Dans le sillage d’un rapport d’enquête de sécurité du BEA-É…
Traitant des accidents ou incidences survenus avec des aéronefs gérés par les forces armées, le BEA-É (ex-BEA-D avec D pour Défense) publie peu de rapports mais ceux-ci sont extrêmement détaillés et très informatifs, s’avérant bien souvent intéressants pour des usagers civils.
Leur structure est toujours identique : « Les faits, utiles à la compréhension de l’évènement, sont exposés dans le premier chapitre du rapport. L’identification et l’analyse des causes de l’évènement font l’objet du deuxième chapitre. Le troisième chapitre tire les conclusions de cette analyse et présente les causes retenues. Le BEA-É formule ses recommandations de sécurité dans le quatrième et dernier chapitre ».
À titre d’exemple, un rapport de 2022 évoque la « presque collision » survenue entre deux appareils civils lors d’un transit à proximité d’une base aérienne. Ce « croisement dangereux » bénéficie ainsi d’un rapport de 35 pages que le lecteur peut lire en version intégrale avec le lien en bas de page. Lecture recommandée !
Pour résumer, voici le contexte de l’événement : un Piper PA-28 en vol d’instruction (instructeur et élève à bord) effectue le contournement par l’est de la CTR de Salon-de-Provence, du sud vers le nord, via le transit VFR bidirectionnel recommandé, avec une clairance à 1.700 ft puis 1.800 ft QNH. Un Extra NG (pilote seul à bord) se présente en entrée de zone au nord à 1.700 ft QNH pour effectuer le même transit en sens opposé. Les deux appareils sont dans la CTA 1 de Salon-de-Provence, espace de classe D.
Le rapport précise que dans ce cas, « le contrôleur n’assure pas la séparation entre aéronefs VFR/VFR et l’anti-abordage est de la responsabilité des commandants de bord, qui appliquent la règle de l’air « voir et éviter ». Les deux aéronefs, en conflit potentiel de trajectoire, sont gérés par le contrôleur Transit de Salon-de-Provence, depuis la salle Approche de la tour de contrôle. Le chef de quart n’est pas présent dans cette salle car il cumule ses fonctions avec celles de chef de section Vigie. Le chef de section Approche est quant à lui présent, mais cumule ses fonctions avec celles de contrôleur instructeur, au profit d’un contrôleur en reprise d’activité ».
Le contrôleur Transit donne alors « à l’Extra NG une clairance à 2.000 ft QNH qui l’oblige à croiser l’altitude du PA-28 durant sa montée. L’étagement réalisé est de… 200 ft. Le contrôleur transmet à la radio une information de trafic aux équipages. Par ailleurs, la fréquence radio, presque totalement occupée, fait l’objet de plaintes de la part de certains usagers, du fait de la mauvaise qualité des communications. Le pilote de l’Extra NG, en montée, répond à l’information mais n’a pas de visuel, tandis que l’équipage du PA-28 ne répond pas ».
« Le contrôleur ne réitère pas l’information de trafic et se concentre sur deux autres situations conflictuelles dans la zone. En effet, le trafic est un des plus denses des cinq derniers mois, suite à trois jours de mistral, ayant drastiquement limité l’activité aérienne. Du fait d’une erreur instrumentale, le PA-28 vole à une altitude supérieure à la clairance reçue par l’équipage. Pendant 25 secondes, l’écran radar indique le niveau de vol FL 17 pour les deux aéronefs, susceptibles donc d’être ponctuellement à la même altitude. Cinq secondes plus tard, les appareils se croisent à faible distance, à une vitesse relative d’environ 300 Kt. Le pilote de l’Extra NG a vu le PA 28, tandis que l’équipage du PA-28 n’a pas vu l’Extra NG ». Les deux équipages, indemnes, poursuivent leur vol.
Comme on le lit entre les lignes, les causes sont multiples. Rien de nouveau sous le soleil ! Une « situation non souhaitable » est souvent liée à de multiples paramètres qui mettent en place une chaîne d’événements parfois anodins pouvant mener à l’accident. Ainsi, dans ce rapport, on note de multiples causes :
– un manque de ressources humaines pour gérer l’espace aérien, avec une réorganisation à la dernière minute des postes du contrôle,
– une activité aérienne importante sur ce secteur de vol,
– une conscience erronée de la situation pour les équipages et le contrôleur,
– des problèmes de qualité des communications sur une fréquence déjà bien encombrée, imposant de répéter des messages. Au moment du croisement des deux appareils, le taux d’occupation de la fréquence est de 94%. En d’autres termes, il reste 3,6 secondes par minute pour intervenir sur la fréquence !
– un équipage qui ne collationne pas une information, mais en instruction, il est facile de rater un message quand l’instructeur échange avec son élève, et le contrôleur, pris par le temps, n’a pas répété l’information de trafic, bien qu’aucun des deux aéronefs n’ait confirmé un visuel sur l’autre, sans doute par confusion avec le message d’un troisième aéronef,
– la surveillance au radar reste insuffisante alors que les deux appareils affichent à l’écran un niveau de vol identique,
– le rapport rajoute « l’exigence du pilote de l’Extra NG » que le contrôleur a reconnu sur la fréquence,
– la confiance que le contrôleur accorde au pilote de l’Extra NG, ayant de plus l’impression qu’un visuel a été acquis sur le trafic inverse,
– une erreur altimétrique entre transpondeur et altimètre pourrait avoir entraîné une sous-estimation de l’altitude par l’équipage du PA-28.
N’en jetez plus ! On peut surtout retenir comme « cause principale » le fait de faire croiser deux appareils à la même altitude alors qu’ils sont sur des trajectoires opposées, même avec un étagement de seulement 200 ft (1.800 pour l’un et 2.000 pour l’autre). Cet étagement souligne le rapport est « trop faible compte tenu de la tolérance accordée aux instruments ». De plus, « la mise en défaut de la règle de l’air « voir et éviter » est due à la limite physiologique de la capacité visuelle n’ayant pas permis la détection réciproque des aéronefs arrivant face à face par les équipages, compte tenu de leurs faibles dimensions angulaires, de la vitesse de rapprochement élevée et de leur ergonomie combinée à un léger étagement en altitude », problème déjà connu avec les limites du « voir et éviter », surtout avec 300 Kt de vitesse de rapprochement…
Le rapport précise bien que « la précision de pilotage en altitude des équipages est dans les normes pour un vol VFR ». Et l’on ne peut qu’approuver ! L’équipage du PA-28 a maintenu sa consigne de 1.800 ft « avec une précision de + 28 ft/-72 ft ». tandis que le pilote de l’Extra NG a maintenu 1.700 ft QNH avec une précision de +81/-35 ft, puis 2.000 ft QNH avec une précision de +3/-77 ft. Le rapport précise que l’espacement vertical lors du croisement a dû être compris entre… 12 et 112 ft.
En conséquence, parmi ses multiples recommandations en fin de rapport, le BEA-É recommande « à l’armée de l’Air et de l’Espace, à la Marine nationale, à l’armée de Terre ainsi qu’à la direction des services de la navigation aérienne (DSNA), de rappeler à l’ensemble des contrôleurs que tout étagement de deux aéronefs en VFR, inférieur à 500 ft, présente un risque de rapprochement dangereux ». C’est du bon sens…
Or, nombreux sont encore les transits imposés à des altitudes fixes, notamment le long des bases aériennes (Avord, Luxeuil, Evreux, Orléans-Bricy, Salon-de-Provence, etc.). S’il faut bien une indication d’altitude précisée sur la 1/500.000e pour donner une première valeur aux pilotes lors de leur préparation de vol, il faudrait que cette valeur ne soit pas strictement imposée dans la réalité, lors du vol en conditions réelles. Les 500 ft d’étagement recommandé par le BEA-É correspondent d’ailleurs à la valeur empirique mais appliquée par tous lorsque l’on survole un aérodrome, avec 500 ft minimum au-dessus du tour de piste.
Aussi, il serait bon sur de tels transits que les aéronefs soient étagés selon leurs caps, avec pourquoi pas 250 ft en dessous de la valeur indiquée sur la carte dans un sens et 250 ft au-dessus de cette valeur pour les aéronefs croisant dans l’autre sens. On ne peut pas en effet compter sur le « voir et éviter » ni sur la vigilance d’un seul contrôleur qui peut soudainement se trouver sous pression temporelle avec d’autres trafics arrivant sur la fréquence ou d’autres situations conflictuelles dans un autre secteur. On peut s’étonner d’ailleurs que de telles pratiques (faire croiser face à face des appareils sur des routes parfaitement opposées…) soient encore imaginables…
Et si le contrôleur ne le propose pas de lui-même, il n’est pas interdit à un pilote n’annoncer qu’il descend à telle altitude, histoire « d’assurer la sécurité dans le plan vertical » et ainsi de mieux voir se découper dans le ciel l’aéronef venant en route inverse. L’allumage des phares est un « plus » pour se faire voir mais insuffisant. Ouvrez les yeux sur de tels transits ! ♦♦♦
Pour les limites du « voir et éviter », on pourra consulter deux autres articles déjà publiés sur aerovfr, sur ce sujet. Liens ci-dessous.