Une synthèse libre de deux documents abordant cette situation critique.
L’article qui suit est une « synthèse libre » de deux documents concernant l’amerrissage, cités dans le rapport du BEA relatif à l’amerrissage d’un DA40. L’un a été rédigé par l’Australian Transport Safety Bureau (ATSB, équivalent de notre BEA). Il s’agit d’une recommandation de sécurité à destination des pilotes sur la meilleure manière d’amerrir, en utilisant « les techniques maximisant les chances de survie ». Le document, en anglais, partiellement traduit ci-dessous, traite également de la période post-amerrissage, en attendant les secours.
Le second est issu de la lettre « Objectif Sécurité » de la DSAC (n°18, octobre 2013), relatif à l’amerrissage d’un Cessna 210 Centurion dans le golfe de Girolata, amerrissage évoqué en vidéo à la fin de cet article. Pour ses recommandations, la DSAC s’est basée sur un document établi par l’aéro-club de Bastia Saint-Exupéry.
Si la majorité des appareils n’ont pas été conçus pour amerrir… les chances de survies telles que relevées par les services de secours anglais et américains évoquent 88% d’amerrissages avec peu ou pas de blessures pour le pilote et les passagers. Les cas de décès relèvent plus de la noyade, souvent liée à l’hypothermie et à la fatigue après l’amerrissage. Le port d’un gilet de sauvetage améliore grandement les probabilités de survie mais la durée de vie peut ne pas dépasser quelques heures dans une eau de moins de 15°C, le document français évoquant cependant des survies après quatre heures dans une eau à 10°C.
Sur internet, on trouve différents sites évoquant les temps de survie selon la température de l’eau. Soit les valeurs suivantes :
– 0°C : 10 à 45 mn
– 0 à 4°C : 30 à 90 mn
– 4 à 10°C : 1 à 3 heures
– 10 à 16°C : 1 à 6 heures
– 16 à 21°C : 2 à 40 heures
– 21 à 27°C : 3 à plus de 48 heures
– 27°C et plus : sans limite…
Les variations des durées de survie dépendent de la température de l’eau et de la durée d’immersion mais aussi du niveau d’activité physique, de la taille, de la corpulence et de la protection vestimentaire de la personne. L’eau est considérée comme « froide » sous les 25°C. Pour la Corse, le long des côtes, la température de l’eau dépasse en moyenne les 25°C que de juin à septembre.
Conseils préventifs
Une bonne préparation de la traversée maritime doit prévenir l’éventualité d’une panne. La prise en compte de ce risque doit être anticipé avec notamment la vérification de la présence, de l’état et de l’accessibilité du matériel de survie à bord. Il faut prévoir une navigation à haute altitude laissant ainsi à l’équipage plus de temps de réaction s’il faut gérer une panne moteur. Vitesse de finesse maximale (proche de la Vy) pour aller le plus loin possible, vitesse de taux de chute minimum (proche de la Vx) s’il faut se réserver du temps de réflexion et d’action.
Les règles de base
Pour amerrir, les éléments clés sont les suivants : il faut toucher l’eau à la vitesse la plus faible possible, en gardant le contrôle de l’appareil. Il ne faut pas décrocher et garder les ailes parallèles à l’eau au moment de l’impact car le contact d’une aile avant l’autre entraînera un violent cheval de bois.
En conditions idéales, il faut se poser face au vent pour diminuer la vitesse mer et donc limiter le choc, soit à la vitesse minimale de contrôle, volets sortis (l’ATSB ne recommande pas les pleins volets pour limiter la traînée…). Ceci n’est possible que par mer calme ou avec une houle très étalée. Si la houle est plus mouvementée, avec des vagues, il faut alors se poser parallèlement à la houle, en acceptant le vent de travers. Il est souhaitable de poser ailes parallèles à l’eau donc éventuellement appareil incliné selon la houle au moment de l’impact.
Se poser face aux vagues entraînerait un choc beaucoup plus important, le risque de voir le nez s’enfourner dans l’eau et surtout une décélération beaucoup plus violente pour l’équipage. En cas d’approche vent de travers pour être parallèle à la houle, il est possible de corriger la dérive. Il faut conserver de la vitesse pour pouvoir contrôler l’appareil jusqu’à l’impact sans décrocher.
L’ATSB précise cependant que pour des vents de plus de 20 Kt, avec des machines pouvant décrocher à 30 Kt ou plus, il peut être intéressant de poser face au vent pour réduire la vitesse mer à l’impact. Il faut alors viser la partie descendante de la houle. Un compromis entre vent et houle est à rechercher.
Quelques valeurs concernant les aéronefs légers sont données à titre indicatif.
– Vent de 0 à 6 Kt
Mer calme, hauteur très difficile à évaluer. Se poser parallèlement à la houle.
– Vent de 7 à 10 Kt
Petites vagues avec un peu d’écume, se poser parallèlement à la houle.
– Vent de 11 à 21 Kt
Vagues longues avec beaucoup d’écume, utiliser la composante de face du vent mais amerrissez quand au plus près de la houle.
– Vent de 22 à 33 Kt
Vagues importantes, de la mousse sur leurs crêtes, beaucoup d’écume, se poser face au vent, sur la crête des vagues ou dans la partie descendante de la houle.
– Vent de 34 Kt et plus
Vagues importantes, traînées d’écume, embruns à la crête des vagues, se poser face au vent sur la crête des vagues ou dans la houle descendante. Evitez à tout prix de vous poser face à la houle montante ou face aux vagues.
Certains manuels de vol, notamment ceux d’appareils récents, indiquent des recommandations en cas d’amerrissage, ce n’est pas le cas de tous les manuels. On peut ainsi trouver le conseil de ne pas arrondir en cas de difficulté à évaluer la hauteur de l’appareil par rapport à l’eau pour éviter tout décrochage. Cette situation se rencontre par mer absolument calme et sans repère pour évaluer sa hauteur. Aussi, si un bateau se trouve à proximité, il peut-être judicieux de se poser à proximité, sa présence latéralement, dans votre champ de vision, procurant déjà un élément de hauteur sans compter l’équipage du navire pouvant participer à votre sauvetage.
Avec des appareils équipés d’un parachute intégral, la décision de déployer le parachute pour amerrir reste une alternative à considérer.
Recommandations
– Portez un gilet de sauvetage si le temps vous le permet. Il peut être judicieux de le porter avant le décollage pour éviter toute perte de temps à l’enfiler. Dans le cas contraire, un membre d’équipage doit gérer la mise en place des gilets.
– Diminuez la masse de l’appareil si vous en avez le temps pour diminuer la vitesse de décrochage, conseil qui ne peut s’appliquer à des appareils légers, sans cargo en soute ou sans système de vide-vite !
– Assurez vous que votre train d’atterrissage est bien rentré (breaker tiré). La majorité de nos appareils étant à train fixe, ce conseil ne peut être retenu. Il faudra cependant tenter de toucher du train principal en « soulageant » au maximum la roulette avant même si celle-ci impactera qu’une fraction de seconde plus tard. C’est elle qui risque de faire capoter l’appareil. Un train fixe va ralentir très rapidement l’appareil. Ce n’est pas le cas d’appareils à train rentrant qui peuvent ricocher plusieurs fois à la surface avant de s’arrêter…
– Bloquez tous les objets libres en cabine, pour éviter un risque supplémentaire à la décélération.
– Prenez en compte la possible déformation à l’impact de la structure et avant l’impact, ouvrez une trappe d’évacuation ou un accès (porte) pour pouvoir évacuer l’appareil. Ce conseil est capital pour un appareil à structure métallique (Cessna 172, Piper PA-28, etc.). Il est nécessaire d’ouvrir et de bloquer en position Ouverte une (ou la) porte avant l’impact. Le blocage Ouvert peut être assuré par un objet (chaussure, sacoche, sac de sport, vêtements, etc.) interdisant à la porte de se refermer. Il y a plusieurs décennies, un équipage convoyant sur l’Atlantique Nord un Cessna Centurion 210P n’a pu évacuer l’appareil après amerrissage, portes bloquées et hublots trop épais (pressurisation) pour les détruire d’un coup de pied.
– Faites le maximum pour stabiliser votre vitesse et votre taux de chute, les deux maintenus aux valeurs les plus faibles possible tout en gardant le contrôle. Mais gardez un excédent de vitesse pour assurer l’arrondi en le pilotant jusqu’au bout et en diminuant le taux de chute juste avant l’impact.
– Posez vous face au vent si possible ou selon la houle. Un compromis pourra être recherché dans certains cas. La houle peut être difficile à estimer à plus de 2.000 ft de hauteur.
– Affichez les volets à la position intermédiaire pour diminuer la vitesse à l’impact. Ceci entraînera un angle d’incidence plus faible et aussi une assiette plus faible, soit une position plus appropriée de l’appareil à l’impact.
– Si la panne n’est pas totale mais partielle, utilisez la puissance (cas par exemple d’un amerrissage suite à une fuite de carburant mais avec encore de la puissance disponible). Une approche au moteur permettra de mieux gérer l’arrondi et le palier de décélaration, avec le taux de chute le plus faible possible.
– Soyez prêt à la violence de l’impact. Il pourra y avoir plusieurs chocs, le contact des empennages puis celui du fuselage. Il faut préciser ici que l’utilisation de harnais 3-points tels que présents sur des appareils récents s’impose. Dans le cas de harnais seulement abdominaux (cas des DR anciens), il faudra se préparer à l’impact comme dans un avion de ligne pour les passagers, lunettes retirées, corps pliés vers l’avant sur les jambes, en utilisant couvertures, coussins, etc. pour atténuer le choc. En place avant le copilote pourra faire de même en mettant ses deux mains sur la casquette du tableau de bord. Une main sur le manche (tenue fermement car l’impact des empennages peut entraîner des mouvements violents des commandes), le pilote pourra faire la même chose avec son autre main, pour tenter d’éviter ce que les pilotes de chasse en 1940 appelaient un « casse-croute collimateur ». On note que dans plusieurs rapports du BEA, des pilotes ou passagers ont préféré déboucler leur harnais avant l’impact, craignant de ne pouvoir l’ouvrir après l’impact, avec le risque de chocs sur le siège devant eux ou le tableau de bord. L’emport d’un coupe-harnais peut être une solution.
L’ATSB évoque l’amerrissage de nuit, avec l’usage des phares, préconisant celui de roulage à celui d’atterrissage, tout en diminuant l’éclairage de bord pour évaluer la hauteur, point très critique de nuit, l’altimètre n’étant pas fiable. Il faut alors limiter le taux de chute (vers 200 ft/mn) et attendre l’impact. D’où l’intérêt de mener une approche au moteur si de la puissance reste utilisable.
Le comportement de l’appareil
Il est mentionné que les appareils ayant un fuselage à fond plat se comporteront mieux que ceux ayant l’arrière du fuselage relevé. Du fait de l’assiette cabrée à l’impact, l’arrière va toucher en premier dans le cas d’un appareil à train rentrant. Ce ne sera pas le cas sur un modèle à train fixe. Dans le premier cas, l’appareil peut alors cabrer violemment avant de décrocher et d’impacter l’eau nez bas. Pour les appareils à fond plat, ce cabré est moins présent, remplacé par une assiette à piquer, le nez pouvant passer sous l’eau. L’usage « modéré » des volets a un effet sur le phénomène évoqué ci-dessus, en réduisant la vitesse et l’attitude de l’appareil.
La surface de l’aile assurant « durant un certain temps » la flottabilité, les appareils à ailes basses seront plus propices à l’évacuation car pour les ailes hautes, le fuselage sera rapidement sous le niveau de l’eau. L’évacuation doit être organisée et donc préparée avec les passagers avant l’impact, pour que chacun connaisse les actions à faire et ses propres responsabilités. Dans tous les cas, l’appareil ne va rester « à flot » que quelques minutes tout au plus, d’où la nécessité de l’évacuer rapidement mais sans précipitation.
Même avec un appareil à ailes basses, l’eau peut passer au-dessus du capot moteur et immerger rapidement la cabine. Ne gonflez pas votre gilet avant d’être sorti de l’appareil, sauf dans le cas d’enfants ou bébés. Récupérez le canot s’il y en a un à bord, ainsi que les équipements de signalisation et le kit de survie.
Quelques recommandations
Il est possible d’amerrir le long de la côte, ce qui permet d’avoir une estimation de sa hauteur. C’est préférable à un atterrissage sur sol rocheux ou sur couvert forestier. Si vous localisez un bateau, il faut amerrir devant lui mais pas sur sa trajectoire. Si vous devez nager, retirez vos chaussures.
Emettez un Mayday afin de déclencher les secours et affichez 7700 sur votre transpondeur. Déclenchez votre balise de secours avant l’impact si un contact radio a été établi auparavant. Une balise PLB sur soi peut-être utile une fois l’appareil passé sous les flots. Un gilet avec sifflet et lampe est un « plus ». Si des moyens de secours se trouvent à proximité, en train de vous chercher, ne pas arrêter de se signaler tant que vous n’êtes pas certain d’être localisés. Si un aéronef va vous survoler, faites la planche pour augmenter votre surface de « visibilité ».
Il n’est pas recommandé d’attacher le canot à l’appareil qui va couler, mais attachez-le à votre main pour éviter qu’il ne dérive une fois mis à l’eau. Restez regroupés avec les autres membres d’équipage donc avec un lien pour éviter une dispersion si vous ne bénéficiez que de gilets. Dans le cas d’un canot, récupérer tout l’équipage et conserver une attache avec le canot en cas de retournement. Evacuer l’eau à bord, vérifier que le canot est bien gonflé, se protéger du vent.
Utilisez votre équipement de signalisation à bon escient, quand un aeronef ou un bateau arrive à proximité. Il n’est pas facile de repérer un canot, encore moins des gilets individuels. Les probabilités de bénéficier d’un équipage militaire en vol dans le secteur avec des jumelles de vision nocturne ne sont pas forcément élevées… Le mental est important pour améliorer vos chances de survie. Gardez espoir ! Le risque principal demeure l’hypothermie. La position idéale si vous êtes seul est de regrouper ses bras en croix devant soi et de replier ses jambes pour limiter la circulation de l’eau autour des parties les plus critiques de votre corps (bas ventre). Soit la position dite HELP pour Heat Escaping Lessening Position (position pour limiter la déperdition de chaleur). A plusieurs personnes, se regrouper en cercle pour limiter l’hypothermie.
Ne pas tenter de nager, sauf à être à proximité d’une côte (moins de 1,5 km cité pour l’ATSB), mais attendre les secours, sauf si personne ne connaît votre position. ♦♦♦
Photos © AOPA Pilot via les US Coast-Guards
Illustrations © Boys Scouts of America et aeroVFR.com