Dans le sillage de quelques rapports du BEA sur des accidents liés à un contexte montagneux.
À écouter le Bureau Enquête et Analyse pour la sécurité de l’Aviation civile (BEA), l’année 2021 ne sera pas un bon cru en matière de sécurité des vols. Elle n’est pas encore achevée, mais à la mi-novembre, si on notait un nombre d’accidents moindre que la moyenne habituelle (un effet mis sur le compte du confinement Covid-19), le nombre d’accidents mortels atteignait déjà les valeurs enregistrées pour les années 2017 et 2020.
Avec ce bilan provisoire, on a ainsi enregistré 18 accidents mortels pour le vol moteur (avion) et 11 pour l’ULM, 2 pour le vol en planeur et 1 pour les voilures tournantes (hélicoptère). Parmi les incidents et accidents, on compte, entre autres, deux amerrissages, deux pertes de contrôle en voltige, des atterrissages sur le ventre, des pertes de contrôle et cinq événements liés à l’environnement montagneux.
Pour cette dernière thématique, sont notamment cités les événements suivants :
– En mars 2021, un accident à proximité du fort de Montgilbert a concerné un Robin DR-400/140B dont le rapport BEA est disponible.
– Le mois d’août dernier a vu le même jour les accidents d’un Cessna 172 et d’un Cirrus SR-20 au col de Vars, tous deux entrant en collision avec le sol lors d’un cheminement à faible hauteur du nord (Saint-Crépin) vers le sud (Barcelonnette).
– Toujours en août 2021, c’est un DR-400 qui est entré en collision avec des arbres au col du Glandon.
Si l’on remonte à la saison 2020, on a encore en tête l’accident d’un DR-400/160 entré en collision avec le relief au Pas de la Cloche, à 1.900 m d’altitude, après avoir décollé de Grenoble-le-Versoud.
Au vu de ces constatations, la DSAC/MEAS (Mission d’évaluation et d’amélioration de la sécurité) souhaite que les pilotes soient plus ou mieux sensibilisés aux risques du vol dans un environnement montagneux, activité qui ne nécessite pas d’obtenir la qualification Montagne, celle-ci n’étant nécessaire que pour décoller et atterrir sur certaines plates-formes (altiports, voire alti-surfaces). Au vu des premiers éléments relevés pour les accidents précédemment cités, dont les enquêtes du BEA pour certains ne sont pas encore clôturées, quelques rappels semblent effectivement utiles.
La présence du relief lors d’une navigation ou d’un simple vol local peut en effet amener des menaces sur la sécurité du vol. Ceci pour plusieurs raisons dont notamment :
– l’altitude : qui dit montagne, dit altitude et donc diminution de puissance avec nos moteurs atmosphériques déjà de capacité modeste. Encore plus l’été avec des températures élevées, comme des événements caniculaires peuvent accentuer, donc un air moins porteur et une puissance développée encore diminuée. Il faut alors sérieusement s’intéresser à l’altitude-densité notamment pour ses performances de décollage et de montée car l’avion et son moteur sont à une altitude bien supérieure à celle indiquée sur la fiche VAC du terrain…
– l’aérologie car le relief modifie l’écoulement du vent, voire la direction de ce dernier, même si tout est invisible à l’oeil. Le vent en altitude n’est pas forcément celui circulant dans les vallées. En volant le long du relief, il y a donc le côté « au vent » et le côté « sous le vent » où peuvent régner turbulences et descendances et ce n’est pas le plein gaz de nos faibles motorisations qui pourront contrer une forte « dégueulante ». Il y a des jours où selon la direction du vent, il est préférable de rester au sol, même s’il fait « visuellement » très beau – SKC, CAVU – car ce peut être le cas lorsque souffle le Mistral. Pour simplifier cet article, on ne parlera pas des phénomènes orographiques…
– il faut ajouter l’absence d’un « horizon naturel » évident, remplacé par un « horizon suisse » où il faut se faire à chaque instant son propre horizon, en utilisant par exemple les changements de types d’arbres avec l’altitude, le couvert forestier laissant place aux rochers, ou encore la limite basse d’une couche nuageuse. Les repères visuels habituels pour gérer son assiette sont souvent absents lorsque l’on est « dans le relief », d’où la nécessité de contrôler sa pente de trajectoire en fonction des valeurs instrumentales.
– En plus du relief à proximité, qui apporte ces risques, il faut également mentionner des obstacles d’origine humaine, pas toujours portés sur les cartes si l’on en croit quelques accidents survenus ces dernières décennies. Ce peut être des câbles tirés entre deux sommets rapprochés, une ligne haute tension difficile à localiser dans le relief et qu’il faut survoler en passant verticale un pylône pour éviter tout câble peu visible.
– il faudrait encore citer d’autres phénomènes météorologiques pouvant entrer en jeu et abordés dans la formation théorique du pilote privé, comme les brises de vallée ou les confluences.
Toutes ces menaces doivent donc être prises en compte, avec des marges de manoeuvre, notamment pour franchir une ligne de crêtes ou un col. Un col est concrètement une portion de tube Venturi, avec une possible accélération du vent et des effets verticaux de la masse d’air selon le sens de l’écoulement. Son profil peut être très variable entre un col pointu – où le passage d’un côté à l’autre du versant se fait rapidement contrairement à un col relativement plat. D’où l’importance de bien connaître la direction du vent, par une préparation du vol complétée par une analyse de l’effet de dérive, l’observation du déplacement des nuages, l’analyse de phénomènes particuliers (neige soufflée au sommet d’une crête, fumées, etc.).
Ainsi, la règle de base déterminée par l’expérience impose si possible d’arriver au-dessus des crêtes pour déterminer l’effet de dérive et donc la provenance du vent. Dans tous les cas, il n’est pas envisageable d’attaquer un col à 90° du relief, sauf à risquer de voir sa trajectoire s’effondrer au fur et à mesure que l’appareil se rapproche du vol, sous l’effet de l’aérologie. Il faut observer si le point d’immobilité apparente monte ou descend dans le pare-brise, comme en finale, mais cela ne suffit pas. Attention à la réaction « instinctive » consistant à tirer progressivement sur le manche pour conserver un écart constant avec le sol. Le contrôle de la vitesse demeure impératif.
La technique de franchissement d’un relief – c’est le B-A BA et un fondamental incontournable – consiste à aborder le passage d’une crête ou d’un col sous un angle proche de 30°, en venant tangenter la ligne de relief et pouvoir ainsi décider jusqu’au dernier moment de franchir le col ou, au contraire, de dégager dans la vallée si l’on ne dispose pas des marges suffisantes pour le franchir en sécurité. Il n’est pas interdit auparavant de faire quelques 360° en montée dans la vallée pour prendre une marge de hauteur afin de passer le col avec une vitesse correcte et avoir de la « défense » – un excédent d’énergie cinétique (vitesse) et potentielle (altitude) demeure un bon atout.
En navigation, il peut être parfois « facile » de se tromper de vallée dans un relief tourmenté
– il y a quelques années, l’équipage d’un C-160 Transall en a fait malheureusement l’expérience dans le relief corse – et il est donc important de valider sa trajectoire en notant le cap suivi et le cap de la vallée établi à la lecture de la carte. De nos jours, l’usage d’un GPS doit faciliter cette validation et sa localisation exacte.
Mais ce n’est pas tout, si la vallée est « ascendante » jusqu’au col à franchir, il faut toujours se réserver la possibilité de faire un demi-tour, si la météo devient tangeante au niveau du col par exemple. Il faut donc être le plus haut possible, là où la vallée reste large et non pas en fond de vallée, plus étroite et subissant la présence d’obstacles supplémentaires (câbles de téléphériques, pylônes de ligne haute tension, câbles d’équipements anti-avalanches, transport de bois, etc.). Il faut aussi surveiller constamment l’éloignement de l’autre versant de la vallée suivie, pour s’autoriser le demi-tour si nécessaire.
D’où la nécessité de voler le long d’un côté de la vallée et non pas dans son milieu, afin de conserver la possibilité d’effectuer un 180° en utilisant l’espace au maximum. Le côté au vent sera à retenir et aussi au soleil pour bien analyser le relief devant soi. Durant le virage de demi-tour, on pourra tolérer une légère descente pour jouer dans le plan vertical, afin de diminuer le facteur de charge (vitesse de décrochage accrue) et de conserver une bonne vitesse, et ainsi d’éviter une perte de contrôle surtout si le secteur est de plus turbulent ! Mais cela implique une anticipation de ce demi-tour et donc une prise de décision avant de se retrouver coincé au fond de la vallée qui se rétrécit et un sol qui se rapproche de l’appareil.
Il faudrait encore rappeler que la vitesse indiquée est inférieure à la vitesse réelle, suite à l’altitude – attention au rapprochement possible du relief lors d’évolutions car l’échelle du sol, sans obstacles aux dimensions connues de vous, peut entraîner de fausses illusions – et ne pas oublier que l’organisme humain travaille de moins en moins bien avec l’altitude. On évitera les météos trop marginales où des nuages blancs accrochés au relief peuvent se confondre avec des zones de neige et vice-versa.
Tout ceci fait partie de l’apprentissage du vol en montagne, quand il faut évoluer « dans les montagnes », ce qui n’a rien à voir avec voler « au-dessus des montagnes ». Ce texte ne remplacera jamais la formation pratique, avec un instructeur en place droite pour se frotter à la réalité du relief dans les meilleures conditions de sécurité mais il aura atteint son objectif s’il sensibilise les pilotes aux menaces du vol en montagne, au vu de quelques accidents répertoriés ces derniers mois par le BEA… Il ne s’agit évidemment pas d’éviter le vol en montagne mais de l’aborder en connaissance de cause, donc avec prudence, méthode et bonne préparation ! ♦♦♦