Histoire d’une famille de réacteurs incontournables pour les avions militaires français.
Un avion est avant tout une aile et une motorisation. En 1945, l’avenir de cette dernière repose sur le réacteur et la France est très en retard dans ce domaine. La fin de la Seconde Guerre mondiale sera ainsi marquée par la « chasse aux cerveaux », à savoir les chercheurs, ingénieurs allemands et les technologies de pointe développées outre-Rhin. Les Américains lanceront l’opération Paperclip et récupéreront Messerschmitt Me-262, Heinkel He-162 et
He-219, Arado Ar-234, Dornier Do-335 et quelques V1 et V2 sans oublier un certain Werhner von Braun et son équipe.
Anglais et Français sont aussi à la manoeuvre. La France démontera et transportera à Modane une soufflerie entière… Des centaines d’ingénieurs et techniciens apporteront leur savoir-faire technique et scientifique à l’industrie française, afin de combler les retards dus à la période du conflit. Ils dynamiseront la recherche dans de multiples programmes, étant embauchés par diverses sociétés, de la Snecma à la SEP en passant par l’Onera, la SNCASE et bien d’autres. L’importance de l’apport technique et scientifique des Allemands est incontestable dans un certain nombre de domaines, dont l’aéronautique et l’astronautique.
Parmi ces personnels dépassant le nombre du millier se trouve Hermann Oestrich, ancien directeur technique des motorisations d’avions au sein de la Bayerische Motoren Werke plus connue sous l’acronyme BMW. Les Alliés s’étant partagé l’Allemagne, chacun ne devait pas empiéter sur la zone occupée par les autres mais Hermann Oestrich et son groupe seront « exfiltrés » vers la France bien que situés en zone américaine, ceci après signature avec les Français d’une proposition similaire à celle faite par les Américains. Une opération commando se chargea ainsi d’enlever Oestrich et son équipe d’ingénieurs, soit environ 170 personnes, désignées sous le code de Groupe O.
Ainsi, leurs travaux se poursuivirent dans une ancienne usine Dornier, l’unité prenant la dénomination d’Atelier technique et aéronautique de Rickenbach ou… Atar. Ce sera la désignation du futur premier réacteur français, l’Atar 101V s’appuyant sur les BMW 003
des He-162 et Ar-234, réacteur détrôné par le Jumo 004 pour le Me-262. Avec les difficultés d’approvisionnement en matières premières, en machines-outils et celles liées à la main d’oeuvre qualifiée, décision sera prise en 1946 de rapatrier le Groupe O à Decize, dans la Nièvre, au sein de l’usine Voisin d’où la dénomination de Groupe technique Voisin (GTV)
qui sera absorbé par la Société nationale d’étude et de construction de moteurs d’avions
ou Snecma, créée en mai 1945.
L’Atar 101 et ses multiples dérivés équiperont la quasi-totalité des chasseurs de fabrication française jusqu’au Mirage F-1, passant au fil des modèles de 1.700 kilos de poussée à 7.200 kgp. Côté appareils, la liste ayant bénéficié d’un Atar est bien longue : Ouragan, Mystère II, Vautour, Super Mystère B2, Étendard IVM, Mirage IIIC, IIIE et IV, Super Etendard et Mirage F-1 pour ceux produits en série. Il faut rajouter des prototypes restés sans suite : Durandal,
Leduc 022, Gerfaut, Griffon, Baroudeur, Coléoptère…
C’est cette aventure qui est déroulée en 136 pages bien illustrées de réacteurs, d’avions et de schémas techniques pour comprendre l’évolution depuis le premier Atar. Deux auteurs se sont associés pour retracer l’historique. Alain Crosnier est déjà connu pour plusieurs ouvrages sur les avions de l’armée de l’Air et de l’Espace et de l’Aéronautique navale. Jacques Daniel a apporté ses connaissances sur les différents réacteurs de la famille Atar et les essais en vol
au sein de la Snecma.
Sont ainsi passées en revue les installations de Melun-Villaroche, « là où tout a commencé », avec la présentation des multimoteurs bancs d’essais volants (Martin B-26, Languedoc, Meteor, SO-30, Armagnac) puis des monomoteurs bancs d’essais volants (Ouragan, Mystère II et IVB, Durandal et Mirage IIIA puis IIIC, IIIE et IVA, Super Etendard) sans oublier l’Atar volant à décollage vertical menant au C-450 Coléoptère.
La technologie des Atar est détaillée avec les améliorations successives dont l’augmentation de poussée (toujours jugée insuffisante par les pilotes…) et la post-combustion, chaque type de réacteur étant présenté avec ses apports techniques et mis en parallèle avec les appareils ainsi équipés jusqu’à l’arrivée des M-53 (Mirage 2000) et M-88 (Rafale) qui mettront fin à l’épopée Atar après plus de 5.360 réacteurs produits de 1952 à 1994.
En « annexes », on trouve la présentation de deux musées implantés à Melun-Villaroche dont celui de Safran (ex-Snecma), les caractéristiques des Atar et les nombreux records décrochés par des avions motorisés Atar (85.500 ft en Mirage IIIA, Mach 2.34 en Mirage G-8…) dont le dernier représentant (9K50) devrait rester opérationnel jusqu’aux années 2030 avec une centaine de Mirage III/5/50 encore actifs dans le monde et 290 Atar encore en service.
Une intéressante approche transversale de l’histoire aéronautique française via le mode de propulsion… ♦♦♦
Photo et illustration © Espace Patrimoine Safran
– Autour de l’Atar, par Alain Crosnier et Jacques Daniel, 136 pages, Skyshelf.eu, 29,00 €.