Un des concepts faisant partie des compétences non-techniques, liées à l’opérateur humain…
Ce concept de Conscience de la Situation (parfois évoquée en français sous les termes de CS ou COS) est capital dans le domaine du pilotage. Il s’agit de la traduction de Situational Awareness (SA) car cette prise en compte des compétences non-techniques a été empruntée par les pays anglo-saxons bien avant qu’elle ne soit reprise dans nos pays latins…
Il s’agit de « la perception de données et d’événements environnementaux par rapport au temps ou à l’espace, la compréhension de leur signification et la projection de leur état futur ». Une autre définition peut-être la suivante : « La conscience de la situation est une conscience adaptative, dirigée vers l’extérieur, qui a pour produits la connaissance d’un environnement de tâche dynamique et une action dirigée dans cet environnement ».
En pratique, en aviation légère, cela veut dire « se projeter dans l’avenir », être « devant son avion », imaginer les problèmes qui pourraient survenir à court ou moyen termes, pour avoir toujours en tête un plan B. C’est donc être attentif tout au long d’un vol à l’évolution des paramètres autour de soi, qu’il s’agisse de l’évolution météorologique, de la hauteur du soleil au-dessus de l’horizon, de la fatigue accumulée au cours d’un vol difficile à gérer (visibilité faible, turbulences, etc.). Mais pour revenir sur cette notion de conscience de la situation, mieux vaut reprendre l’essentiel d’un document de la CAA new-zelandaise dont voici une traduction « libre ».
Ainsi, la « conscience de la situation consiste à avoir une compréhension précise de « ce qui se passe » dans la situation ou le système qui vous concerne, que vous soyez aux commandes d’un aéronef, que vous vous occupiez des passagers ou que vous entreteniez un aéronef ou un système. En termes opérationnels, la SA signifie avoir une compréhension adéquate de l’état actuel et changeant d’une situation ou d’un système et être capable d’anticiper les variations ou développements futurs du système ou de l’environnement ».
Selon le Dr. Mica Endsley, chercheur dans ce domaine, il y a trois niveaux clés dans la conscience de la situation, avec trois niveaux hiérarchisés :
1) la perception (observation, scanning visuel, collecte de données à l’aide des différents sens) de ce qui se passe à l’instant t.
Ce premier niveau de la COS consiste « à percevoir l’état actuel de l’environnement ou de la situation. Il s’agit de balayer l’environnement à l’aide de vos sens (comme la vue, l’ouïe, etc.), afin de recueillir des informations sur les caractéristiques et/ou les facteurs les plus importants et les plus pertinents qui vous entourent. L’incapacité à détecter ou stocker des données en mémoire, ainsi qu’une mauvaise perception des données sont des problèmes potentiels qui peuvent avoir un impact ». Une bonne prise de décision ne peut se faire que sur la base d’une bonne conscience de la situation au préalable.
2) la compréhension (comprendre) de la signification par rapport aux tâches ou objectifs visés.
« Le deuxième niveau est la compréhension des informations pertinentes perçues. Notre compréhension peut être construite en combinant les données que nous avons recueillies dans le monde réel avec nos connaissances et notre expérience rappelées par la mémoire. Cette représentation du monde basée sur nos connaissances, nos expériences et nos observations est connue sous le nom de modèle mental. Une partie importante de la compréhension consiste donc à construire ou à ajuster notre modèle mental à la lumière de nos observations de ce qui se passe autour de nous et de notre interprétation de ce que cela signifie en termes d’impacts sur nos buts et objectifs. La compréhension peut échouer lorsque notre modèle mental est défectueux, en raison d’informations incorrectes, d’une mauvaise interprétation, etc ».
3) la projection (anticipation) des états futurs, en utilisant ce qui a été compris pour planifier le plan d’action le plus favorable.
Le troisième niveau est la projection. Il implique la « capacité de l’individu à projeter (c’est-à-dire à penser à l’avenir) les actions futures des éléments de l’environnement et l’état futur sur la base des informations perçues et comprises. Cette capacité est particulièrement importante lorsque les systèmes présentent un niveau élevé d’interdépendance. Si notre modèle mental est incomplet ou inexact, notre capacité à anticiper les événements futurs avec précision est compromise ».
Pourquoi la conscience de la situation est-elle si importante ?
Atteindre des niveaux élevés de sécurité sont des objectifs importants dans les opérations. Pour atteindre ces objectifs, les acteurs doivent être conscients de leur environnement et des dangers potentiels auxquels ils ou d’autres personnes sont confrontées. La conscience de la situation est « essentielle pour prendre des décisions précises dans des environnements complexes et dynamiques, en particulier lorsque le fait de ne pas reconnaître le problème ou l’état qui nécessite une décision ou une action peut entraîner des accidents ou des incidents graves ».
Le fait de « ne pas avoir ou de ne pas maintenir une conscience de la situation appropriée peut entraîner et a entraîné des accidents catastrophiques, la COS étant généralement considérée comme un facteur contribuant à de nombreux types d’accidents et/ou d’incidents graves ».
Une conscience de la situation partagée
La conscience de la situation partagée est « un terme utilisé pour exprimer un sentiment collectif de « ce qui se passe » entre plusieurs personnes. Il existe de nombreuses situations dans le domaine de l’aviation où la COS partagée devient importante. Il s’agit notamment des environnements à équipages multiples, de la coordination ATC/pilote dans l’espace aérien contrôlé, des interactions entre l’équipage de conduite et l’équipage de cabine et des tâches de maintenance complexes ». En aviation légère, avec un monopilote, une bonne communication demeure essentielle, trop ou trop peu peut avoir un effet négatif sur la conscience de la situation et il ne faut pas hésiter à lever les doutes. Ce doit être le cas lorsque l’on vole à plusieurs pilotes à bord lors d’une navigation par exemple.
Comment construire et entretenir sa conscience de la situation ?
« En étant conscient de ce qui se passe autour de vous et en comprenant comment les informations, les événements et votre propre comportement affecteront vos propres objectifs, vous avez une conscience de la situation. Celle-ci n’est pas le fruit du hasard, il s’agit d’une compétence cognitive. Vous devez la développer et l’entretenir pour vous assurer que vous êtes en mesure d’anticiper une situation et d’éviter d’être pris au dépourvu ou non préparé ».
Développer sa conscience de la situation
Le document de la CAA new-zélandaise propose les points suivants :
– Gérez votre charge de travail : « Déplacez les tâches en dehors des périodes de pointe, déléguez des tâches et anticipez la charge de travail future. Communiquez avec votre équipe et informez les autres de ce que vous attendez ».
– Pensez à l’avenir : « Anticipez l’avenir ou pensez à l’avenir vous permet de comparer l’état ou l’environnement projeté avec vos objectifs ou vos buts, afin de pouvoir planifier vos prochaines étapes ».
– Évaluez les risques : « Pensez à ce qui pourrait arriver, posez-vous la question : Et si…? ».
Entretenir sa conscience de la situation
– Communication et échange d’informations : « La qualité de la communication (plutôt que la quantité) est importante. Il n’existe pas d’approche unique pour tenir les autres au courant, c’est pourquoi la communication doit être adaptée au contexte, aux personnes impliquées et à leurs tâches et responsabilités. S’il y a des signes de mauvaise communication ou des indications de dégradation de la COS, parlez-en ».
– Gestion de l’attention et planification : « La COS consiste à savoir ce qui se passe autour de vous. Cela exige que vous soyez continuellement attentif, que vous fixiez des priorités et que vous surveilliez ce qui se passe dans l’environnement, en vous concentrant sur les éléments qui sont importants pour atteindre une certaine tâche ou un certain objectif. Soyez prêt à réajuster votre plan si nécessaire ».
– Recherchez des informations et vérifiez votre compréhension : « Savoir quelles informations sont importantes, quand les rechercher et où les trouver. Pour vous assurer que vous disposez de toutes les informations pertinentes et précises pour prendre des décisions, utilisez plusieurs sources pour recouper les informations et vous assurer que vous comprenez la situation. Si vous n’êtes pas sûr ou mal à l’aise face à une situation, vérifiez les éléments ou informations contradictoires pour valider vos données ».
Les facteurs pouvant impacter votre COS
La COS peut « sembler être un concept simple, mais de nombreux facteurs peuvent avoir un impact sur votre conscience de la situation et nous devons continuellement surveiller les indices qui peuvent indiquer que votre COS est compromise ».
– Charge de travail : « Il est plus facile de négliger des informations importantes lorsque vous avez une charge de travail élevée. Avoir beaucoup à faire avec un temps limité est malheureusement un phénomène courant. Essayer de tout accomplir et ne pas avoir le temps, les outils ou les ressources pour le faire peut conduire à la saturation, et souvent nous pouvons devenir trop occupés pour reconnaître que nous essayons d’en faire trop ».
– Surcharge : « Pour atteindre une bonne COS, il ne suffit pas de disposer de nombreuses informations. En tant qu’êtres humains, nous sommes limités en termes de quantité d’informations que nous pouvons traiter (par exemple, celles provenant des affichages, des communications, de la documentation et des alarmes). Nous avons également des limites quant au nombre d’éléments que nous pouvons stocker dans notre mémoire. Il est important d’identifier quelles informations sont nécessaires et à quel moment dans le contexte d’un problème ou d’un scénario ».
– Sous-charge : « Les tâches de surveillance prolongées ou celles qui peuvent introduire un facteur d’ennui peuvent conduire à une dégradation des performances, notamment une baisse de la vigilance et de mauvaises décisions. La diminution de la capacité d’une personne à maintenir son attention et à rester vigilante sur une période prolongée est appelée le déclin de la vigilance » (hypovigilance).
– Distraction : « Notre capacité à répartir notre attention entre les tâches est limitée et nous devons généralement passer d’une tâche à l’autre. Nous risquons donc de perdre le fil de l’avancement d’une tâche lorsque notre attention est détournée de la tâche en cours ou lorsque nous sommes engagés dans une autre tâche ».
– Communication insuffisante ou médiocre : « Des informations incomplètes, inexactes et/ou mal communiquées peuvent donner lieu à un modèle mental défectueux et affecter la capacité d’une personne à prendre des décisions précises ».
– Stress et fatigue : « La fatigue et le stress peuvent également réduire la capacité à faire des observations, des interprétations et des décisions importantes, et s’ils ne sont pas gérés, ils peuvent augmenter le risque d’erreurs ».
– Culture et « normes » organisationnelles : « Ce n’est pas parce que nous avons toujours fait quelque chose d’une certaine manière que cela sera toujours approprié à la situation actuelle ».
– Biais cognitifs : « En tant qu’êtres humains, nous sommes tous limités dans nos capacités cognitives et nos capacités de traitement de l’information (c’est-à-dire l’attention et la perception) et, par conséquent, certains facteurs et/ou biais peuvent fausser la façon dont nous percevons les situations ».
a) La cécité d’inattention : le phénomène qui consiste à ne pas percevoir ce qui, pour d’autres, semble être « à la vue de tous ». C’est l’effet « regarder mais ne pas voir ».
b) Biais de confirmation : tendance à rechercher des preuves ou à interpréter des informations qui vont dans le sens de l’opinion ou de la compréhension que l’on a de la situation actuelle, même à la lumière d’informations contradictoires.
Comment détecter la perte de conscience de la situation ?
Il est « important de rechercher des indicateurs de la dégradation de votre COS. Les problèmes suivants peuvent suggérer que vous n’avez plus de COS :
– Confusion : vous êtes incertain ou mal à l’aise face à une situation ou une information.
– Mauvaise communication : vous donnez ou recevez des informations ou des déclarations vagues ou incomplètes.
– Fixation : vous êtes concentré sur une tâche ou un élément à l’exclusion de tout autre.
– Distraction : vous changez fréquemment d’attention, sans vous concentrer sur la tâche principale.
– Non-conformité : vous ne suivez pas les procédures opérationnelles standard ou les exigences réglementaires.
– Points de report attendus non respectés : les choses ne se déroulent pas comme prévu : temps, progression, charge de travail.
– Informations ambiguës ou contradictoires : vous ne parvenez pas à résoudre les conflits, les informations provenant de deux sources ne concordent pas ou n’ont pas de sens ».
Comment récupérer sa COS ?
« Si vous reconnaissez que votre COS s’est dégradée, les points suivants peuvent vous aider à retrouver une vue d’ensemble, ce qui vous permettra de reconstruire votre COS » :
– « Suivez les règles, les procédures et les modes opératoires normalisés.
– Communiquez et parlez si vous n’êtes pas sûr ou si vous vous sentez incertain ou confus.
– Gérez le stress, les distractions et la charge de travail, prenez le temps de réfléchir et d’élargir votre champ de vision pour éviter de vous fixer sur une seule tâche et de succomber à une vision étroite ». ♦♦♦
Source : CAA New-Zeland
Photo © F. Besse / aeroVFR.com