain d’aviation sera occupé entre mai et septembre par quatre rassemblements de gens du voyage. La colère monte et la mobilisation s’organise ».
Même si une pétition ne résout pas tout, elle permet d’attirer l’attention et de faire du bruit. Mise en ligne le 29 avril sur change.org, la pétition « Protéger l’aérodrome de Laon contre l’installation de 600 caravanes » annonce que l’existence du club est menacée et que si l’installation de 600 caravanes est confirmée, sa survie sera assurément en jeu. Si le club comprend « la nécessité d’accueil des grands passages », il croit « fermement qu’il existe des solutions alternatives qui ne mettent pas en péril le travail et l’héritage que nous avons construits depuis plus de sept décennies » – le club date de 1946. La pétition a enregistré 1.150 signatures moins de 36 heures après sa mise en ligne. Il est important que tous les pilotes et lecteurs d’aeroVFR.com y participent par solidarité. Le 3 mai au soir, le cap des 2.200 signatures était dépassé.
Cette médiatisation a fait que la… BGTA de Beauvais a pris contact avec le club, pour connaître les actions engagées et celles envisagées à l’avenir. Nul doute que l’information remontera à la DSAC concernée. Mais la pratique habituelle de la DGAC en la matière est de pousser le gestionnaire d’un terrain à déposer un Notam « suspendant toute activité » pour raisons de sécurité, ce qui pour une administration destinée à développer l’Aviation civile n’est pas la solution attendue !
Ce « ramdam » mis en place par l’aéro-club a eu aussi d’autres effets. Des élus locaux et nationaux s’intéressent au sujet. Le sénateur de l’Aisne, Antoine Lefèvre, a écrit un courrier au ministre de l’Intérieur rappelant les enjeux de la problématique. Le courrier note que « le site de l’aéro-club a été lourdement pénalisé en 2022 et 2023 par des stationnements en nombre sur le terrain d’aviation qui n’avaient donné lieu à aucune autorisation préalable. Les nuisances et dégradations ont entraîné pour le gestionnaire de graves conséquences financières pour lesquelles aucune solution d’indemnisation n’avait été trouvée à l’époque ».
Le sénateur poursuit : « De plus, il me semble qu’il aurait été judicieux de veiller à une meilleure répartition géographique de ces différentes propositions d’accueil plutôt que de concentrer ces rassemblements sur un même lieu, avec des stationnements chaque mois à partir de mai. Au vu de ces éléments, il m’apparaît plus que souhaitable de surseoir à ces autorisations compte tenu du niveau d’exaspération déjà atteint sur place et pouvant faire craindre de graves conséquences pour les structures concernées ». Et d’enfoncer le clou en précisant que, sans méconnaître les difficultés liées à ce type d’accueil, « la concertation avec les autorités locales est un préalable indispensable avant toute décision de ce type » !
Son homologue, également sénateur de l’Aisne, Pierre-Jean Verzelen a appelé le club le 2 mai pour une longue prise d’informations avant d’intervenir. Le député de la première circonscription de l’Aisne, Nicolas Dragon semble sur le point de suivre dans ce sens.
Mme Charles, maire adjointe déléguée aux commémorations des 80 ans de la libération de Laon a rappelé au président du club qu’elle souhaitait le respect de l’engagement de l’association, à savoir le passage des avions du club et d’avions anciens au-dessus de la ville les 30 et 31 août prochains… en plein envahissement prévu des 600 caravanes.
Le 2 mai, le président du club avait déjà envoyé à nouveau un courrier au préfet, s’appuyant sur le courrier du CNFAS envoyé au ministre de l’Intérieur pour lui rappeler qu’un aérodrome n’est pas une aire d’accueil ni une aire de grand passage. Tant qu’il n’aura pas obtenu la garantie qu’en aucun cas il n’a été décidé ou il n’est envisagé d’autoriser le stationnement de caravanes sur l’aérodrome, le club continuera à « oeuvrer crescendo et par tous les moyens » pour éviter « la catastrophe annoncée ».
Nul doute que le club de Laon ne compte pas se laisser faire en 2024. Alors que le club est entré « dans une situation de bras de fer avec les services de l’État », d’autres actions sont à l’étude pour monter au créneau et rappeler que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Dans un Etat de droit, le fait qu’une préfecture décide de s’asseoir sur les textes de loi et d’imposer l’installation de 600 caravanes sur un aérodrome, de plus sans la moindre communication, relève du « fait du prince » – « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ». À quelques semaines d’une élection européenne qui semble se transformer en plébiscite anti-gouvernement si l’on en croit les sondages parus dans la presse, ce dossier
– selon la solution finale retenue – révélera les pratiques de l’État : respect du droit ou…
abus de pouvoir et impunité revendiquée, ce qui serait le pire message envoyé au monde associatif, aéronautique ou pas. ♦♦♦
Photos © via AC de Laon
Lien vers la pétition en soutien à l’aéro-club de Laon Signez-la !