Dans le sillage d’un rapport du BEA, les rôles en place avant sur avion monopilote.
Sur nos avions « légers » dits ELA1 et ELA2, soit des aéronefs motorisés par des moteurs à pistons et ne faisant pas partie des « machines complexes », le pilotage se fait en monopilote, soit un seul pilote comme commandant de bord. Un récent rapport du BEA montre qu’une confusion des rôles peut se mettre en place parfois dans certaines situations.
Un pilote et propriétaire d’un PA-46 souhaite maintenir la validité de son autorisation d’accès à l’altiport de Courchevel, obtenue en février 2021 et doit donc s’y rendre en août 2021 à quelques jours de la fin de validité, alors limitée à 6 mois. Depuis la délivrance de son autorisation d’accéder à l’altiport de Courchevel, il n’a pas effectué d’autres atterrissages. Il a effectué quelques atterrissages entre 2018 et 2019 à Megève mais en double commande et il n’a pas d’autre expérience de vol et d’atterrissage en montagne.
Au vu de son expérience récente et totale en montagne, et notamment à Courchevel, il a souhaité « être accompagné d’un pilote expérimenté ». Ce dernier était une connaissance rencontrée à plusieurs reprises par le passé mais avec lequel il n’avait jamais volé auparavant. Ce pilote en place avant droite détenait une licence ATPL, complétée d’une qualification de classe SEP et d’une qualification d’instructeur FI(A), toutes en état de validité. Il ne disposait pas d’expérience de vol en montagne mis à part quelques vols à La Réunion et des atterrissages à Courchevel en tant que passager.
Le pilote en place avant gauche a indiqué par la suite qu’il « a jugé être capable de faire le vol si le passager l’accompagnait, ce dernier s’étant montré rassurant sur sa connaissance du milieu montagneux et étant instructeur. Il pensait que le passager pourrait l’aider à conduire le vol. Selon le pilote, le passager lui avait toutefois indiqué avant le vol que son positionnement pouvait poser problème en termes de responsabilités car il n’était pas qualifié pour l’atterrissage à Courchevel comme pilote et encore moins comme instructeur montagne », précise le rapport du BEA.
Lors du vol, le passager a aidé le pilote a identifier les repères mentionnés sur la fiche VAC de Courchevel. Le pilote se « sentait confiant avec le passager et pensait que ce dernier pourrait l’assister au pilotage dans certaines phases du vol. Une fois l’avion en finale, il a pris conscience que le passager n’avait pas l’intention de l’aider en agissant sur les commandes. Le passager lui donnait cependant quelques conseils sur la tenue des paramètres ».
Le passager avant indique « qu’il avait été convié par le pilote à participer à ce vol comme passager. Il n’était selon lui pas prévu qu’il ait un rôle d’instructeur ». S’il n’avait pas prévu de prendre une part active à la conduite du vol, « lors de l’alignement en vue du décollage de Cannes, au moment d’appliquer la puissance, il indique que le pilote lui a laissé les commandes de manière inopinée. Il a décollé puis piloté pendant quelques minutes avant que le pilote ne reprenne les commandes ».
Lors de la descente du niveau de croisière vers le point W de Courchevel, à passer à 7.000 ft, le pilote « l’a questionné sur la pertinence d’effectuer un 360° pour résorber l’excédent d’altitude. Cette proposition lui a semblé adaptée. Au cours du virage, le pilote lui a transféré les commandes au motif qu’étant assis à droite, il serait mieux à même de finir le virage. Le pilote a repris les commandes à l’issue du virage ».
En finale, le pilote se trouve trop bas sur le plan et indique que le passager n’était pas du même avis. Il décide toutefois « d’effectuer un palier et l’annonce. Il précise ne pas avoir appliqué de puissance pour ce palier et ne pas avoir entendu l’avertisseur de décrochage. Il indique avoir ensuite réduit la puissance et effectué l’arrondi ».
Constatant que le pilote ne « réajustait pas la puissance et observant une diminution de la vitesse (Ndlr : 85 Kt annoncés lors du briefing Arrivée), le passager se souvient avoir annoncé « Vitesse ! » à deux reprises. Lorsqu’elle a atteint 70 Kt, il a annoncé « 70 Kt ! » en se tournant vers le pilote ». Ce dernier regardait « uniquement à l’extérieur de l’avion, focalisé sur le point d’aboutissement. Le passager a alors poussé la manette des gaz jusqu’à la butée, en mettant sa main sur celle du pilote, qui l’a laissé faire. Puis le pilote a réduit la puissance et a mis l’assiette à cabrer. Le passager indique qu’il n’a pas compris la raison de cette action. La collision avec le talus est intervenue juste après ».
L’analyse de la trajectoire, après enquête, a montré qu’en base, l’avion était 400 ft sous l’altitude préconisée par la fiche VAC et que 40 secondes avant la collision, l’avion était à 6.355 ft, à 1.900 m du seuil, sous le plan d’approche et proche de l’altitude du seuil de piste (6.371 ft). Le palier a entraîné la diminution de la vitesse sol de 90 à 78 Kt, l’avertisseur de décrochage se déclenchant lorsque la vitesse… sol a atteint 78 Kt, peu avant l’augmentation de puissance décidée par le passager. Parmi les facteurs contributifs sont citées la « descente prématurée en étape de base » – alors que les bonnes pratiques en montagne préconisent une mise en descente en finale après interception du plan de descente – et une « appréciation erronée de la position de l’avion par rapport au plan de descente en finale ».
Le BEA note par ailleurs que la durée de la formation à l’autorisation d’accès à Courchevel a probablement été insuffisante pour acquérir les compétences pour atterrir en sécurité, au regard de l’absence d’expérience au vol en montagne. Cette expérience insuffisante « a été identifiée comme facteur contributif dans plusieurs accidents survenus lors d’atterrissages sur altiport ces dernières années », note le BEA, citant trois autres cas survenus à Courchevel entre février 2017 et juin 2022.
À l’époque, il est vrai que la réglementation n’imposait pas un programme de formation, ce qui a été modifié par un arrêté en juillet 2023 prévoyant notamment une formation désormais en ATO/DTO, des formations théoriques et pratiques basées sur les spécificités de l’altiport concerné (aérologies, limitations) et sur les performances de l’appareil utilisé. De plus, le programme doit aborder notamment le pilotage et la navigation en région montagneuse, l’aérologie de montagne et locale, la reconnaissance, le circuit de piste, l’atterrissage et le décollage.
Pour le BEA, « les particularités des approches sur altiport (repères visuels, gestion du plan et de la puissance, aérologie, précision du pilotage, choix du point d’aboutissement…) nécessitent des habiletés et des compétences spécifiques. Pour un pilote sans expérience préalable d’atterrissage en montagne, plusieurs vols réalisés dans des conditions différentes (météorologiques, opérationnelles, environnementales) peuvent être nécessaires pour acquérir ces compétences afin d’atterrir et décoller en sécurité. Cet apprentissage semble difficilement compatible avec une formation sur une journée unique ».
Au-delà de ce rapport, on lit entre les lignes une confusion dans les rôles respectifs en place avant. Le pilote s’est « reposé » sur la présence de son passager qui avait pourtant bien annoncé n’être ni qualifié montagne ni instructeur montagne, et donc simple passager. La présence de son passager – l’ATPL et le FI(A) ne sont pas gages d’une expérience de vol en montagne et encore moins d’atterrissage sur altiport – le rassurait sur la base d’une fausse idée de l’expérience totale de vol d’un pilote… La formation sans doute insuffisante par sa durée (6 tours de piste en une journée) et l’absence d’expérience récente (autorisation acquise 6 mois plus tôt) ont fait que le pilote n’était pas sûr de sa prestation, souhaitant s’appuyer sur l’analyse de son passager avant droit. Or ce dernier ne pouvait répondre à ses attentes, le pilote étant le seul commandant de bord.
D’où l’enseignement de sécurité mis en conclusion du rapport sous l’intertitre « Vol sur avion monopilote » : « Lors de la réalisation d’un vol sur un avion monopilote, le commandant de bord est responsable de la conduite et de la sécurité du vol. La présence d’un passager en place droite, lorsque celui est un pilote plus expérimenté, voire un instructeur, est susceptible dans certains contextes d’altérer la gestion de certaines phases de vol. Le commandant de bord peut alors reporter une partie de son jugement sur la personne qui l’accompagne. La définition avant le vol d’une répartition claire des rôles de chacun et une prise de conscience commune que ce contexte peut être une menace potentielle pour la sécurité du vol peuvent permettre de diminuer les risques associés à cette configuration ».
Les paroles volant, les écrits restant, le nom du commandant de bord peut être « officialisé » en l’inscrivant dans le carnet de route avant le décollage. Et il faut répéter, le membre d’équipage le plus expérimenté à bord n’est pas forcément le commandant de bord, même s’il est en place avant droite, qui plus est avec la qualification d’instructeur s’il s’agit d’un vol hors instruction, où il se trouve à bord comme simple passager. On se souvient par le passé d’un instructeur, assis en place arrière d’un quadriplace, mis en cause à la suite d’un événement sur la base d’avoir la plus forte expérience à bord… ♦♦♦
Lien vers le rapport complet du BEA
PA46Courchevel