Le dernier avion produit par Henry Potez…
Au premier abord, cet ouvrage dénote pour plusieurs raisons. Son format, son sujet… L’auteur est certes connu pour avoir déjà signé une imposante monographie en grand format sur le Morane-Saulnier MS-760 Paris (Ed. Lela Presse) mais cette fois, c’est un petit format (A5) qui est proposé via les éditions Skyshelf. De plus, la série des Potez 84 (qui se résume dans les mémoires surtout au Potez 840 bien que ce dernier ait été décliné en 841 et 842…) n’a pas connu le succès après une petite production restée sans suite.
Mais en feuilletant les 262 pages au texte dense mais abondamment illustré, la première impression hésitante s’envole rapidement. Primo, il n’y a rien dans la littérature retraçant en un seul ouvrage ce programme industriel de Henry Potez et cet ouvrage modeste dans sa forme en constitue une superbe monographie très complète. Secundo, c’est un document riche en informations, allant bien au-delà du Potez série 84 qui sera le « dernier avion » produit par le constructeur. Les Établissements Potez deviendront alors un sous-traitant, encore actif de nos jours (Potez Aéronautique) pour d’autres avionneurs.
Le Potez série 84 constitue donc un tournant pour le constructeur mais c’est aussi un programme emblématique d’une époque, celle de la fin des années 1950 où l’on cherche encore l’avion civil court-courrier idéal pour prendre la suite du Douglas DC-3 et assurer les liaisons intérieures. Henry Potez a choisi la solution du quadriturbopropulseur, avec une silhouette élégante permise par les turbines Astazou, novatrices à l’époque. Présenté dans les publicités comme le « seul quadriturbopropulseur », cet argument deviendra aussi le point faible de la machine, avec des coûts d’exploitation qui annuleront toute commande de compagnies aériennes ou le soutien de l’État.
Henry Potez s’est néanmoins entêté jusqu’au bout à promouvoir son appareil, souhaitant le vendre en nombre à des compagnies et non pas à l’unité. L’aménagement de la cabine passagers est étrange, avec des sièges en épis, tournés vers l’intérieur, les passagers se faisant face tout en étant quasiment perpendiculaires à la trajectoire… Des erreurs de stratégie industrielle seront ainsi faites alors que d’autres constructeurs, ayant suivi des chemins similaires avec la turbine (MD-415 Communauté/Diplomate des Avions Marcel Dassault, Max-Holste MH-60 Super Broussard) sauront rebondir, en passant au réacteur avec les Mystère/Falcon pour le premier et au Nord 262 biturbopropulseur pour le second.
Il n’y avait pas la place pour trois constructeurs sur ce segment de marché et Henry Potez perdra la place majeure qu’il occupait parmi les avionneurs français d’avant-guerre, avec toute une série d’appareils allant du Potez 25, le « Rafale » des années 1920, au bimoteur Potez 63 de la période 39/40 en passant par l’avion de tourisme Potez 58 ou l’avion de ligne Potez 62. Ainsi, Potez a été l’avionneur français le plus important des années 1930, avec la « plus grande usine aéronautique du monde » à Méaulte, dans la Somme.
L’auteur entraîne le lecteur dans le déroulé du programme Potez 84, de la conception aux essais en vol et le développement des modèles dérivés, avec le rêve de l’Eldorado américain après l’obtention de la certification FAA mais qui ne se concrétisera pas. La documentation recueillie est riche, allant de comptes rendus d’essais en vol par le CEV au descriptif de l’appareil en passant par l’analyse des marchés visés, les coûts d’exploitation comparés avec la concurrence, une enquête du SGAC sur la fiabilité des turbines jusqu’au naufrage final.
Henry Potez avait préféré la formule du quadriturbopropulseur et non pas le projet proposé par Robert Castello d’un biréacteur d’affaires à empennage papillon capitalisant sur l’architecture du Fouga Magister dont Potez a repris la production d’Air Fouga. C’est aussi l’époque où Morane-Saulnier, également sous la direction de Potez, dépose son bilan avant d’être repris par Sud-Aviation, alors que le Morane Paris n’a pas bénéficié du développement adéquat malgré ses innovations. On le voit, cet ouvrage va bien au-delà du simple programme Potez 84 car ce dernier aura été « un des instruments de la recomposition du paysage aéronautique français des années 1970 ».
Les 90 et quelques pages d’annexes complètent bien toute cette première partie politico-industrielle, avec des impressions de vol, un bilan financier du programme ou encore des maquettes de l’appareil. On y trouve surtout le déroulé des carrières des quelques avions produits, les 841 n°1 et 2, à turbines PT6, ferraillés comme le 840 n°01, ou encore les 842 n°3 et 4 à turbines Astazou. Le n°3, en pièces détachées, prend toujours la poussière dans les réserves du musée de l’Air et de l’Espace à Dugny, le n°4 serait en cours de restauration pour un musée au Maroc.
Le 840 n°2 connaîtra une vie tumultueuse, passant de la compagnie Darta/Air Paris à l’association Paris Flying Club, dont des problèmes de sortie de train ou des turbines récalcitrantes à démarrer. Utilisé à partir de 1976 pour des voyages touristiques de membres du corps médical, adhérents du Paris Flying Club animé par Jëo Lellouche, cet appareil devra être posé sur le ventre en mars 1981, à la pointe sud des Îles Shetland, le train ayant refusé de sortir même avec le mode manuel de secours. Le quadriturbopropulseur servait alors d’appareil pour la logistique de la course Paris-New York, alias l’Air Transat.
Ainsi prenait définitivement fin le programme Potez 840 et ses six appareils restés sans suite, témoins d’une branche du développement aéronautique d’après guerre qui ne connaîtra pas beaucoup de descendants, mis à part dans le domaine civil le Dash 7 ou quelques Ilyushin sans oublier le défunt Breguet 941S… ♦♦♦
Images issues du net
– Potez 84, le dernier avion de Henry Potez, par Pierre Parvaud. Ed. Skyshelf.eu. 262 p. 34,00 € (imprimé) ou 12,00 € (eBook).