Evolution réglementaire attendue pour l’usage du plomb dans le carburant Avgas.
Si l’essence au plomb n’est plus d’actualité pour le monde automobile depuis quelques années, ce n’est pas encore le cas pour une partie du monde aéronautique, utilisant de la 100LL (LL pour Low Lead ou faible teneur en plomb) avec des moteurs à pistons. L’usage du plomb, pour retarder les phénomènes de détonation et « doper » l’indice d’octane, remonte aux années de l’entre-deux-guerres quand aux Etats-Unis, le lobby des producteurs de plomb (Standard Oil et General Motors) a imposé son usage au niveau de la production de l’essence Aviation, au lieu d’un produit aussi performant (éthanol). Depuis plusieurs décennies, avec une sensibilisation accrue aux conditions environnementales, la suppression du plomb est souvent évoquée ainsi que l’avenir de l’Avgas… La thématique a servi de « maronnier » à la presse aéronautique durant de nombreuses années faute d’une solution économiquement acceptable pour les pétroliers.
Aux Etats-Unis, la société GAMI s’est lancée ces dernières années dans un carburant alternatif, obtenant un STC (Supplementary Type Certificate) pour son usage. Elle annonce ainsi la disponibilité prochaine d’un carburant sans plomb à fort indice d’octane. Les pétroliers « traditionnels » sont pour l’heure en attente… utilisant toujours le TEL (C8H20Pb) uniquement produit en Europe dans une raffinerie en Grande-Bretagne. Sur son site, Shell Aero précise que « le volume de carburant utilisé par l’aviation représente moins de 0,5% du carburant utilisé par le secteur automobile en Europe, avec une pression très forte des « lobbyistes environnementaux » pour supprimer ou remplacer le TEL dans l’Avgas et produire un carburant sans plomb ».
Sur son site, le pétrolier Shell rappelle les avantages du TEL, à savoir : le tétraéthyle de plomb assure une protection des sièges de soupapes, leur évitant une dégratation, avec une surface abrasive qui s’étend et des éléments pouvant finir dans la chambre de combustion. Il faut donc soit ajouter des additifs ou utiliser des sièges de soupapes plus résistants. Les additifs mis au point pour le sans plomb automobile, « pour diverses raisons » non détaillées par le pétrolier ne « sont pas encore approuvés pour un usage dans les moteurs aéronautiques », d’où la seule solution à ce stade du TEL même si les « nouveaux » Avco Lycoming et Teledyne Continental bénéficient de sièges de soupapes renforcés, contrairement aux moteurs plus anciens.
L’autre avantage du TEL mis en avant par Shell réside dans l’indice d’octane, paramètre lié à la capacité du carburant à éviter le phénomène de détonation et non pas un paramètre définissant le pouvoir énergétique. « Plus l’indice d’octane est élevée, plus le mélange air-carburant peut être comprimé sans risque de détonation ». Ainsi, les carburants à fort indice d’octane sont utiles pour les moteurs à fort taux de compression ou utilisant des compresseurs, améliorant l’efficacité du cycle thermique et offrant plus de puissance pour une quantité de carburant donnée.
Shell précise que quatre façons existent pour mesurer l’indice d’octane : RON, MON, Lean Mixture et Rich Mixture. Les carburants automobiles sont mesurés sur l’échelle RON, avec un carburant 95/98 RON comparable à un carburant 85/87 MON. L’Avgas est mesurée en Lean Mixture (similaire à la méthode MON) mais dispose aussi d’un classement Rich Mixture. Le Lean Mixture affiche 100 octane (15 octane supérieur au 85 MON comparable pour le carburant automobile sans plomb) mais l’Avgas a aussi un indice 130 en Rich Mixture qui permet des pressions d’admission plus élevées sans détonation. Ceci est « crucial pour des valeurs de puissance élevées à faible altitude, soit durant le décollage ».
Selon Shell, la présence du plomb dans l’Avgas permet un indice d’octane plus élevé (100/130) et non pas de 80/85 Lean Mixture (carburants automobiles) sans sa présence. Ce n’est pas un problème pour une majorité de moteurs atmosphériques aux taux de compression modestes et pouvant éviter la détonation avec un carburant 80/85 Lean Mixture. Mais ce n’est pas le cas des moteurs turcompressés, où il « faudrait considérablement limiter la pression d’admission et « détarer » ainsi les moteurs si de plus faibles indices d’octane étaient utilisés » — avec une baisse des performances à la clé et donc des capacités non conformes au manuel de vol.
Aux Etats-Unis, le seul carburant sans plomb pour l’aviation est le 82UL, un carburant d’indice 82 Lean Mixture, approuvé pour l’usage sur des moteurs « modernes » atmosphériques (non turbo) notamment sur Lycoming. Mais ce carburant n’est pas disponible en Europe et si c’était le cas, le constructeur de chaque appareil devrait autoriser son emploi. Quelques Cessna récents sont autorisés à utiliser le 22UL, mais la plupart des appareils à pistons n’ont pas reçu l’approbation des constructeurs. Shell estime à 60% la part du parc d’avions à pistons dans le monde qui pourrait utiliser le 82UL, mais sans doute avec des modifications nécessairement apportées au circuit carburant…
Pour l’heure, selon Shell, il n’y a pas d’alternatif au tétraéthyle de plomb pour augmenter l’indice d’octane, les additifs automobiles du sans plomb protégeant seulement les sièges de soupapes. Aussi, si la 100LL disparaissait, la seule alternative mise en avant (et non réaliste…) serait de remotoriser les appareils avec des moteurs Diesel ou des turbines (!), utilisant le Jet A-1. Pour Shell, s’il « n’y a pas de date fixée pour remplacer l’Avgas 100LL » en Europe, mais il y a « peu de doute que les carburants au plomb seront tôt ou tard écartés », ceci pas avant que des carburants atlernatifs totalement satisfaisants soient mis au point, « une situation qui a toutes les chances de nécessiter encore quelques années ».
Le 12 janvier dernier, la GAMI a annoncé que l’Environmental Protection Agency (EPA) va « évaluer si les émissions d’aéronefs utilisant du carburant à faible teneur de plomb contribuent à la pollution de l’air et mettent en danger la santé et le bien-être du public ». L’agence américaine prévoit une enquête publique en 2022 et une décision programmée en 2023. L’EPA a déjà mesuré par le passé l’impact du plomb sur la qualité de l’air près des aérodromes et doit désormais « déterminer si cette pollution met en danger la santé humaine ».
La GAMI précise que « si les niveaux de plomb dans l’air aux USA ont décliné de 99% depuis 1980, les émissions dues aux moteurs aéronautiques à piston utilisant de la 100LL constituent la principale source d’émission au plomb dans l’atmosphère ». Le plomb peut également venir de certaines peintures, de sols contaminés, d’émissions industrielles lors du recyclage de métaux ou de batteries, et de la combustion de carburants.
Une exposition au plomb peut entraîner chez les enfants « des causes irréversibles et des effets à longue durée sur la santé. Même un faible niveau de plomb dans le sang peut affecter le niveau intellectuel, la capacité d’attention et le niveau scolaire ». Pour les adultes, les impacts sur la santé peuvent comprendre des troubles cardiovasculaires, une augmentation de la pression artérielle et l’hypertension, une diminution de la fonction rénale et des problèmes de reproduction.
Début 2022, anticipant sans doute les résultats de l’enquête, les principaux acteurs outre-Atlantique ont officialisé une dynamique collective visant à supprimer la 100LL à compter de 2030 aux Etats-Unis. Sont notamment parties prenantes l’AOPA (usagers de l’aviation générale), la GAMA (avionneurs et motoristes), la HAI (hélicoptères), l’EAA (construction amateur et aviation de collection), la NBAA (aviation d’affaires) ainsi qu’un institut associé aux pétroliers et la FAA. D’où le programme EAGLE pour Eliminate Aviation Gasoline Lead Emissions (Eliminer les émissions de plomb du carburant aviation). Ceci pour les Etats-Unis…
Dans sa newsletter de mars 2022, Europe Air Sports (EAS) attire l’attention des utilisateurs de la 100LL en Europe sur les menaces pesant sur la 100LL, avec le projet de l’European Chemical Agency (ECHA) de placer le tétraéthyle de plomb (TEL) sur la liste des substances toxiques dans le catalogue intitulé REACH (Registration, valuation, Authorisation and Restriction of Chemicals), visant à bannir certains produits. Pour l’heure, aucune décision n’a été prise mais EAS confirme que tous les membres de l’Union européenne ont voté pour un… tel processus. La mise à jour de la réglementation pourrait intervenir courant mars 2022. A suivre… ♦♦♦
Photo © F. Besse / aeroVFR.com