Difficultés accrues pour les organisateurs de « Spectacles aériens publics » lors de la saison 2022 et à l’avenir.
On le sait… L’arrêté du 4 avril 1996, qui régissait jusqu’à présent l’organisation des « manifestations aériennes », a été remplacé par un nouvel arrêté en date du 10 novembre 2021 évoquant désormais les « Spectacles aériens publics » (SAP). Cette nouvelle réglementation concernera tout événement organisé après le 12 avril 2022, soit la quasi-totalité des manifestations de la saison à venir.
Retour en arrière. En amont d’une éventuelle réglementation européenne que l’EASA ne manquera sans doute pas de concocter un jour au niveau européen sur les meetings, la DGAC a décidé il y a plusieurs années de revoir son arrêté de 1996. Ne voulant pas retrouver face à elle une multitude d’acteurs individuels (pilotes de présentation, organisateurs, directeurs de vols, etc.) mais une « seule voix », elle a conseillé de créer une entité associative devant représenter le monde du meeting aérien – d’où la création en 2013 de France Spectacle Aérien (FSA) regroupant la quasi-totalité des acteurs des meetings aériens en France, sans oublier des acteurs étrangers intervenant en France.
S’ensuivirent plusieurs réunions au sein d’un groupe de travail (GTMA ou Groupe de travail Manifestations aériennes) où ont pu échanger l’administration, France Spectacle Aérien, les fédérations, etc. sur différentes thématiques liées à l’organisation et au déroulé des manifestations aériennes. Il en est résulté l’arrêté de novembre dernier sur lequel, à diverses reprises, France Spectacle Aérien (FSA) a émis un avis défavorable, notamment sur les nombreuses responsabilités placées sur les épaules des directeurs de vol.
En novembre dernier, lors de sa convention annuelle, FSA a organisé un atelier sur cette nouvelle réglementation. Les responsables de la DGAC ont présenté à l’assistance les principales évolutions par rapport à la réglementation passée. Damien Cazé, nouveau patron de la DGAC, avait tenu à être présent, une présence considérée comme la preuve de l’attention particulière que l’Aviation civile porte sur cette facette Manifestations aériennes, l’une des vitrines de l’aéronautique et souvent la première rencontre du public avec le monde de l’aérien, en faisant le creuset de vocations dans ce domaine.
Connaissant les réserves émises par FSA sur le nouveau texte, le patron de la DGAC avait alors précisé qu’étant arrivé récemment à son poste alors que le processus réglementaire touchait à sa fin, il avait signé l’arrêté que ses services lui avaient présenté, mais que si des difficultés d’applications voyaient le jour, il n’était pas opposé à des évolutions, avec comme critère principal la sécurité des vols. Descendu dans l’arène face aux fauves, le patron de la DGAC pouvait-il diffuser un autre discours ? Il avait aussi confirmé la mise en application de la nouvelle réglementation à la date prévue alors que FSA souhaitait un moratoire d’au moins un an pour analyser toutes les conséquences.
Dès cette présentation officielle du nouvel arrêté, des questions ou remarques ont fusé dans la salle, soulignant certaines incohérences ou lacunes, voire des obligations n’allant pas forcément dans le sens de la sécurité.
À la lecture du nouvel arrêté et en préparation la saison 2022, Michel Geindre, directeur des vols de trois événements majeurs de la saison – Le Temps des Hélices à La Ferté-Alais les 4-5 juin prochains, Meaux Airshow à Meaux-Esbly le 10 juillet et le Paris Air Legend à Melun-Villaroche les 10-11 septembre – s’est trouvé confronté à des difficultés pratiques, modifiant grandement une « mécanique » mise au point lors de nombreuses éditions et validée par l’expérience sur le terrain.
L’administration se voulant – ou se disant du moins – « à l’écoute », il a fait remonter auprès de la DSAC Nord un certain nombre de remarques ou de questions posant problème, dont le contenu a rapidement fait le tour du milieu des meetings. Et de passer en revue quelques « impasses » créées par la nouvelle réglementation… Ainsi, avec comme exemple le meeting Le Temps des Hélices de l’Amicale Jean-Baptiste Salis (AJBS), comment maintenir la spécificité de cette valeur sûre de la saison aéronautique, à savoir de multiples tableaux où plusieurs avions évoluent de concert ? Ce peut-être des simulacres de combat aérien type 1914-1918 ou des présentations de plusieurs appareils d’un même type ou d’une même époque.
Cette façon de proposer au public des tableaux a plusieurs objectifs. Le premier est d’offrir au public une animation variée d’un tableau à l’autre, pour éviter les présentations avion par avion jugées soporifiques. C’est la richesse d’un meeting que de permettre ainsi à plusieurs avions d’un même type mais de décoration différente ou des avions d’une même période (les années 1930 par exemple) d’évoluer au même moment. Cela évite les temps morts – quand un avion s’éloigne, le suivant est déjà devant le public… – et cela étale également le spectacle tout le long de la piste sans le concentrer devant la « tribune officielle ». Avec la nouvelle réglementation, où peut-on encore trouver du « spectacle » ailleurs que dans la terminologie administrative de « spectacle » aérien public si la créativité est interdite?
Avec la nouvelle réglementation, de tels tableaux deviennent problématiques car le texte exige au moins trois exécutions du programme de présentation dans les trois mois… Comment est-il possible de réunir trois fois de suite les acteurs d’un tableau complexe pour exécuter la présentation qui sera faite lors du meeting quelques semaines ou mois plus tard ? C’est non économiquement viable sauf si tous les avions sont basés sur le terrain, c’est qui est totalement improbable.
Le Temps des Hélices a ainsi proposé dernièrement un « Hommage à Serge Dassault » avec cinq avions provenant de cinq aérodromes différents… Le Tora Tora, tableau emblématique de ce meeting, avec l’attaque du terrain par une dizaine de T-6, est loin d’être pérennisé. Pour répondre aux nouvelles exigences réglementaires, il faudrait prévoir au moins deux journées dans les trois mois précédant le meeting, avec des avions basés aux quatre coins de la France, à réunir à La Ferté ou ailleurs avec des contraintes de conditions météo selon la région de provenance, des contraintes financières avec le coût des convoyages, en prenant en compte les disponibilités des pilotes, la nécessité de créer une ZRT spécifique pour ces entraînements et aussi déposer un dossier d’autorisation de dérogation aux règles de l’air (présentation à basse hauteur). On le voit, techniquement, c’est faisable en théorie dans un « monde hors-sol », infaisable pratiquement, économiquement non viable et humainement non justifiable…
D’autres tableaux sont en jeu. La présentation, il y a quelques années dans le ciel de l’Essonne, d’un Boeing 777 d’Air France avec dans son sillage les Alpha Jet de la Patrouille de France pourrait n’être plus qu’un souvenir sous forme de photos… car si les militaires échappent à la réglementation des SAP, il n’en est pas de même pour un « liner » d’une compagnie civile. Peut-on imaginer sérieusement trois entraînements au préalable avec un avion de ligne détourné de son rôle au quotidien et la traversée de la France pour la PAF ?
Autre démonstration qui risque de rentrer dans les tiroirs de l’histoire, la présentation en voltige d’un Hawker Hunter et d’un Hawker SeaFury, évoluant en colonne. Certes, le SeaFury a été vendu récemment mais cela ne serait pas le cas que cette démonstration aurait du mal à survivre, avec un SeaFury venant de Dijon-Darois et un Hunter de Sion, Suisse.
Un autre exemple : comment faire trois entraînements pour une patrouille pourtant « large » mettant en jeu un Spad XIII unique au monde dont les vols se comptent sur les doigts d’une main durant l’année et un Rafale ? Ou deux Vought F-4U Corsair en patrouille avec deux Rafale Marine ?
Jusqu’à présent, l’organisation reposait sur du bon sens. Les pilotes de la patrouille Hawker sont des anciens des forces aériennes, habitués à ce type d’évolution. La patrouille 777-PAF a bénéficié d’un entraînement réel quelques jours auparavant, histoire de cadrer la présentation, les pilotes de ligne pouvant de plus la préparer en amont au simulateur.
Pour les multiples T-6 du Tora, Tora, une « répétition », généralement la veille du meeting, permet d’affiner les détails tout en notant que le directeur des vols connaît les pilotes, que ceux-ci ont déjà réalisé la « manip » à plusieurs reprises par le passé. On note qu’avec la nouvelle réglementation, un passager n’est pas possible à bord d’un aéronef lors d’une répétition alors que c’est justement la possibilité pour un pilote expérimenté d’accompagner un confrère devant faire une telle présentation par la suite, avec un conseiller avisé à bord pour transmettre son avoir et ainsi faire perdurer dans le temps des démonstrations particulières. C’est là où le mantra de la « sacro-sainte » sécurité entraîne dans les faits une diminution de celle-ci…
D’autres questions se posent sur « l’amélioration » du système attendue avec cette nouvelle réglementation. Un pilote doit faire au moins trois présentations en meetings dans les trois dernières années avant d’avoir le droit de descendre sous la limite des 500 ft/sol alors qu’il peut être parfaitement compétent en la matière, l’ayant prouvé lors de multiples entraînements et le tout validé par le directeur des vols lors d’une répétition avant le meeting.
Une patrouille de trois avions peut avoir évolué plusieurs années de suite avec des minimums de hauteur. Si un pilote décide d’arrêter et se trouve remplacé, le nouvel équipier ne répondant pas alors aux exigences réglementaires – bien qu’ayant suivi des entraînements pour atteindre le niveau souhaité par son leader – imposera à toute la patrouille de relever son plancher d’évolution, ce qui s’avère totalement négatif sur le plan de la sécurité, modifiant les réflexes acquis (valeurs hauteur/vitesse en sommets de figure, visualisation du sol, repères habituels, références lors de croisements, etc.).
FSA avait demandé dés janvier dernier un report d’entrée en application à 2023 du nouvel arrêté, en mettant notamment en avant la récente période de pandémie au Covid-19 qui a déjà grandement perturbé le monde des manifestations aériennes, avec de multiples annulations ou reports de meetings ces deux dernières années. Aussi, des pilotes de présentation ne pourront sans doute pas respecter l’exigence de participation à trois SAP dans les trois dernières années en ce début de saison. Il en est de même pour certains directeurs de vol, notamment ceux officiant sur un événement organisé que tous les deux ans… Adieu les droits du grand-père !
Certes, l’administration aura beau jeu de répondre que si le texte réglementaire ne convient pas ou ne peut s’appliquer stricto sensu, il y a la possibilité prévue par le texte de demander l’application d’une règle alternative. Mais dans le cas d’une « dérogation » suite à l’impossibilité d’atteindre le minimum d’expérience récente, l’information peut n’arriver au directeur des vols que quelques jours ou semaines avant la manifestation, sous la forme d’une fiche de participation. Or, une « règle alternative » doit être déposée au moins 45 jours avant l’événement, avec un formulaire CERFA…
De plus, une « règle alternative » devra être justifiée par un dossier où sera notamment exposée l’analyse de risque liée à la « dérogation » demandée, le tout à valider par l’Autorité et l’on risque alors de retomber dans le deux poids-deux mesures selon la DSAC régionale concernée. Qui prendra la responsabilité d’accorder la règle alternative ? Sous quels délais ? La responsabilité de la DGAC a ainsi été redistribuée à l’échelon régional, au niveau des DSAC/IR, la sécurité « opérationnelle » évoluant vers une sécurité « administrative ». Les fédérations, partie prenante du GTMA, ont suivi l’évolution des travaux réglementaires lors des multiples réunions du GTMA ou par copie de mails, mais elles n’ont pas réagi, jugeant peut-être que cette activité ne fait pas partie de leurs priorités, et validant ensuite ce texte d’arrêté lors des deux consultations des usagers…
Voici un exemple concret de « règle alternative », celui d’une demande de présentation en patrouille de deux North American T-6, sous régime CNRAC, à 200 ft/sol, à proximité d’un terrain de polo, pour une commémoration prévue début avril, soit quelques jours avant l’application de la nouvelle réglementation. La réponse de l’Autorité peut-être résumée ainsi :
– Soit, l’association est déjà détentrice d’un Manuel d’activités particulières (MAP) qui aurait été déposé à la DSAC régionale, et qui prévoirait explicitement la pratique de vols de présentation en patrouille d’un certain nombre d’avions CNRAC, ressortissant donc à l’arrêté du 24 juillet 1991 modifié relatif à l’utilisation des aéronefs civils en aviation générale, dont en particulier les deux T-6 envisagés. Il conviendrait alors de déposer une demande de vol rasant auprès de la DSAC régionale avec copie adressée à la Délégation HDFS, au moyen du formulaire N°R5-AUT-VOL-F1-V7, Cf guide Ed1V1 du 15 Mai 2020, intitulé « Évolution à basse hauteur en aviation générale – Voltige et entraînement aux manifestations aériennes » (sic).
– Soit, l’association dépose une demande de manifestation aérienne de faible importance à la préfecture du département concerné, qui sera alors régie conformément aux dispositions de l’arrêté du 4 avril 1996 encore valide jusqu’au 11 avril 2022.
Dans ces conditions, on comprend que l’association demandeuse a remis le dossier dans les tiroirs et que la présentation n’a pas eu lieu… C’est effectivement plus simple pour la sécurité de laisser les appareils au fond du hangar !
Au final, l’arrêté de 2021 n’est pas à la hauteur des enjeux, révélant des « impasses » ou des lacunes. La DGAC s’est en quelque sorte tiré une balle dans le pied avec un texte trop rigide, ayant omis les cas de formations multiples et de tableaux pouvant être réalisés sans répétition – avec par exemple l’usage d’une Display Authorisation ou DA, une hypothèse évoquée un temps et permettant de confirmer un niveau de compétence au pilote titulaire. Sous couvert de vouloir améliorer la sécurité des vols, celle-ci peut être engagée dans certains cas – la DGAC et la DSAC auraient donc tout intérêt à revoir la copie si l’on en croit le Plan de sécurité de l’Etat (PSE) appliqué à l’aéronautique.
À quelques semaines de la saison 2022, les organisateurs et directeurs de vol étant aux prises avec l’adaptation de leur organisation habituelle au filtre de la nouvelle réglementation, France Spectacle Aérien (FSA), a tenu à rappeler le 7 mars dernier sa position, par la voix de son président, Jean-Noël Bouillaguet, ce dernier indiquant en préambule aux médias que « la publication de l’Arrêté concernant la Réglementation des Spectacles Aériens Publics en novembre 2021, a surpris tous les acteurs des meetings… Alors qu’au sein de France Spectacle Aérien (association nationale totalement dédiée à la promotion, la défense et la sécurité en manifestation aérienne), nous avons travaillé 8 années aux côtés des fédérations avec l’intention de voir aboutir une simplification de cette réglementation, à proposer des règles de bon sens visant à une meilleure sécurité des présentations en vol et à l’excellence de cette activité unanimement reconnue comme la plus belle vitrine de l’aéronautique, force est de constater que l’application du texte du 10 novembre 2021, venant en lieu et place se substituer à l’Arrêté du 4 avril 1996 précédemment en vigueur, crée d’importants problèmes pour les organisateurs, les directeurs des vols et les pilotes de présentation, dans la mise en œuvre de leurs évènements programmés depuis le tout début de l’été prochain ».
« France Spectacle Aérien, par deux fois – alors que les experts mandatés auprès du Groupe de travail Manifestations aériennes initié et animé par la DGAC, prédisaient les difficultés qui se confirment aujourd’hui – a dénoncé nombre d’articles composant cet écrit auprès de ses rédacteurs de la DSAC centrale… Nous n’avons pas été entendus… Afin de clarifier son rôle dans ce dossier, l’Association nationale du Spectacle aérien tient à faire le point avec ce communiqué officiel » – à télécharger en fin d’article.
En attendant, les meetings durant la saison 2022 se trouvent sur le fil du rasoir. Questionnés par mail, plusieurs organisateurs n’ont vraiment pas été nombreux à nous répondre sur les contraintes les plus difficiles à mettre en place pour leur édition 2022, sur les présentations devant être annulées car désormais impossibles à mettre en place, sur le coût additionnel pouvant être entraîné par les nouvelles exigences ou encore les difficultés à recruter à l’avenir des directeurs des vols… Et encore, on n’a pas encore évoqué la « validation » à partir de 2024 des directeurs de vols, avec examen par des inspecteurs de l’Autorité après mise en situation… Et dans la foulée, un concept similaire devrait concerner les pilotes de présentation.
En attendant, le rassemblement de Saint-Yan, seule grande manifestation à avoir eu lieu lors du début de la pandémie, a déjà indirectement répondu aux difficultés auxquelles se trouvent dès à présent confrontés les organisateurs de Spectacles Aériens Publics (SAP). Cette manifestation comprenant, jusqu’à présent, une journée de meeting, a décidé pour son édition 2022 des 17-19 juin prochains de revenir à un format… « Fly-in ». ♦♦♦
Photos © F. Besse / aeroVFR.com
Communiqué de FSA à télécharger
FSAmars2022
Lien vers le Guide de la DSAC sur la nouvelle réglementation qui mentionne encore en couverture « Manifestations aériennes » et non pas « Spectacles aériens publics »…