Un rapport du BEA permet d’évoquer à nouveau la « destinationite », le décalage entre expérience récente et expérience totale, et la notion de renoncement.
Le BEA a mis récemment en ligne un rapport d’enquête concernant l’accident mortel d’un Cirrus SR-22 en décembre 2021. La lecture de tels récits, dramatiques, doit servir à augmenter sa propre culture aéronautique en matière de sécurité des vols, à comprendre comment une chaîne d’erreurs se met en place et peut mener à l’accident fatal, le tout afin d’éviter de se mettre à son tour dans une situation similaire à l’avenir.
Le 21 décembre 2021, le pilote d’un SR-22 décolle d’Oyonnax vers 17h00 à destination d’Auxerre, où l’avion est basé. Devant arriver de nuit, un plan de vol a été déposé. À l’arrivée
à Auxerre, le pilote contacte l’agent Afis qui lui donne les paramètres dont la piste en service, le vent, le QNH et une visibilité de 5 km. Constatant la présence d’un peu de brume, l’Afis a allumé le balisage à son intensité maximale.
L’avion passe à la verticale et entame un large virage par la gauche pour s’intégrer en vent arrière 36 main gauche. L’agent Afis a indiqué entre-temps que son système d’informations météorologiques lui annonce une brume à 100 ft/sol, situation ne pouvant être confirmée
ou infirmée visuellement puisque de nuit. Le pilote n’a pas répondu à la question de savoir
s’il voyait la piste au passage de la verticale mais répond par l’affirmative en vent arrière.
Il n’annoncera jamais la finale 36.
Les appels de l’agent Afis restent sans réponse. Ce dernier contacte le contrôleur du SIV Seine pour savoir si l’appareil est toujours identifié radar, ce qui n’est pas le cas. Les secours sont déclenchés. Le Cirrus sera retrouvé à 2 km au sud-ouest du seuil de la piste 36. Le BEA a conclu au vu de l’analyse de l’épave (avion ayant heurté le sol avec une forte énergie, en virage à gauche) que le pilote « a vraisemblablement perdu les références extérieures entre
la branche de vent arrière main gauche et la finale de la piste 36 ». La nuit était sombre suite à la brume et au brouillard, et en l’absence de Lune, les alentours d’Auxerre-Branches sont de plus peu urbanisés.
L’enquête a montré que le pilote, PPL breveté en mars 2007, détenait une qualification VFR de nuit obtenue en 2007 après 5 heures de vol de nuit dont environ 2 heures seul à bord.
« Son carnet de vol ne comporte pas d’heures de vol de nuit supplémentaire entre 2007 et la date de l’accident ». Il totalisait « environ 330 heures de vol dont environ 230 comme commandant de bord et environ 200 sur type » avec environ 5 heures dans les trois derniers mois sur le SR-22 dont il était le propriétaire.
Si l’expérience récente en VFR de nuit était donc absente d’après la lecture du carnet de vol, le pilote répondait cependant à la réglementation, puisque seul à bord et donc n’ayant pas à accomplir en cas de passager(s) à bord « au moins un décollage, une approche et un atterrissage de nuit en tant que pilote aux commandes d’un aéronef du même type ou de la même classe », ou s’il avait été titulaire d’une qualification de vol aux instruments IR, ce qui n’était pas le cas du pilote en question.
« L’enquête n’a pas permis de déterminer si le pilote avait, lors de la préparation de ce vol, cherché et obtenu des informations sur les conditions météorologiques prévues à son arrivée à Auxerre. La carte Temsi de 16h00 mentionnait qu’Auxerre se trouvait dans la limite nord d’une zone de nuages bas, brume et brouillard » précise le BEA. La prévision de Météo-France évoquait, à l’heure de l’accident, des conditions pouvant être propices à la formation de brume et de brouillard, suite à une masse d’air très humide et un vent faible. Ainsi, les conditions se sont rapidement dégradées entre 17h00 et 18h00 au moment de l’arrivée de l’avion à Auxerre, la visibilité passant en moins de 10 mn de 5 km à environ 900 m.
Mais l’entrée dans « l’entonnoir » menant à l’accident se trouve sans doute plus en amont dans le temps. Deux jours auparavant, le pilote avait effectué un aller-retour Auxerre-Courchevel avec un retour sous des conditions météorologiques similaires à Auxerre, avec brume et brouillard. Le pilote avait alors tenté d’atterrir sans succès à sept reprises. Sur le conseil de l’agent Afis, ce dernier craignant un accident, le pilote s’était finalement dérouté à Oyonnax avant de rentrer à Auxerre en taxi. Ceci permet d’évoquer à nouveau l’étude du BEA portant sur « Objectif Destination » qui « se propose d’analyser les accidents survenus alors que les pilotes tentaient absolument de rejoindre leur destination ».
Le 21 décembre 2021, deux jours après la tentative d’atterrir à Auxerre, il s’agissait donc d’aller récupérer son avion à Oyonnax. Pour ce faire, il avait organisé une « manip » avec l’aéro-club d’Annecy. Au départ d’Annecy, un instructeur et un élève ont rejoint Auxerre en avion.
Là, le pilote du Cirrus a pris les commandes de l’appareil avec l’instructeur à droite et l’élève en place arrière pour rejoindre Oyonnax. Sur ce terrain, l’instructeur a demandé à son élève de préparer le retour vers Annecy avec le dépôt d’un plan de vol VFR de nuit.
L’instructeur a précisé au BEA qu’il lui a semblé que le pilote du Cirrus « a réalisé à ce moment-là qu’il allait lui aussi devoir réaliser un vol de nuit et déposer un plan de vol VFR de nuit pour rentrer à Auxerre », ceci semblant l’inquiéter, sans doute par son manque de pratique du VFR de nuit depuis 14 ans. Voire des difficultés à déposer un plan de vol car il appellera l’agent Afis sur ce point.
Le BEA cite parmi les facteurs contributifs à l’accident :
– la « faible expérience totale et l’absence d’expérience récente en vol VFR de nuit du pilote, en particulier dans des conditions d’obscurité profonde et de brouillard »,
– la « probable volonté du pilote de ramener son avion à Auxerre ce soir-là après s’être déjà dérouté deux jours avant et s’être déplacé à Oyonnax avec cet objectif ».
Le BEA a « régulièrement noté que l’obstination de pilotes à entreprendre ou à poursuivre un vol en conditions météorologiques défavorables est sources de nombreux accidents aux conséquences souvent dramatiques. Confronté à des conditions météorologiques défavorables à la poursuite du vol, le déroutement voire l’interruption volontaire du vol sont des alternatives qui permettent généralement de trouver une issue positive. Toutefois, chaque pilote doit être conscient des difficultés qu’il peut y avoir à envisager de telles alternatives quand la situation est déjà dégradée : le stress, la fatigue ou encore les préoccupations du pilote (notamment ses motivations ou ses contraintes) sont autant de facteurs qui peuvent affecter sa capacité de discernement et la précision de ses actions ».
Le BEA rappelle qu’en 2008, le SEFA avait publié un « Guide de l’instructeur VFR de nuit »,
non disponible désormais selon le BEA même si une partie de son contenu figure dans le guide « VFR de nuit en hélicoptère » édité par la DSAC. Ce dernier guide – qui pourrait être avantageusement utilisé par l’ensemble des pilotes d’aviation légère pratiquant le vol VFR de nuit, conseille le BEA – comprend notamment un chapitre Météorologie de nuit, et notamment sur les phénomènes tels que brume et brouillard. Mais une recherche sur internet permet de retrouver ce « Guide de l’instructeur VFR de nuit » édité par le SEFA et conservé avec intérêt par certains… ♦♦♦
Rapport complet du BEA à télécharger ci-dessous
SR22Auxerre