Une vie au galop, du cheval au Hawker Typhoon…
Né au sein d’une famille de la haute noblesse belge, royaliste, catholique, Jean de Selys Longchamps ne va pas briller lors de ses études avant de suivre une carrière militaire sur les pas de son père, en intégrant la cavalerie. Nous sommes à la fin des années 1930 et en Belgique, cette arme évolue pour se motoriser à coups de motocyclettes ou simplement de… vélos. La Seconde Guerre mondiale démarre avec rapidement l’invasion de la Belgique et de la France.
De repli en repli, Jean de Selys Longchamps se retrouve dans la poche de Dunkerque, parvenant à être évacué par les Anglais. Mais il reprend rapidement le chemin de la France pour poursuivre le combat, suivant les ordres du gouvernement belge en exil. Il va ainsi se retrouver rapidement dans le sud de la France avant d’être évacué sur Gibraltar. Puis d’ordres en contre-ordres, ce sera l’Afrique du Nord avant un retour en… Grande-Bretagne pour rejoindre l’école de pilotage belge, alors qu’il approche déjà de la trentaine.
Nous sommes au printemps 1941. La première leçon se déroule sur Miles Magister avant de passer au Miles Master plus sophistiqué sans oublier les séances de Link-Trainer, pour obtenir les « wings ». Quatre mois après le premier vol c’est le lâché sur Hawker Hurricane, alors qu’il passe le cap des 100 heures de vol, puis la transformation opérationnelle et les premières missions sur Spitfire en ayant rejoint le fameux 609 Squadron à Biggin-Hill, où nombreux sont les pilotes belges affectés à cette unité.
Au printemps 1942, le 609 Sqr fait sa transition vers le Hawker Typhoon, appareil peu apprécié au départ par les pilotes car sa mise au point n’est pas achevée, avec de multiples problèmes notamment liés à la fiabilité de son étonnant moteur, le Napier Sabre de 2.000 ch – De Selys sera le premier pilote à évacuer l’appareil en vol après un feu moteur. De plus, similaire en forme au FW-190, il subit souvent des « friendly fires ». Prévu pour affronter les FW-190 à haute altitude, le Tiffy ne répond pas aux attentes mais se révèle excellent à basse altitude, notamment pour des missions « Rhubarb » à traquer les locomotives en territoire occupé. C’est désormais dans ce rôle qu’il va être utilisé.
Le « baron » Jean de Selys Longchamps (JSL) va décider de redonner le moral aux Belges sous administration allemande. Il demande officiellement la permission d’une mission sur Bruxelles pour larguer des drapeaux, comme un Beaufighter de la Royal Air Force l’a fait auparavant sur les Champs-Elysées à Paris. Mais l’autorisation n’arrive pas. Ce n’est pas pour l’arrêter dans son projet…
La cible est la résidence Belvédère au 453, avenue Louise à Bruxelles, édifice facile à localiser dans la métropole et à identifier de par son architecture, immeuble servant surtout de quartier général à la redoutée police militaire allemande. Renvoyant son ailier au cours d’une mission,
il rejoint Bruxelles au ras des toits, au matin du 20 janvier 1943. Une passe de tir de quelques secondes, aux commandes de son Typhoon « M for Monkey », suffira à balayer de haut en bas l’immeuble sans toucher les bâtiments mitoyens. Ce coup d’audace aura aussi un impact sur le moral de la population belge…
L’auteur en profite pour casser quelques « fausses idées ». L’exploit est avant tout patriotique et son père n’a jamais été victime de la Gestapo. Aucun résistant n’a été tué durant l’attaque et aucun réseau n’a été démantelé par la suite en lien avec ce raid. De Selys ne sera pas blâmé par la Royal Air Force après ce coup d’éclat non autorisé. Il recevra par la suite la Distinguished Flying Cross (DFC).
Mais De Selys est parfois « difficile à vivre », connaissant quelques problèmes relationnels avec d’autres pilotes belges, qui le trouvent cassant ou hautain. Ses incartades, son manque de discipline, le fait qu’il ne transmette pas son savoir à d’autres pilotes, restant avant tout un pilote individualiste, font qu’il perdra le commandement de son « flight », même si le nouveau patron du 609 Sqr, Roland « Bee » Beamont, le conserve dans son unité du fait de ses aptitudes exceptionnelles…
Pour trouver un second souffle, De Selys rejoint alors le 3 Sqr à Manston, toujours sur Typhoon, pour des missions de nuit. Au retour d’une mission dans la nuit du 15 au 16 août 1943, alors qu’il est en approche à Manston pour l’atterrissage, son Typhoon s’écrase, sans doute à la suite de la perte des empennages, point faible de l’appareil qui a déjà causé des accidents mortels et ne sera corrigé que quelques mois plus tard. Ainsi s’achève la vie du pilote dont l’effigie trône depuis 1993 devant le 453, avenue Louise à Bruxelles…
Cette biographie détaillée a été permise grâce à l’usage des archives de la famille de Selys Longchamps, et notamment de nombreuses photos prises à l’époque dont certaines par le « baron » lui-même et son inséparable appareil photo. Ont également été utilisés les carnets de vol du pilote et les Operationnal Record Books (ORB) des unités de la RAF. L’iconographie est ainsi abondante, rehaussée par quatre profils en couleurs des chasseurs utilisés par JSL (Hurricane, Spitfire et Typhoon), le tout avec une mise en page mettant bien en valeur les différentes étapes chronologiques de la destinée de ce pilote à découvrir au-delà de sa mission sur Bruxelles. ♦♦♦
– Sur les traces de Jean de Selys Longchamps, une vie au galop, par Marc Audrit, Editions Weyrich. 404 p. 28,00 €
PS : chez le même éditeur, dans la collection « Sur les traces de… » on trouve un autre ouvrage aéronautique (« Sur les traces d’un pilote de Spitfire, le destin de Peter »), consacré à un autre Belge parti se former pilote de chasse au Canada avant de revenir combattre en 1944-1945 sur Spitfire, le tout raconté par son fils Philippe Erkes après avoir retrouvé photos et carnet de notes de son père.