Au-delà d’un rapport du BEA sur un accident survenu en VFR de nuit…
Un récent rapport d’accident du BEA rappelle le risque des illusions sensorielles en vol de nuit. En vol solo supervisé, en tour de piste à partir du terrain de Cannes, le pilote d’un TB-10 a perdu le contrôle de son appareil. Les conditions météo étaient les suivantes : vent faible, visibilité supérieure à 10 km, nuages épars à 1.500 ft, couvert à 3.500 ft, temporairement couvert à 14.000 ft. Pas de phénomène de brume et la Lune était pleine ce soir-là.
Celle-ci a pu disparaître par moments, suite à la présence de nuages, ne laissant alors aucune référence horizontale dans le pare-brise, avec un ciel très noir au-dessus de la Méditerranée. Aussi, le rapport du BEA revient-il sur les illusions sensorielles et la désorientation spatiale. Il s’agit de perceptions erronées de la position ou du mouvement par rapport à la surface terrestre. Ces illusions sont classées en trois catégories selon leur origine : perception visuelle, perception vestibulaire et combinaison des deux.
– Perception visuelle erronée : on le sait, la vision, et donc le contrôle des références visuelles extérieures, constitue la principale source de contrôle par un pilote de la position de son appareil en vol VFR. Mais dans certaines situations, des repères visuels extérieurs peuvent être source d’erreurs de représentation.
Ainsi, face à une piste ascendante, bien qu’étant sur le bon plan, le pilote peut croire arriver sur un plan trop fort. A contrario, si la piste est en descente, il peut croire être sur un plan correct alors qu’il suit un plan trop fort. La nuit, avec une disparition de la majorité des repères visuels, la situation se complique.
Une couche de nuage en pente peut entraîner le pilote à prendre cette limite comme référence horizontale. Des lumières peuvent être confondues avec des étoiles. Les lumières d’habitations peuvent être prises comme provenant de maisons implantées sur un même plan horizontal alors qu’il s’agit de bâtiments à différentes hauteurs sur un relief marqué…
– Perception vestibulaire erronée : si la vision participe à l’équilibre et à l’orientation, le système vestibulaire fait partie de l’équation avec l’oreille interne et notamment les canaux semi-circulaires, au nombre de trois et placés dans des plans quasi orthogonaux. L’être humain est adapté à la locomotion terrestre, en 2 dimensions, et beaucoup moins aux évolutions en 3 dimensions, nécessitant entraînement et expérience.
Les illusions perceptives liées au système vestibulaire sont plus propices à se mettre en place lorsque les références visuelles extérieures sont limitées ou absentes, le cerveau ne pouvant alors que s’appuyer sur le système vestibulaire. Il peut y avoir parfois des contradictions entre les informations issues des yeux et celles issues des oreilles, pouvant entraîner des nausées… D’où la nécessité de s’appuyer sur l’instrumentation VSV et ne pas croire à ses sensations qui peuvent être fausses.
Deux types de désorientation reliée au système vestibulaire sont évoqués : les illusions somatogyres et somatograviques. Comme le précise le rapport du BEA, « l’illusion somatogyre est due à l’incapacité des canaux semi-circulaires de chaque oreille à percevoir de manière continue une vitesse angulaire soutenue. Lors d’un virage, les canaux semi-circulaires ne perçoivent correctement que l’accélération angulaire… initiale, c’est-à-dire la mise en virage pendant les premières secondes de la manoeuvre ».
« Quinze à trente secondes après la stabilisation de l’accélération angulaire (après la mise en virage », les canaux semi-circulaires se stabilisent à la vitesse angulaire… constante du virage (accélération nulle) » et « ils ne sont plus stimulés (puisque ne plus soumis à des changements de vitesse angulaire) » et « en l’absence de références visuelles extérieures ou de surveillance des instruments, le pilote peut alors avoir l’illusion de plus virer, que la rotation a cessé ».
Mais « lors du retour au vol rectiligne et en palier, les canaux semi-circulaires perçoivent le changement de vitesse angulaire associée à l’arrêt du virage. Cela peut alors créer l’illusion d’un virage dans la direction opposée au virage initial. Cette illusion de rotation dans la direction opposée peut persister plus de 15 secondes après le retour au vol à l’horizontal. Il est alors possible que le pilote corrige l’attitude de l’avion en appliquant une action au manche qui le fait revenir dans le virage initial, tout en ayant la perception d’être en vol rectiligne »…
Pour les illusions somatograviques, le phénomène est lié aux otolithes, des organes constitués dans l’oreille de cils sensitifs, portant des cristaux de calcite qui se déplacent par inertie. Deux systèmes, dans le plan horizontal et vertical, renseignent ainsi le cerveau sur les forces gravitationnelles s’exerçant sur la tête. Ils génèrent alors un message nerveux en fonction de leurs mouvements. L’intensité du message est proportionnelle à l’accélération. Les seuils de détection des accélérations linéaires sont très bas. Des études ont montré qu’au niveau de la sensibilité aux changements de position, les organes otolithiques peuvent détecter une inclinaison de la tête de l’ordre de 1,5°.
Mais une accélération linéaire ne pourra être bien identifiée rapidement (un changement lent de position dans l’espace peut ne pas être détecté jusqu’à une certaine amplitude) et un mouvement de tête peut aussi entraîner des illusions sur la position de l’axe gravitaire, et donc la verticale.
Bref, ces phénomènes pouvant être rencontrés de nuit mais aussi de jour, par conditions brumeuses ou sans horizon bien défini (survol maritime) doivent attirer l’attention des pilotes sur la formation et l’entraînement au vol sans visibilité (VSV). La formation PPL (contrairement à la formation LAPL…) sensibilise les stagiaires par quelques évolutions en VSV dont un virage de 180° pour retrouver des conditions correctes. ♦♦♦
Pour ceux qui veulent aller plus loin, 162 pages d’une thèse à consulter sur « La désorientation spatiale en aéronautique » où d’autres données pourront être trouvées… comme les deux illustrations accompagnant cet article.
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