Une très intéressante étude concernant l’impact des équipements d’Electronic Conspicuity (EC, détection électronique) sur les facteurs humains en aviation générale…
Le GASCo ou General Aviation Safety Council est un organisme, créé en 1964, regroupant outre-Manche les principaux acteurs de l’aviation générale, diffusant un magazine orienté Sécurité des vols, organisant des soirées et séminaires autour de ces thèmes. L’aviation générale anglaise comprend 14.000 aéronefs motorisés de différentes catégories, dont les ULM et hélicoptères, 1.600 ballons, plus de 2.000 planeurs et environ 4.500 ailes de vol
libre sans oublier 4.500 parachutistes.
Suite à une étude menée de décembre 2022 à septembre 2023 par trois chercheurs avec
pour objet les « effets des équipements d’Electronic Conspicuity (EC, détection électronique) sur les facteurs humains dans le domaine de l’aviation générale », un rapport a été mis en ligne (147 pages en anglais) notamment sur le site de la CAA.
Dans son introduction-résumé, il est rappelé que les collisions en vol (abordages) constituent une sérieuse menace pour l’aviation générale, bien que rares mais aux conséquences généralement dramatiques. Les pilotes restent responsables de la séparation via le principe « voir et éviter » mais ceci n’évite pas les Airprox. Les équipements d’Electronic Conspicuity (EC) se généralisent dans le milieu pour compléter le « voir et éviter ». L’étude, après avoir analysé la littérature sur le sujet, s’est appuyée sur des vols en conditions réelles avec des outils enregistrant la direction du regard des pilotes pour enquêter sur les facteurs humains liés à la situation actuelle en matière de « détection électronique ».
La taille d’un avion léger apparaît très faible jusqu’aux dernières secondes avant l’impact. Exemple pour deux appareils face à face et croisant à environ 120 Kt. (Skybrary, 2023)
2.000 réponses ont été reçues, issues aux trois-quarts de pilotes d’aéronefs à voilures fixes de moins de 5.700 kg. 85% d’entre eux utilisaient un moyen de « visibilité électronique » au-delà du transpondeur standard. Certains en utilisaient deux et l’échantillon a permis de noter 79 combinaisons différentes en matière d’équipement. La probabilité moyenne de détecter et d’être détecté était évaluée à environ 50%, une valeur jugée surestimée de 10 à 20%.
Certains pilotes ont évoqué la fausse sensation de sécurité que ces équipements peuvent générer, notamment en découvrant à l’oeil des aéronefs non détectés électroniquement, la « couverture » ne pouvant atteindre les 100%.
L’étude a montré que les pilotes intègrent de plus en plus ces équipements dans leur gestion de vol, en cherchant, au-delà du seuil de portée visuelle, à diminuer le nombre de menaces. Une accoutumance peut exister avec des pilotes se sentant moins à l’aise sans ces équipements. Les résultats montrent que le problème principal reste la « distraction » suscitée par ces derniers : abandon des tâches prioritaires, recherches non réalistes de trafics détectés, trop d’alertes audio lors de phases de vol chargées, manipulation des équipements, etc.
Sans oublier dans certains cas le syndrome de la « tête dans le cockpit » et une détérioration du « voir et éviter », l’attention se focalisant sur l’équipement EC.
D’où le paradoxe relevé en termes de sécurité et d’usage. Ainsi, les équipements EC semblent être moins efficaces et plus négatifs à l’usage dans des phases de vol et des situations où le risque de collision en vol est le plus élevé (point confirmé par la littérature), notamment en zones à fort trafic (tours de piste, ascendances, espace aérien encombré). Des pilotes finissent par ignorer les alertes, pour éviter la distraction et la surcharge. Aussi, dans leurs formes actuelles, ces équipements sont moins efficaces (du point de vue des facteurs humains) dans des situations où ils seraient le plus nécessaire, et ceci persistera même si la portée de détection et la compatibilité sont notablement améliorées.
Pour les vols avec l’enregistrement du suivi des regards des pilotes, plus de « cibles » non équipées EC ont été identifiées que des appareils équipés EC, confirmant les problèmes de compatibilité entre les différents systèmes. Les limitations du « voir et éviter » ont été démontrées, avec des appareils non identifiés durant plusieurs minutes bien qu’en bonnes conditions météorologiques. L’étude a révélé que la portée visuelle « réaliste » est d’environ
3 km et jusqu’à 5 km en conditions parfaites. L’impact d’un pilote cherchant le visuel sur une « cible » équipée EC au-delà de la portée visuelle a été clairement montré comme une menace. Pendant ce temps, le « voir et éviter » d’autres appareils n’est plus (ou moins bien) assuré.
En haut, scan visuel par un pilote d’hélicoptère lors de l’étude. 40 secondes de recherche d’autres trafics sur 140° de champ visuel. Ci-dessous, le même après détection d’un autre aéronef par son EC. Son scan de 60 secondes se concentre sur le secteur déterminé par l’EC (la cible est « à midi » mais à 15 ou 20 km) et il néglige la surveillance sur les autres secteurs à proximité…
Parmi les données relevées dans cette étude, on note des points plus ou moins connus :
– des études aux USA ont montré que les collisions interviennent dans toutes les phases de vol, mais la plupart à moins de 5 km d’un aérodrome, la majorité sous les 1.000 ft de hauteur. Près de 40% se font en phase d’approche, près de 60% en tour de piste.
– malgré ces chiffres et les faibles probabilités d’occurrnce, certaines collisions ont lieu en croisière, plutôt par bonnes conditions météo (trafic plus important).
– si des collisions avec des planeurs ou des voilures tournantes sont comptabilisées, 85% sont des collisions entre deux avions.
– la technique du « scanning » par le pilote reste essentielle avec deux exemples possibles. Mais cela reste insuffisant puisqu’une étude mathématique a montré qu’un pilote ne faisant que de la recherche visuelle d’autres trafics, observant par pas de 10° sur 270° horizontalement, toutes les secondes (comme recommandé par la FAA) n’est pas certain d’éviter une collision, notamment vis-à-vis d’appareils se rapprochant avec une grande vitesse relative.
Deux méthodes de « scanning » à utiliser (Skybrary, 2023). Ndlr : celle de droite est sans doute plus optimale en repassant par le point central…
– des études de recherche visuelle entre Piper Saratoga et Cessna 210 ont donné une moyenne de 2 km de portée réelle. La détection est meilleure avec des trajectoires différentes et non pas en face-à-face (1,5 km environ). Ces chiffres pourraient être encore plus faibles avec des aéronefs peu visibles (ULM, planeurs, autogires) et aussi fonction des vitesses de rapprochement et des conditions météo.
– le problème des convergences de trajectoires à gisement constant (pas de mouvement relatif de l’autre appareil) est rappelé. L’expérience de vol (nombre d’heures de vol) n’est pas un facteur décisif dans tous les cas.
– des essais entre un Cessna 172 et un drone DJI Phantom, en conditions VMC de jour, ont montré que la détection du drone se fait à environ 160 m de distance. Ceci bien que le pilote de l’avion connaissait la présence du drone. Ce dernier n’a pas été vu lors de la moitié des simulations. C’est encore plus vrai en phase d’approche quand le pilote est pris par d’autres tâches. Un drone en vol stationnaire n’a été aperçu que 3 fois lors de 22 approches.
– une étude de la CAA britannique a révélé que 89% des pilotes interrogés considéraient que des équipements EC seraient bénéfiques à la sécurité des vols mais que le « voir et éviter » reste la seule solution vis-à-vis de drones. La CAA veut ainsi passer du « voir et éviter » au « voir, être vu et éviter ».
Lors des essais en conditions réelles, avec des équipements enregistrant le regard des pilotes (eye-tracking), ceux-ci ont effectué quatre vols, le premier sans qu’ils connaissent l’objectif de l’étude pour ne pas modifier artificiellement leur comportement en vol. Plusieurs vols sont détaillés dans l’étude avec des aéronefs différents, des pilotes d’expériences variées, avec des photos montrant les situations simulées.
La méthode de ces essais en conditions réelles n’a pas été considérée comme parfaitement scientifique (faible échantillon, grande disparité des paramètres) mais leur analyse a permis de mieux appréhender le contexte. Ceci faisait suite à une enquête sur la base du volontariat et sans rétribution, avec 2.084 réponses reçues de 1.370 pilotes d’avions de moins de 5,7 tonnes (75,5 %), 85 d’avions de plus de 5,7 tonnes, 171 pilotes de planeurs ou motoplaneurs, 52 pilotes d’hélicoptères, 44 d’autogires, 9 de vol libre, 9 de paramoteur, 1 aéronaute… certains pratiquant plusieurs disciplines.
165 n’utilisaient pas d’équipements EC, 184 utilisaient un transpondeur, soit 1.735 équipés EC avec ou sans transpondeur ADS-B. Les équipements vont du TCAS au Flarm ou Powerflarm via SafeSky ou PilotAware. À la question « L’EC vous a-t-il évité un Airprox ou une collision ? », sur 882 réponses, 44 ont répondu « de nombreuses fois », 296 « à certaines occasions », 542 « une ou deux fois ».
Considérant à juste titre qu’un rapport d’étude trop volumineux a peu de chance de « diffuser » les points clés des conclusions au sein de la communauté Aviation générale, les auteurs ont synthétisé les résultats avec des recommandations. Les voici :
Les 6 conseils « facteurs humains » en utilisant des équipements EC :
– en moyenne, les EC détectent moins de 50% des autres usagers de l’espace aérien (moins de 80% même avec la meilleure combinaison d’équipements multi-fonctionnels).
Ne vous attendez pas à ce que les EC détectent tout.
– les appareils que votre EC détecte ont des EC mais peuvent ne pas détecter votre propre EC. Considérez qu’ils ne vous détectent pas et ne vous attendez jamais à ce que des appareils détectés par EC vous évitent.
– Attention à ne pas « se disperser ». Ne perdez pas de temps à rechercher visuellement des aéronefs détectés par EC qui sont :
1) clairement pas des menaces,
2) à plus de 5 km de distance (la distance réaliste de contact visuel se trouve sous les 3 km). Sinon, vous vous dispersez sérieusement et n’assurez plus les autres priorités du vol.
– Considérez que les nouvelles alertes de trafic ne proviennent PAS d’une cible existante détectée par l’EC, jusqu’à ce que vous en ayez la certitude. En d’autres termes, évitez l’illusion du « deux en un ».
– Quand vous prenez des décisions, posez-vous la question : « Ferai-je cela si je n’avais pas d’EC à bord ? ». À moins que la réponse soit un Oui franc, ne le faites pas.
Ne vous appuyez pas à 100% sur l’EC.
– Vous devez augmenter votre confiance dans l’EC en tour de piste, notamment sous forte charge de travail. Essayez d’ajouter des recherches visuelles sérieuses dans votre pratique, notamment lors des vérifications en vent arrière.
Les 4 points « clé » de la gestion des EC :
– Coupez votre EC quand vous êtes au sol et hors de la piste. Les alertes au sol constituent une distraction non souhaitable pour les autres pilotes sur l’aérodrome ou dans le circuit.
– Utilisez une aide sonore pour augmenter l’efficacité de votre scan visuel et sachez la diminuer quand vous en avez besoin.
– Sachez utiliser les filtres de détection pour supprimer les parasites non voulus. Évaluez l’intérêt de cibles EC au-delà de 15 km et à plus de 5.000 ft au-dessus ou au-dessous
de vous.
– Modifiez vos check-lists :
1) (prévol) Assurez vous que vos équipements portables sont à jour et bien chargés, prenez les bons supports et les bons câbles et adaptateurs.
2) (avant décollage). Ajoutez une ligne pour vous assurer que votre EC est bien allumé avant de vous aligner.
3) (au retour au parking). Ajoutez une ligne dans la check pour couper votre EC après avoir libéré la piste.
Deux points de vulnérabilité à prendre en compte :
– les essais avec « eye-tracker » ont montré que chercher avec attention d’autres trafics via le « voir et éviter » ne garantit pas d’identifier un appareil.
– des angles morts et des « zones grises » diminuent l’efficacité d’un scanning visuel extérieur sans que les pilotes ne le sachent. Dans le cas d’un cockpit côte-à-côte, les deux pilotes doivent discuter de cette menace avant de décoller.
Il était demandé aux pilotes ayant participé à l’étude où ils plaçaient leur équipement EC portable dans le cockpit. Les pourcentages évoquent la localisation des EC sur 1.362 réponses avec certains endroits augmentant les angles morts…
En conclusion, le rapport précise que d’autres recherches devront être menées à l’avenir, avec des domaines peu ou pas analysés par cette première étude. Et l’on peut ajouter un dernier conseil, celui d’éviter de transiter à proximité d’espaces aériens encombrés à des altitudes « rondes ». Mieux vaut passer à 1.300 ft qu’à 1.500 ft ou à 2.800 ft plutôt que 2.500 ou 3.000 ft… Ouvrez l’oeil, voire les deux ! ♦♦♦
Photos © GASCo
En ouverture : un aéronef non détecté dans le circuit, puis trouvé visuellement (le rond bleu est le regard du pilote noté par l’eye-tracker), entraînant un départ en virage à droite, notable sur la photo. L’autre appareil était beaucoup plus près que ne le révèle la photo…
Lien pour télécharger l’étude intégrale (147 pages, en anglais).
GASCoEC2023