Entre les lignes d’un rapport d’enquête concernant un projet de centrale photovoltaïque.
Les menaces sur les aérodromes de l’aviation générale ne sont pas nouvelles, avec quelques fermetures de terrains ces dernières décennies – de Guyancourt à Sallanches en passant
par Vittel… – mais chaque année apporte son lot de risques de fermeture ou de contraintes supplémentaires, quand ce n’est pas le gestionnaire de la plate-forme qui décide d’écarter l’activité associative à coups d’augmentation des loyers ou de non-reconduction des Autorisations d’occupation temporaire (AOT).
Parmi les derniers dossiers en 2023 figure notamment celui de l’aérodrome du Blanc.
En février dernier, les inquiétudes des usagers de ce terrain (centre de parachutisme, clubs
de vol moteur, club de vol à voile avec départs au treuil ou derrière remorqueur, club d’aéromodélisme) portaient sur un projet d’implantation de panneaux photovoltaïques, porté par une société , propriété des cantons suisses (filiale d’un groupe distributeur d’énergie, se présentant comme le leader européen du marché des énergies renouvelables) et devant délivrer une puissance supérieure à 250 kW. Sur les 75 hectares de l’emprise de l’aérodrome, 35 devaient ainsi être dévolus à des panneaux, dont un bâtiment utilisé par les vélivoles.
Les panneaux – 32.481 cellules à l’ouest de la piste et 31.372 à l’est – sont alors prévus de chaque côté de la piste en dur (les « délaissés ») et à proximité de cette dernière, avec de plus des installations techniques, postes de transformation et local de maintenance.
Le centre de parachutisme, reconnu au niveau national et européen et qui reçoit des compétiteurs et des chuteurs du GIGN, a mis en avant des problèmes de sécurité, notamment pour les parachutistes débutants susceptibles d’atterrir au milieu des panneaux.
En bleu, les deux zones d’implantation des panneaux solaires, encadrant la piste.
Plan à comparer avec la photo d’ouverture…
Aussi, une enquête publique a eu lieu du 9 mai au 13 juin 2023. Les conclusions ont été diffusées fin juillet et le dossier complet est consultable sur le site de la préfecture de l’Indre. La lecture du rapport mérite le détour pour noter le « fonctionnement » des acteurs autour d’un tel dossier, et offre – parfois entre les lignes – des pistes à suivre pour d’autres usagers aux prises à l’avenir dans un dossier similaire.
S’agissant « d’une première pour le Centre Ouest et peut-être nationale, le commissaire dans ses investigations n’a pu obtenir de la Direction Générale de l’Aviation Civile la confirmation que le fait d’avoir deux parcs photovoltaïques n’allait pas générer des perturbations dangereuses (effets de pompes ascendantes/descendantes) pouvant créer un effet de cisaillement pour les activités et particulièrement pour les écoles de parachutisme.
La DGAC ne disposait pas d’étude aéraulique (non obligatoire) pour se prononcer sur ce sujet ». En complément « le commissaire a pris contact avec l’aérodrome de Marville.
Bien qu’il s’agisse d’une très belle réalisation, la configuration est semblable mais l’activité y est complètement différente puisqu’il s’agit d’activités ULM ».
Les élus du Blanc soutenaient le projet de la société suisse. C’est la logique puisque tout porteur de « projet industriel » fait miroiter l’emploi généré. Ce qui ne peut être que positif pour des acteurs politiques aux prises avec l’endettement de l’agglomération du Blanc, celle-ci étant endettée à hauteur de 1.627 euros par habitant jusqu’en 2042. Mais généralement, il n’est pas mentionné que le pic de l’emploi est surtout généré par la mise en place des installations, donc sur du court terme et qu’ensuite, au rythme de croisière, la présence humaine est très réduite, mis à part de la maintenance épisodique, le suivi technique pouvant parfois se faire à distance.
Le conseil général des Hautes-Alpes pourrait témoigner sur ce sujet, avec un projet similaire proposé il y a quelques années sur l’aérodrome d’Aspres-sur-Buech, ayant poussé le CG à prendre une option sur un aérodrome privé à proximité pour délocaliser les activés aéronautiques associatives, avant de découvrir l’usage de produits chimiques incompatibles avec les normes d’un secteur Natura 2000, qui plus est pour une installation n’étant qu’un prototype de faisabilité avant une commercialisation du concept dans d’autres pays…
Au Blanc, la consultation du public a été réalisée. Le rapport signale une « faible participation du public », d’où l’importance pour les usagers d’être bien présents, avec un même discours, avec un regroupement des utilisateurs aéronautiques, ce qui est le cas au Blanc avec une association des usagers de l’aérodrome. On note que « sur le registre papier se sont manifestés essentiellement des proches du conseil municipal et des membres d’associations présentes sur le site de l’aérodrome ». Il n’y a pas eu « un intérêt manifeste des administrés de la commune de Le Blanc car les productions favorables sont essentiellement d’origine de conseillers ou proches de la mairie. Il est impossible de savoir si ces productions sont des avis personnels ou des avis retranscrits du conseil municipal » précise le rapport.
Les conclusions du rapport d’enquête précisent bien que « le conseil municipal de la commune de Le Blanc est motivé essentiellement par la retombée financière, la transition énergétique et écologie » tandis que la « motivation des adhérents des clubs présents sur le site de l’aérodrome est essentiellement sécuritaire ». Les deux thèmes principaux sont donc aspect financier vs aspect sécuritaire. Le rapporteur a ainsi dégagé « les contributions favorables au projet au nombre de 15 portant sur les points suivants : intérêt économique pour la commune, transition énergétique, énergie propre » et « les contributions défavorables au projet au nombre de 31 » abordant les thèmes suivants : sécurité des activités aéronautiques sur site, incompatibilité avec les écoles de parachutisme, vol à voile, vol moteur et aéromodélisme, délai d’intervention allongé en cas d’accident, solidité financière du projet, faune et flore perturbées…
Le commissaire s’est également questionné sur ce parc photovoltaïque bilatéral à la piste qui serait une première nationale, pouvant mettre les activités en péril alors que Le Blanc est le seul site en région Centre. Les questions posées au porteur de projet ont reçu réponses à « l’exception du classement « délaissé », autre installation comparable, sécurité des activités » note le commissaire. Pour ces trois points, il a « échangé avec les services de la DGAC Ouest et PARIS. Il en ressort que seule la DGAC Ouest a répondu uniquement sur l’aspect vol moteur et vol à voile. De plus elle ne s’est pas prononcée sur les perturbations d’ascendances au-dessus des deux parcs photovoltaïques qui concernent particulièrement l’activité vol à voile et parachutisme ».
En conclusion, le commissaire a listé tous les points soulevés et pris en compte durant l’enquête, rappelant que le projet est conforme à la réglementation et qu’il « s’inscrit dans le programme de développement des énergies renouvelables en accord avec les projets gouvernementaux ». Notant que l’enquête publique s’est déroulée selon les dispositions en vigueur, il est mentionné que « le projet rapporterait 700.000 € chaque année de la collectivité » mais que les « associations, seules impactées par le projet, ne sont pas indemnisées ».
On lit également qu’une convention de transfert de propriété de l’Etat – le désengagement de l’Etat dans ce domaine… – à la commune du Blanc, en décembre 2008, a été remplacée par un acte de propriété que les services de la mairie du Blanc n’ont pu fournir et que le commissaire de l’enquête publique n’a pas pu obtenir auprès des archives départementales ! C’est seulement dans les conventions avec les associations que le commissaire a pu relever qu’il existait un acte de propriété postérieur à la convention puisque la mairie se disait propriétaire de la parcelle. Ainsi, il n’a pas été possible de voir si l’acte de propriété précisait des restrictions quant à l’usage de l’espace cédé.
Pointant le fait que le site est prévu de part et d’autre de l’unique piste, constituant « des obstacles aggravants en cas d’accident pour les aéronefs empruntant l’aérodrome » et que « les textes fournis » par la DGAC « ne sont pas adaptés » au parachutisme et son école mais au vol moteur, et donc que ces espaces « devraient être considérés comme sécuritaires ». L’importance départementale et nationale de l’école de parachutisme a été vérifiée. Rappelant que la mairie n’a pas été en mesure de fournir l’acte de propriété de la parcelle concernée, considérant « un premier avis défavorable de la DGAC au motif des risques d’éblouissement par les panneaux solaires » mais considérant « un deuxième avis favorable au reçu d’une étude par la société Cytelia sur les risques d’éblouissement et le remplacement des panneaux standards par des panneaux anti éblouissement »
Le commissaire a pris en compte « l’utilisation de l’aérodrome par le GIGN et d’autres,
ainsi que le SAMU pour des ravitaillements d’urgence pour l’hôpital de Le Blanc » et le fait que « le courrier de la DGAC ne répond pas totalement aux questions posées et que les textes réglementaires nombreux et complexes adressés au suivi du lien fourni concernent la navigation aérienne » et que la « DGAC Ouest confirme qu’il n’y a pas dans le Grand Ouest de projet de cette ampleur ». Considérant « que la DGAC a exclu les sujets d’aérologie de son instruction des dossiers photovoltaïques », que « quatre associations utilisent cet espace, aéromodélisme, vol à voile, vol moteur, et parachutisme chacune avec une école de formation » selon « les conventions aux associations établies par la mairie du Blanc »
et finalement que « l’installation des panneaux photovoltaïques constitue des obstacles aggravants en cas de mauvaise manoeuvre et particulièrement pour l’école de parachutisme, le vol à voile et dans une moindre mesure les autres écoles », le commissaire a émis
un « avis défavorable ».
Mais il précise aussitôt que « ceci est l’avis du commissaire enquêteur, il est consultatif, motivé au vu des éléments portés au dossier », et qu’il « appartient à Monsieur le Préfet d’accorder ou non l’autorisation de construction du parc photovoltaïque sur la commune de Le Blanc », sachant qu’à la même période, un nouveau préfet arrivait dans la région…
En marge de ce dossier, on note également que la mairie du Blanc, début 2023, a souhaité lâcher la gestion du carburant pour des « raisons légales », la municipalité ne voulant plus être garante auprès du fournisseur de carburant et en avançant l’achat. Le maire proposait aux associations de reprendre la gestion de la station carburant alors que des travaux de mise aux normes sont à prévoir pour les cuves et que ces dernières ne sont pas propriété des clubs locaux. La mairie acceptait d’accompagner les utilisateurs pour les travaux de la cuve mais pas pour l’approvisionnement en carburant. Ceci pouvait entraîner des problèmes d’avitaillement à compter de ce mois de septembre… ♦♦♦
Ci-dessous, document à télécharger, les conclusions de l’enquête tirées du dossier complet.
LeBlanc2023