De 1948 à 1968, sur les traces de la Méthode française d’apprentissage du pilotage et de Louis Notteghem, chef de centre à Saint-Yan…
Jean-Loup et Patrice Notteghem et leur cousin Philippe Dubois ont été élevés à Saint-Yan, imprégnés dès leur enfance par l’activité du centre école de pilotage ouvert en 1948 pour relancer la formation de pilotes professionnels à destination de l’aviation commerciale en plein essor. Premier chef-pilote puis chef de centre, leur père et oncle Louis Notteghem sera associé aux formations délivrées à partir de cet aérodrome.
N’ayant pas trouvé d’ouvrages nombreux sur cette période d’après-guerre, ils ont décidé de retracer la vie de ce centre de formation, au travers de la carrière de leur aîné, en se limitant à la période 1948-1968, de la naissance à la maturité de cette « Mecque du pilotage ». Mais auparavant, sur les 100 premières pages, on suit la vie de Louis Notteghem, de 1918 année de sa naissance, à 1948, avec sa formation aéronautique faite via l’Aviation populaire, le modélisme puis l’armée de l’Air.
Il devient ainsi en 1940 moniteur, côtoyant entre autres le commandant Fleurquin, ancien leader de la Patrouille d’Etampes. C’est là que le futur chef-pilote de Saint-Yan va s’intéresser de près à la pédagogie et aussi à la voltige. À Salon-de-Provence, à l’époque, l’instructeur peut « favoriser sournoisement la mise en vrille si l’élève à l’habitude de déraper » !
La démobilisation l’entraîne vers l’aéro-modélisme puis le vol à voile à la Libération, devenant moniteur vélivole. Progressant en expérience, il devient chef-pilote au centre de formation de Carcassonne, orienté Vol moteur. Il faut remettre au standard les moniteurs d’avant-guerre et mettre au point une méthode de formation homogène au niveau national.
Une adaptation à la formation initiale de la méthode de perfectionnement dite de Salon va ainsi donner naissance à la fin des années 1940 à la « méthode française d’apprentissage au pilotage ». Avec l’esprit cartésien, paraît-il réputé en France, sera ainsi développée une nouvelle méthode de pilotage par Louis Notteghem et Max Fischl, méthode que Raymond Sirretta, fondateur et rédacteur en chef d’Aviasport, présentera comme « l’Évangile de Saint-Yan » en couverture de son premier numéro (mai 1954).
Il y est alors question de pente, de cadence et d’inclinaison. Les moniteurs du centre vont appliquer cette méthode avec comme étalon le SV-4 Stampe, biplan biplace en tandem à cockpit torpédo. Entre-temps, on a chargé Louis Notteghem de trouver un meilleur site que Carcassonne en matière de météo et d’aérologie. Terrain créé en 1938 et alors aux mains de l’armée française qui l’a oublié même s’il est parfois utilisé lors des liaisons des avions de l’Etat entre Paris et le sud, l’aérodrome de Saint-Yan va être ainsi retenu avec le transfert en 1948 de l’activité de Carcassonne.
Tout est à faire… avec au départ des installations précaires (des baraques en bois chaudes l’été, froides l’hiver), une flotte disparate (MS-315, SV-4, Nord 1000, Bücker 181, Caudron Goéland…) pour le Centre national de vol à moteur de Saint-Yan où se met en place la méthode française d’apprentissage et de perfectionnement du pilotage, destinée en priorité aux moniteurs d’aéro-clubs pour aller ensuite prêcher la bonne parole et améliorer la sécurité. Pierre Deschamps, chef de centre, Louis Notteghem, chef-pilote (avant de devenir en 1950 chef de centre), quatre moniteurs, quatre mécaniciens et une secrétaire, accueillent ainsi le premier stage dès mars 1948…
Au fil des années, le centre va prendre son essor avec un accroissement des moyens matériels et humains. La flotte passe de 13 avions en 1948 à 106 (dont une quarantaine de Stampe) en 1951 ! Les ateliers travaillent 10 heures par jour et 6 jours par semaine. L’enthousiasme et l’énergie comblent les lacunes d’équipement. Le personnel non navigant du centre dispose de quatre heures de vol par mois pour sa formation. Celle-ci est assurée par des moniteurs ayant notamment pour nom Notteghem, Berlin, Hisler, Passadori, Tesson, Vivien, Veyssière, Grangette, Souchet, Biancotto… Mal payés, ils ont le droit d’utiliser les Stampe pour leur entraînement personnel, voire lors de compétitions de voltige. Ceci entraînera la création de la patrouille de Saint-Yan…
La formation de base est assurée sur Stampe, sur MS-230 pour les pilotes militaires, les Nord 1000 et Caudron Goéland en perfectionnement. Le Service des Sports Aériens ou SSA (ancêtre du SALS, Service de l’Aviation Légère et Sportive qui deviendra ensuite le SFA, le SFACT, le SEFA puis l’ENAC…) vise la mise à niveau de l’enseignement du pilotage au sein des clubs, vivier d’élèves pour une carrière de pilote de transport civil ou pilote militaire. La Méthode française d’apprentissage du pilotage, théorique et pratique, sera étendue au perfectionnement, à la voltige, au pilotage sans visibilité et au vol de nuit.
La méthode est un peu « directe » avec notamment, dès le début de la formation de moniteur, une mise en vol dos faite par l’instructeur, parfois lors de la première heure ! Si la voltige est considérée comme une composante indispensable de la formation (« l’excellence du pilotage »), le cursus débute avant tout par une maîtrise du vol inversé avant d’attaquer les classiques figures. Le perfectionnement du pilotage de base donne lieu au module P0/P7 allant de l’étude de l’avion aux atterrissages forcés via les PTL, PTS et PTU.
Les simulations de panne moteur sont faites en… coupant les contacts remis à proximité du sol. Certains exercices vont jusqu’à l’atterrissage parfois sur une rive de la Loire. L’hélice sera ainsi endommagée lors d’un exercice. Sans radio, l’instructeur bénéficiera de l’observation d’un autre instructeur qui comprend le problème et revient se poser hors-terrain avec une nouvelle hélice et un mécano à bord – en toute discrétion pour éviter « de prévenir les autorités locales et de passer du temps dans des paperasses inutiles ». On est effectivement bien loin des ATO, DTO, SGS, REX et CRESAG de nos jours…
Ne parlons pas des passages dos à hauteur des portes de hangar au retour d’un vol. Le BEA n’était alors pas là pour montrer du doigt des manoeuvres « non nécessaires au vol » ni la DSAC pour pointer du doigt l’exemplarité de l’instructeur… Autres temps, autres moeurs ! La méthode sera rapidement diffusée à coups de stages, de documents ou d’articles dans la presse. Elle sera utilisée dans les autres centres (Challes-les-Eaux, Carcassonne, La Montagne Noire) qui vont récupérer les formations de début, Saint-Yan s’orientant vers d’autres formations répondant aux besoins de l’aviation commerciale.
Si le centre de Saint-Yan est toujours actif, à la pointe de la formation étatique pour former des pilotes de ligne avec des Beech G58 Baron utilisés pour l’IR-MEP, la méthode de pilotage initiale a évolué à la fin des années 1970-début des années 1980 avec l’Évangile selon Saint-Geoirs, centre national où seront formés en grande partie les instructeurs que l’on nomme désormais… FI(A). Il est alors question d’assiette, d’inclinaison et de taux de virage, sans oublier le plan à 5% de l’ILS et la radionavigation avec l’usage du VOR.
Au final, un bel ouvrage (418 pages !) sur une période révolue, contant une facette de la relance de la formation aéronautique en France au sortir de la Seconde Guerre mondiale, un document-référence avec une iconographie riche (même si on aurait préféré une couverture un peu plus attrayante…) et des témoignages qui intéresseront les « anciens » passés par Saint-Yan ou les « jeunes » y faisant encore leurs classes avant d’atteindre le cockpit d’un avion de ligne… ♦♦♦
– L’Evangile selon Saint-Yan, par Jean-Loup et Patrice Notteghem, Philippe Dubois. Auto-édition. 418 p. 44,00 € www.levangileselonsaintyan.com