En août 1977, le premier Prix Kremer est décroché avec un 8 effectué en vol aux commandes d’un appareil à propulsion humaine…
À la fin des années 1950, l’industriel britannique Henry Kremer lance plusieurs prix pour promouvoir le vol à propulsion humaine, avec un règlement technique assuré par la Royal Aeronautical Society (RAeS). Le premier, doté de 50.000 £ (somme importante à l’époque) consiste à effectuer un parcours d’un mile (1.600 m) avec une trajectoire en 8, le tout en passant la porte de départ et d’arrivée à plus de 10 ft (3 m) du sol. Plusieurs équipes, anglaises, américaines, françaises se mettent sur les rangs. Les premiers à achever leurs prototypes ne parviennent pas à réaliser le vol, étant trop lourds, trop rapides pour permettre de voler sur l’énergie qu’un être humain développe en pédalant…
Ayant analysé les projets déjà réalisés, Paul MacCready, connu pour avoir été champion du monde de vol à voile en 1956 mais aussi excellent aéromodéliste, décide de relever le défi en collaboration avec un aérodynamicien, Peter Lissaman. Un athlète de haut niveau ne pouvant fournir qu’une puissance d’environ 0,3 ch sur une longue période, il faut concevoir un appareil très léger, volant à faible vitesse. Paul MacCready réalise en août 1976 un modèle réduit de 2,40 m d’envergure, de formule canard pour valider le concept.
Un premier prototype échelle 1 est ensuite réalisé en une dizaine de jours. Sa construction est très simple avec un pilote allongé dans un « cockpit » non caréné, une aile rectangulaire à simple surface. La structure est très légère, haubanée. Quelques vols sont effectués, de courte durée, avant que l’aile ne lâche, manquant de rigidité. Un second prototype est construit, renforcé au niveau de la structure. Plusieurs ruptures vont encore avoir lieu lors des vols, sans dommages car ceux-ci se déroulent très près du sol, mais modifiant l’appareil.
La conception est ainsi revue de multiples fois, avec des renforts à base de tubes en aluminium d’épaisseur minimale et variable, quelques haubans supplémentaires. On ajoute des surfaces latérales pour augmenter la stabilité de route, trop faible. Les ruptures en vol s’accumulent, renvoyant l’appareil à l’atelier. En janvier 1977, le plan canard peut être incliné en pivotant le tube le reliant à la cellule. La trajectoire rectiligne commence à être respectée selon les souhaits du pilote. Mais la puissance exigée pour le vol demeure encore trop élevée.
McCready et Lissaman revoient complètement la voilure principale. Celle-ci voit son allongement augmenter à plus de 12. Elle est affectée d’une flèche pour des questions de centrage et de stabilité. Avec moins de surface, le gain de masse obtenu permet désormais une voilure à double surface pour améliorer l’aérodynamique. Le nombre de nervures en polystyrène est accru pour un meilleur respect du profil (Cz max proche de 1). Le bord d’attaque, en carton, est plus arrondi. Le revêtement en film polyester ultra-fin (Mylar), tendu au sèche-cheveux comme pour les modèles réduits, est amélioré. Le bilan en traînée est meilleur, la puissance à développer pour le vol approche des 0,3 ch (220 W) recherchés. Ainsi, le Gossamer Condor II effectue en mars 1977 un vol de 5 mn.
Mais il reste encore à maîtriser le virage, pour effectuer le 8 imposé par le Prix Kremer. Plusieurs solutions sont testées. Une direction demeure inefficace. Un système de spoilers est testé mais créer de la traînée alors que le pilote développe de la puissance pour maintenir le vol n’est pas la solution idéale. De plus, avec l’envergure importante, l’aile intérieure est près de décrocher, tandis que l’aile extérieure vole plus vite. Un système d’ailerons est écarté dès le départ car trop lourd et de plus, avec une telle structure souple, lacet inverse ou déformation de l’aile entraînant également un roulis inverse sont à attendre.
La solution retenue et validée en avril 1977 est la suivante. Le pivotement du canard du côté du sens de virage souhaité permet d’obtenir du lacet en avance de phase, pointant le nez de l’appareil dans la direction recherchée. Et pour éviter du roulis induit par l’aile extérieure, un vrillage est réalisé sur la voilure intérieure pour lui donner de la portance et également maintenir l’appareil les ailes à plat. Dans le cockpit, le pilote tire une cordelette pour déformer la voilure pendant le virage et la relâche pour sortir du virage… L’architecture « canard » permet cette solution technique contrairement à un appareil d’architecture classique.
Ainsi, en avril 1977, un premier virage est réussi. Les vols d’essais et de mise au point – changement du plan canard, amélioration du pas de l’hélice de 3,60 m d’envergure, optimisation du vrillage de voilure pour le virage – se poursuivent, avec quelques dégâts parfois. Ainsi, lors d’un vol, une aile se replie sous les effets du tourbillon marginal d’un avion d’épandage agricole qui s’est posé sur la piste adjacente…
Si plusieurs pilotes ont déjà volé sur les Gossamer Condor 1 et 2, dont le fils de Paul MacCready, c’est sur Bryan Allen que repose la responsabilité du vol destiné à décrocher le premier Prix Kremer. Ce cycliste professionnel va réaliser le 23 août 1977 le circuit imposé par le règlement, parcourant la trajectoire en 8 en 7 mn et 25 secondes, à une vitesse moyenne de 17 km/h. Le tout à bord d’un appareil de plus de 29 m d’envergure (70 m2 de surface alaire pour la voilure principale) pour seulement… 32 kg de masse à vide (95 kg avec le pilote soit 1,35 kg/m2 de charge alaire). Il vaut mieux voler le matin tôt avant le début de la convection thermique… Le Gossamer Condor 2 est désormais exposé au Smithsonian National Air & Space Museum, à Washington.
Deux ans plus tard, le second Kremer Prize (100.000 £), concernant la traversée de la Manche, sera remporté à nouveau par l’équipe de Paul MacCready avec le Gossamer Albatross, une évolution du Gossamer Condor. Le 12 juin 1979, avec Bryan Allen aux commandes, l’Albatross quitte la côte anglaise, suivi par des bateaux. Mais les conditions s’avèrent difficiles et le pilote, peinant face à un vent contraire bien que volant à faible hauteur au-dessus de l’eau, décide de jeter l’éponge. Il prévient un bateau d’escorte pour que ce dernier vienne le remorquer et ainsi éviter la perte de l’appareil en mer.
Pour ce faire, Bryan Allen accentue son effort quelques instants pour gagner un peu de hauteur et permettre de lancer la corde destinée à le remorquer. Mais en gagnant quelques mètres de hauteur, il constate que le vent contraire a fortement diminué. Il va donc poursuivre son vol pour arriver, exténué, sur une plage française… Record battu. Ces deux événements feront connaître Paul MacCready et sa société AeroVironment qui se consacrera à d’autres appareils à énergie solaire et électrique, ou des drones, travaillant notamment avec la Nasa par la suite, avant de succomber à un cancer en 2007. ♦♦♦
Photos © DR/AeroVironment/Nasa