Elixir Aircraft assure le financement de l’industrialisation de son biplace école.
Ce 27 février, Arthur Léopold-Léger et Cyril Champenois, deux des trois fondateurs d’Elixir Aircraft (La Rochelle), donnaient une conférence de presse dans les salons de l’Aéro-Club de France, à Paris, pour annoncer la clôture du financement de son développement pour les cinq prochaines années avec un budget de 40 millions d’euros, ceci grâce à une nouvelle levée de fonds auprès de plusieurs investisseurs.
Un rappel du chemin parcouru depuis dix ans a été effectué à cette occasion, depuis la création de la société en 2015 et le lancement du projet au salon du Bourget, autour d’une maquette échelle réduite de l’appareil. Le prototype effectue son premier vol le 31 août 2017, il s’agit alors d’un biplace prévu en catégorie LSA. La mise au point se poursuit, avec notamment l’amélioration du refroidissement moteur (nouveaux capots), l’amélioration des stabilités (quille ventrale) et de l’aérodynamique des empennages, mais il est alors décidé de viser une certification CS-23 offrant plus de débouchés commerciaux. Alors que la société compte alors une vingtaine d’employés, la certification EASA est décrochée le 20 mars 2020. Tout ceci aura été fait avec des difficultés à attirer des financements en une période où la réindustrialisation du pays n’est pas encore d’actualité.
Tout le projet repose sur un constat, la nécessité de répondre à une demande d’avions école dans les années à venir, si l’on se base sur les besoins en pilotes professionnels d’après les études de Boeing et d’Airbus pour les 20 ou 30 années à venir. Pour investir le segment de l’avion-école, il faut apporter des innovations de rupture, diminuer les coûts d’exploitation et limiter les émissions de CO2 (décarbonation). Ce sera donc une cellule en carbone réalisée selon le concept One Shot pour limiter le nombre de pièces et donc la maintenance. De quelques milliers pour un avion d’ancienne génération en métal, on passe ainsi à 9 pièces principales pour l’aérostructure. Les dernières innovations sont intégrées à la cellule (réservoir anti-feu, parachute intégral, EFIS Garmin, monomanette, incidencemètre).
Le choix d’un Rotax 912S (100 ch) permet l’usage de carburants sans plomb et offre une consommation horaire moindre par rapport à celles des Lycoming et Continental. D’où l’argument mis en avant de diminuer de 70% les émissions de CO2 et, sur la base de 500 heures de vol annuelles, de viser un coût horaire de 40 € contre 200 € pour un avion des années 1970/1980.
Apès la certification CS-23, commence alors la phase d’industrialisation, qui sera permise par plusieurs levées de fonds pour notamment réaliser une usine à La Rochelle et la réintégration d’une partie de la production sous-traitée auparavant. Aujourd’hui, la société compte 150 employés sur trois sites en France (2 pour la réalisation des pièces en composites, 1 pour l’assemblage final) en faisant appel à une centaine de sous-traitants et fournisseurs. Deux sites sont au programme aux Etats-Unis, en Floride, pour assurer la commercialisation de la marque, assurer le réassemblage des machines diffusées outre-Atlantique et assurer la formation des pilotes ou responsables d’école – la certification FAR-23 est attendue de la FAA courant 2025.
Les marchés américain et européen bénéficient de l’effort commercial actuel, la certification FAA lorsqu’elle aura été obtenue devant ouvrir les portes d’autres régions du monde. Avec 1.600 écoles outre-Atlantique, les Etats-Unis constituent inévitablement le marché principal à conquérir, comprenant la plus grande population de pilotes au monde pour l’aviation générale – avec la nécessité de remplacer une flotte d’avion dont la moyenne d’âge dépasse les 40 ans et qui est estimée à 230.000 avions monomoteurs à pistons.
D’où la nécessité d’accélérer l’industrialisation et cette dernière levée de fonds pour financer les cinq années à venir, avec l’aide de fonds d’investissement. Le budget visé a été obtenu par une aide de l’Etat annoncée au dernier salon du Bourget, soit 13 millions d’euros (60% de subventions et 40% de prêts remboursables) mais aussi la récente levée de fond auprès de trois entités, pour un montant de 13 millions d’euros également. L’un de ces investisseurs est BPI France, BPI pour Banque Publique d’Investissement. Raphael Didier, directeur de son fonds Amorçage industriel (50 millions d’euros répartis sur une vingtaine de projets), a souligné la nécessité de réindustrialiser le territoire avec de nouveaux sites en accompagnant des start-ups.
Le second investisseur est privé, Innovacom étant une société de capital-risques depuis 1988, ayant accompagné environ 300 start-ups. Son président Jérôme Faul a souligné que la France était un pays propice à lancer un projet aéronautique du fait de son histoire, que le projet Elixir reposait sur un avion bien pensé développé et certifié par une équipe impliquée, le tout répondant aux critères pour accompagner la société (nouveau leader sur ce segment de marché) en vue d’un retour sur investissement. La société Naco, soutenue par la Région Nouvelle Aquitaine, complète le tour de table financier. On note au passage l’arrivée au conseil d’administration de Stéphane Mayer, ex-PDG d’EADS-Socata puis président exécutif d’ATR et directeur général de Daher, avant de passer chez Nexter Systems (ex-GIAT Industries).
La clôture du financement doit assurer en 2026 la mise en place d’une nouvelle usine (15.000 m2) sur l’aéroport de La Rochelle pour optimiser la chaîne industrielle de production. La montée en cadence évoque 1 avion par mois actuellement et 4 avions mensuels fin 2024. La projection dans le futur table sur 400 avions produits d’ici 10 ans (soit environ 15% du segment avion-école au niveau mondial) avec 500 employés à compter de 2030. Dès à présent, Elixir Aircraft recrute avec 50 postes ouverts, tous secteurs. Le chiffre d’affaires sur l’exercice 2021/2022 a atteint les 2 millions d’euros pour 10 millions escomptés sur l’exercice 2024-2025.
Côté projets dans les cartons du bureau d’études (20 personnes), si le développement d’une gamme est logiquement dans les esprits à La Rochelle (avec un possible quadriplace dans un avenir « très lointain »), à court terme il faut surtout réfléchir au choix de développement du modèle actuel en tout début d’industrialisation. Ce modèle fonctionne sur base Rotax avec du sans-plomb, pour la version de base (912iS) et celle en développement avec 915iS (140 ch), permettant d’atteindre 160 Kt et de permettre des approches IFR sur aéroports à fort trafic. Quelle sera l’énergie à retenir pour les années à venir reste à définir d’où la recherche d’une flexibilité pour accepter sur une même cellule diverses motorisations : GMP électrique ou une motorisation tournant au SAF, donc une turbine (projet à 5 ans avec un développement en cours sans qu’une certification ne soit visée à ce stade), voire à l’hydrogène (projet à 30 ans).
A ce jour, 19 appareils du biplace ont été livrés dont certains à Airbus Flight Academy, la filière de formation mise en place par le constructeur pour alimenter les cockpits de ses avions de ligne… 70% des clients de l’Elixir seront des FTO/ATO, le solde se répartissant entre propriétaires privés et aéro-clubs (DTO). Le prix d’entrée de gamme (avec de nombreuses « options » proposées en standard) atteint les 350.000 € TTC. Plus de 80 commandes fermes sont enregistrées, complétées par 150 précommandes associées à un accompte et environ 50 « lettres d’intention » pour des client étrangers. L’école américaine Sierra Charlies Aviation (Arizona) a commandé l’été dernier 100 appareils dont 50 en option. ♦♦♦
Photos © Elixir Aircraft