« Roman historique » autour de deux pilotes allemandes que tout opposait…
Après avoir été pilote militaire puis pilote de ligne, aujourd’hui à la retraite, Fred Roigoon s’est lancé dans la rédaction de romans. « Sa meilleure ennemie » est ainsi son sixième roman. Il s’est intéressé cette fois à la vie de deux pilotes allemandes qui se sont lancées dans le domaine aéronautique dans l’entre-deux-guerres. À l’époque, une femme pilote était rare. Il fallait de la motivation, de l’audace, voire un réseau pour grimper les différentes marches vers des postes à responsabilité, surtout pour obtenir le titre de « Flugkapitan ». L’auteur déroule deux destins, ceux de Hanna Reitsch et Melitta Schiller.
Hanna Reitsch va ainsi s’opposer à la carrière que son père veut lui voir suivre dans la médecine. Avec ténacité et hargne, elle va jouer des coudes, utilisant le vol à voile comme tremplin, notamment avec l’aide de Wolf Hirth, constructeur de planeurs. Instructrice, détentrice de records, elle va devenir pilote d’essais, passant ensuite du vol à voile au vol motorisé. Avec l’appui d’Ernst Udet, en charge du développement de la Luftwaffe, elle rejoint le centre d’essais en vol de la Luftwaffe, à Rechlin. Elle vole sur de nombreux avions militaires, voire les premiers exemplaires d’hélicoptères opérationnels.
Elle participe à la mise au point du planeur géant Messerschmitt Me-321 destiné au transport de troupes. Tête brûlée, elle mène les essais d’un coupe-câbles installé à l’avant d’un Heinkel He-111 pour valider le système prévu pour être déployé face aux barrages de ballons autour de Londres. Elle s’incruste dans l’équipe d’essais de l’avion-fusée Messerschmitt Me-163 Komet, connaissant alors un accident grave lors d’un atterrissage.
Côtoyant le gratin de l’Allemagne nazie, convaincue par le programme politique jusqu’aux derniers jours du conflit, la titulaire de la Croix de Fer 1ère classe ira jusqu’à proposer à Hitler de créer un groupe de pilotes-kamikazes dont elle veut faire partie, même si Erhard Milch, successeur de Ernst Udet suicidé, est opposé à ce concept. Elle arrachera à Hitler la possibilité de faire des essais dans ce but, ce qu’elle fera aux commandes d’un V-1 piloté. Le débarquement de juin 1944 et le repli des forces allemandes mettra fin à son projet.
Enfin, en avril 1945, elle rejoint Berlin en Fieseler Storch, avec son amant, Robert von Greim qui doit devenir le nouveau chef de la Luftwaffe à la place de Hermann Goering, dans une Allemagne à l’agonie. Ils se posent près de la porte de Brandebourg, rencontrent Hitler et ses derniers soutiens avant de quitter la capitale bientôt prises par les Soviétiques. Après guerre, elle reviendra au vol à voile…
L’autre pilote est plus « posée » mais tout autant motivée. Melitta Schiller est moins connue sous son nom de jeune fille. Elle se mariera avec Alexander von Stauffenberg, devenant la comtesse Melitta Schenk von Stauffenberg, bénéficiant ainsi en tant que « demi-juive » du soutien d’une « vieille famille allemande ». Elle aussi est pilote d’essais pour la Luftwaffe. Elle participe notamment à la mise au point du Junkers Ju-87 Stuka, ingénieur au sol et pilote dans l’appareil avec plus de 2.500 vols d’essais et de multiples piqués pour évaluer le bombardier.
Son rôle technique reste capital, avec notamment le développement d’équipements de navigation, de radars pour les chasseurs de nuit. Elle dirige un centre d’essais, volant sur tous les types d’appareils militaires lui passant entre les mains. Même si elle doit suivre des ordres, utiliser des réseaux et contacts impliqués dans la direction de l’Allemagne nazie pour gérer son centre d’essais, elle garde autant que faire se peut ses distances avec le pouvoir.
Tandis que son mari est « exilé » en Grèce, des membres de sa belle famille vont participer à la tentative d’assassinat de Hitler en juillet 1944. Elle sera arrêtée, interrogée mais relâchée faute de preuves la concernant tandis que de nombreux von Stauffenberg seront exécutés. Son mari étant interné, elle prépare alors son évasion en utilisant un avion léger pour circuler en Allemagne. C’est ainsi qu’elle va trouver la mort, abattue par un chasseur allié…
Pour raconter ses deux destins incroyables, l’auteur a choisi le roman même « si la majorité des faits » ont réellement eu lieu. Il a cependant pris « volontairement certaines libertés » dans les dialogues ou dans les rapports humains « dans le but de construire une trame logique dans laquelle la vie de deux héroïnes s’imbrique de façon romanesque ».
Ainsi, en 45 chapitres rédigés dans un style agréable à lire, le lecteur passe d’une aviatrice à l’autre, les suit dans leur ascension professionnelle, les retrouve parfois dans le même chapitre. Toutes deux ne sont pas amies, s’opposant directement – notamment lors d’un simulacre de combat aérien – ou indirectement, via voie de presse à coups de reportages montés en épingles par la propagande de Joseph Goebbles, ou encore via manipulations ou manigances pour gagner les honneurs ou augmenter sa notoriété dans le cas de Hanna Reitsch.
Mais leurs destins partagent de nombreux points communs : la passion de l’aviation, la volonté de se surpasser, des risques pris lors de multiples vols d’essais mais aussi une fin tragique pour leurs familles respectives, un entraînement plus ou moins consenti dans l’engrenage d’une Allemagne nazie qui s’enfonce dans la folie, où les marges de manoeuvre des citoyens restent faibles vis-à-vis du pouvoir en place et des SS.
Pour Fred Roigoon, « la rédaction d’un roman s’est imposée en lisant les nombreux témoignages plus ou moins avérés de la vie de ces deux femmes. J’ai préféré deviner les raisons de leurs antagonismes. Alors qu’une vraie entraide existait dans ce petit groupe d’aviatrices, Hanna et Melitta se détestaient. Pourquoi ? ».
Si la couverture porte donc la mention « Roman », on est très proche des biographies des deux pilotes, l’ouvrage apportant également un éclairage sur les quinze années qui ont mené à la capitulation de l’Allemagne nazie. L’auteur s’est bien documenté sur la période – jusqu’à évoquer la composition des barres énergétiques des pilotes de la Luftwaffe, même si on trouve ici ou là un Henkel à la place de Heinkel non corrigé à la relecture – et sur les personnages croisant la trajectoire de nos deux pilotes « au caractère trempé dans l’acier », de Goering à Himmler, en passant par Skorzeny ou von Braun.
Votre prochain roman de l’été ? ♦♦♦
Photos d’ouverture issues du net
– Sa meilleure ennemie, par F. Roigoon. 420 pages, Ab2lep Editions. 21,00 €