Panne moteur sur le réservoir vide alors que les trois autres réservoirs contiennent du carburant.
Le cas est classique mais bien réel, et régulièrement retrouvé d’une saison à l’autre. Le pilote d’un Piper PA-32 Cherokee Six (6-places, train fixe, 300 ch) décolle avec un passager pour un survol touristique de la côte. Les conditions météorologiques sont bonnes, avec peu ou pas de nuages, et un vent faible. Après un vol d’une durée proche d’une heure et une escale, l’appareil redécolle pour le retour au terrain d’attache avec cette fois un survol des terres.
Une vingtaine de minutes après le décollage, alors que l’avion est à environ 2.100/2.200 ft QNH, le pilote annonce à son passager un « problème » alors que le moteur perd sa puissance. Le passager non-pilote a expliqué aux enquêteurs que le pilote a alors tenté de redémarrer le moteur deux ou trois fois, agissant sur les commandes moteur, notamment la mixture. Sans succès.
Le pilote cherche alors un site pour poser le monomoteur. Le secteur est un peu vallonné, comptant quelques massifs forestiers. Le champ finalement retenue est en pente. Lors de l’enquête, cette dernière sera évaluée à 15°, pour sa partie initiale, et 11° à l’endroit de l’épave. L’atterrissage a été « dur » selon le passager. L’appareil a touché le sol de l’aile gauche en premier puis le train principal gauche, qui s’est brisé. L’avion a rebondi sur le train principal droit si fortement que l’aile droite s’est pliée vers le bas à 50% de son envergure. La partie avant du fuselage a impacté le sol, déformant la cloison moteur et brisant la roue avant. La partie arrière a été déformée. L’aile droite percutant une barrière a vu son réservoir extérieur droit éventré. Les dommages (avion non économiquement réparable) sont cohérents avec un fort taux de chute à l’impact.
Lors de l’atterrissage forcé, les deux membres d’équipage ont été gravement blessés. Tous deux ont été évacués par hélicoptère, le pilote étant inconscient. À l’hôpital, le pilote n’aura plus la mémoire de l’accident, se rappelant juste d’un moteur cafouillant puis s’arrêtant et d’un « problème de batterie ». Le passager annonce que le pilote a contrôlé les quantités de carburant avant chaque vol, que les essais moteur n’ont rien révélé de particulier. Le pilote lui a expliqué certains aspects techniques du vol comme la gestion carburant avec le sélecteur à utiliser pour changer régulièrement de réservoir, action réalisée à plusieurs reprises durant l’aller. Il n’a pas noté d’alarme Bas niveau. Le GPS utilisé à bord dispose de la fonction « Changer de réservoir », active, avec un pas de 15 mn pour les annonces.
Sur site, lors de l’évacuation, le pilote de l’hélicoptère a noté le sélecteur sur le réservoir gauche, avant de fermer l’essence, de couper les magnétos et le contact général. Une forte odeur d’essence était notable. L’appareil disposait de quatre réservoirs, un principal en métal et un marginal en composites (bidon d’extrémité de voilure) pour chaque aile, avec une jauge pour chacun des 4 réservoirs. Le tableau de bord comprenait des indicateurs de pression carburant et de consommation (fuel flow), le moteur étant à injection.
Le manuel de vol indique bien qu’un « arrêt complet du moteur est généralement dû à un manque de carburant et que la puissance sera à nouveau obtenue rapidement après l’arrivée de carburant. Si la panne intervient à basse hauteur, la première chose à faire est de préparer un atterrissage forcé. Si le temps le permet, passer les magnétos sur Droite, puis Gauche, puis Both. Actionner à différents réglages les commandes de gaz et de mixture. Si le mélange est trop riche ou trop pauvre, ou s’il y a une restriction dans le circuit carburant, cela peut être une solution. Essayer d’autres réservoirs. De l’eau dans le carburant peut prendre un peu de temps pour se résorber, et laisser le moteur tourner librement peut ramener la puissance. Si la perte de puissance est due à de l’eau, la pression carburant est normale. Si la panne moteur est due à l’absence de carburant, la puissance ne sera pas obtenue après changement de réservoir tant que les canalisations ne seront pas remplies. Ceci peut exiger jusqu’à 10 secondes ».
L’enquête a confirmé l’absence de puissance délivrée par le moteur au moment de l’impact, au vu de la déformation des pales vers l’arrière et les rayures longitudinales et non pas radiales sur le cône d’hélice. Le réservoir principal gauche contenait encore près de 30 litres. Aucun signe de contamination de l’essence n’a été relevé. Le système d’injection, les pompes électrique et mécanique ont été vérifiés sans signe de problème technique. De même pour le sélecteur carburant.
La trace enregistrée par le GPS a permis de noter un régime de croisière standard avant la panne moteur concrétisée par un virage vers la droite pour rechercher un champ et une diminution de la vitesse. Dix secondes plus tard, la vitesse est passée de 137 Kt en croisière à 83 Kt. Le taux de chute initial atteint un pic de 1.400 ft/mn 17 secondes plus tard avant de revenir à 850 ft/mn. 50 secondes après le premier virage, l’avion est à 1.500 ft QNH et la vitesse est remontée à 91 Kt. Un Mayday a été émis par le pilote. 1 mn 30 s après le virage à droite, un virage vers la gauche a été entrepris alors que le sol n’est plus qu’à 250 ft sous l’avion. Le taux de chute est de 600 ft/mn et la vitesse d’environ 70 Kt en réduction. À 160 ft au-dessus du sol, l’avion a effectué un dernier virage à gauche vers la pente ascendante d’une vallée.
En conclusion, l’enquête a déterminé que le réservoir principal droit a été vidé intégralement jusqu’à l’arrêt moteur, son contenant résiduel étant très proche de la quantité non consommable. Les dommages au réservoir marginal droit ont montré qu’il contenait de l’essence, ce qui est logique avec le manuel de vol imposant de vider en premier les réservoirs principaux puis les marginaux ensuite (diminution des moments de flexion à l’emplanture des ailes). Le réservoir marginal gauche, endommagé, n’avait plus de carburant mais les deux réservoirs principaux n’étant pas endommagés (le droit vide, le gauche contenant encore près de 30 litres), la forte odeur de carburant relevée sur le site démontre que les réservoirs marginaux disposaient bien encore d’essence.
Le pilote n’a pas suivi les consignes du constructeur et les check-lists associées. Le rapport met le doigt sur la gestion carburant, évoquant les techniques de gestion des erreurs et des menaces (TEM) en relation avec les caractéristiques de l’appareil, un manque de conscience de la situation et l’absence d’application des procédures d’urgences à mémoriser régulièrement.
Le pilote (63 ans) comptait 698 heures de vol dont 2 dans les 28 et 90 jours, dont 40 heures sur l’appareil en question, avec des vols de 30 mn à 2h00. Il avait volé la veille pour réaliser trois touchés-décollés (emport de passager) avant de compléter les pleins (partiels pour les principaux et complets pour les marginaux), avec d’importantes marges pour le vol prévu le lendemain avec son passager.
Il avait l’habitude de décoller sur le réservoir le plus plein et de changer de réservoir en vol selon les alarmes Carburant. La fonction sonore du GPS pour l’alarme « Changement de réservoir » n’était pas active le jour du vol, seulement l’affichage sur l’écran. S’il avait l’habitude de décoller sur le plus plein (le principal gauche après l’escale), il a donc dû passer « par habitude » sur le droit après 15 mn de vol et la panne est survenue 19 mn après le décollage. D’où l’importance d’éviter les automatismes mais de bien analyser le prochain réservoir à utiliser avant d’actionner le sélecteur.
Le pilote avait été propriétaire d’un Piper Saratoga par le passé avec les deux réservoirs de voilure interconnectés donc avec un sélecteur simplement Droit/Gauche/Fermé. Ceci attire l’attention sur les biais d’habitude possibles quand on passe d’un type à un autre, surtout similaire (même constructeur).
Il a cherché un champ pour se poser, en évitant des arbres et une zone urbanisée, mais sans effectuer un véritable encadrement, choisissant tardivement le site d’atterrissage forcé. Il aurait pu rallonger la trajectoire en jouant avec le pas de l’hélice et en affichant la vitesse de finesse maximale, précise le rapport d’enquête. Le manuel de vol préconise une vitesse de 80 Kt avec les pleins volets. L’atterrissage a été effectué volets rentrés avec 67 Kt, d’où le taux de chute élevé.
Les check-lists Urgence n’ont pas été suivies pour vérifier la position du sélecteur carburant, la pompe électrique, la commande de mixture, la commande d’Alternate Air, les magnétos. Mais le Master switch a été retrouvé sur la position Off. Ce qui pourrait expliquer le « problème de batterie » évoqué par le pilote après l’accident. Les harnais 3-points à inertie étaient en place, ayant assurément bien participé au maintien de l’équipage durant l’impact, en notant que la structure des sièges a été détruite.
Il est rappelé ici quelques bonnes pratiques en matière de gestion carburant et de panne moteur :
– Ne jamais faire confiance aux jauges. La quantité doit être calculée d’après la contenance des réservoirs au départ et la consommation effectuée, donc à bien mentionner dans le carnet de route de l’appareil (avant ou après vol). Dans le cas d’un totalisateur numérique, il est important que la remise à zéro soit faite lors des pleins complets avec un suivi de la consommation moyenne calculée à la suite de différents vols, selon des régimes de puissance différents.
– Des variations de consommation sont possibles en fonction du régime moteur affiché, de l’appauvrissement (mixture) mené ou non, sans compter les effets du vent sur la durée du vol prévue. Il n’est pas improbable de trouver des consommations réelles pouvant être supérieures à celles du manuel de vol, imposant de faire des calculs avec une marge de 10 à 20% pour être « du bon côté ».
– La réserve de 30 mn en VFR de jour, à l’arrivée (y compris) après un déroutement, est un minimum réglementaire. Selon le type de vol, le type de région survolée, les conditions météorologiques, etc. il n’est pas interdit d’avoir des réserves supplémentaires.
– Il est important de bien connaître le circuit carburant de son avion, surtout s’il y a plusieurs réservoirs avec des pompes de transfert. Les 10 secondes possibles pour passer d’un réservoir à l’autre sur un PA-32 doivent durer une éternité en cas de stress suite à un arrêt moteur…
– Un suivi de la consommation durant le vol s’impose, avec un changement de réservoir régulier pour équilibrer les masses. Soit le log de navigation prévient du changement de réservoir à faire, soit le GPS l’annonce oralement et/ou visuellement, soit on peut aussi passer sur le droit à l’heure + 15 mn et sur le gauche à l’heure – 15 mn, soit un changement toutes les 30 mn. Le suivi peut permettre de noter une fuite de carburant. Une consommation supérieure à celle attendue peut alors entraîner un déroutement en anticipant…
– Il est important de convertir le carburant en temps de vol et non pas de le laisser en litres ou gallons.
– Si l’appareil bénéficie d’alarmes Bas niveau, quand les jauges et/ou le calcul évoquent de faibles quantités, il peut être utile de « chahuter » l’appareil par des mouvements en lacet pour vérifier que les lampes fonctionnent bien et avertiront le pilote que les Bas niveaux sont atteints. Le temps de fonctionnement du moteur après l’allumage des témoins Bas niveaux est un paramètre à connaître.
– Il faut être préparé à gérer une panne moteur et la première action à faire est de changer de réservoir. Dans l’urgence, si la pompe électrique est mise en route après le changement, ce n’est pas grave. Ce qu’attend le moteur, c’est avant tout du carburant. Il est rare que les magnétos soient passées par inadvertance sur Off. Il est peu probable en montée initiale que la mixture soit tirée (étouffoir) par erreur à la place de réchauffe-carburateur. C’est moins le cas en vent arrière… Donc le réflexe en cas de panne moteur, changer de réservoir.
– Le stress peut être important, d’où la nécessité de réfléchir aux actions à entreprendre en amont, sans pression du temps. L’effet de sidération fait qu’un pilote peut ne pas pouvoir résoudre un calcul basique dans les 30 à 60 secondes après une panne. Attention aux prises de décision erronées car les processus cognitifs peuvent être perturbés par l’effet du stress. Ne pas « tunneliser » sur une cause de panne mais les envisager logiquement dans l’ordre possible. Une mauvaise conscience de la situation entraînera une mauvaise prise de décision.
– L’entraînement à ce type de situation permet d’être plus réactif en conditions réelles. La lecture de rapports du BEA ou de Rex permet de découvrir des situations inappropriées déjà rencontrées par d’autres pilotes, et donc d’augmenter sa culture de sécurité car il n’est pas possible pour un seul pilote de faire toutes les erreurs possibles et imaginables…
– En cas d’atterrissage forcé, il faut impérativement toucher le sol ailes horizontales et à la vitesse minimale, donc pleins volets et en ligne droite, pour diminuer le taux de chute. Dans le cas d’un champ en montée, un excédent de vitesse doit être pris en finale pour pouvoir placer l’arrondi avec une assiette finale plus cabrée sans décrocher (cf. techniques de pilotage en montagne). Les 11 à 15° du champ concerné relèvent d’une piste d’altiport ou altisurface.
– Si le temps est compté après une panne moteur (vol à faible hauteur), la priorité est de piloter pour éviter une perte de contrôle et de gérer la panne. Dans ce cas, émettre un Mayday est une perte de temps.
– Sur la gestion carburant, une menace peut provenir d’une formation sur un avion-école à unique réservoir (ouvert ou fermé), donc toujours laissé ouvert et n’entraînant pas le réflexe de suivre sa consommation et de sélectionner un réservoir. Le risque intervient alors quand le pilote ainsi formé passe sur un modèle plus puissant, à plusieurs réservoirs, en étant lâché rapidement en local mais sans faire usage des différents réservoirs à bord. La menace sera bien présente à la première longue navigation entreprise par la suite, avec passagers à bord accentuant à la charge mentale du pilote… ♦♦♦