Un cas d’école en matière de facteurs humains…
Le 8 février 2019, un Piper PA-46 à l’atterrissage sur l’altiport de Courchevel, effectuait une sortie longitudinale de piste, finissant sa trajectoire dans le monticule de neige bordant la plate-forme supérieure de l’altiport, faute d’avoir pu freiner à temps. Quatre blessés figureront parmi l’équipage (2 pilotes et 3 passagers). Plusieurs vidéos diffusées sur le net montraient alors une approche sans doute non stabilisée, l’appareil touchant très tardivement la piste en béton malgré une pente de plus de 18% dans sa partie centrale.
Le BEA a récemment mis en ligne sur son site le rapport d’accident. Il mérite assurément la lecture, pouvant notamment servir de support à un cours sur les compétences non-techniques, notamment la conscience de la situation par les différents acteurs de l’événement, du pilote au « safety pilot » en passant par les dirigeants de la plate-forme internet mettant en relation des passagers et des pilotes et/ou propriétaires d’avions. Le pilote n’a été que le dernier maillon de la suite de décisions menant à l’accident.
A noter parmi les points relevés dans ce rapport du BEA :
– les pilotes étaient sélectionnés sur la base d’un CPL, sans sélection théorique ou pratique, mais à la suite d’un simple entretien.
– le pilote du PA-46, commandant de bord (n’ayant pas la qualification Montagne ou l’autorisation d’atterrir à Courchevel au départ du projet) a auparavant effectué une formation théorique et pratique (2h15) avec atterrissages à Courchevel en Jodel D-140 Mousquetaire pour acquérir l’autorisation de site en décembre 2018.
– le premier vol du pilote en tant que commandant de bord sur PA-46 a été effectué la veille de l’événement, avec deux circuits de piste pour une durée de 25 mn.
– le pilote, après avoir signalé à un des concepteurs de la plate-forme internet qu’il ne se sentait pas d’atterrir à Courchevel, a demandé un « safety pilot » pour assurer la communication vers les passagers.
– le « safety pilot » en place droite et en tenue de pilote pour rassurer les passagers avait obtenu une licence CPL mais attendait la réception de ses documents. Il n’était ni qualifié Montagne, ni autorisé à poser à Courchevel et n’était pas qualifié PA-46. Réglementairement, il n’était que « passager ».
– la finale n’a pas été stabilisée, avec fluctuations de la vitesse et du taux de chute, puissance au ralenti durant les 20 dernières secondes de la finale.
– la plate-forme internet visait la réalisation de vols à destination de Courchevel. L’événement était le premier vol du PA-46 avec passagers.
– les passagers avaient en tête de voyager via une compagnie aérienne, la plate-forme internet utilisée étant considérée comme une émanation d’Air France – la confusion des genres étant confirmée par le relevé d’identité bancaire mentionnant Air France/KLM car la plate-forme internet a été créée par une filiale du groupe Air France.
Bref, l’événement était écrit avant même la mise en route du PA-46 à Toussus-le-Noble…
Le BEA a émis plusieurs recommandations à la suite de cet événement. La première concerne l’autorisation d’accès à un altiport. Le BEA demande à la DGAC d’imposer un complément de formation ou des critères d’expérience en cas d’utilisation d’avions de performances significativement différentes lors de la formation à l’autorisation de site (altiport). On notera que le D-140 (180 ch) et le PA-46 (350 ch) font partie de la même classe d’appareils (SEP).
La seconde concerne la surveillance de l’activité liée aux plates-formes de mise en relation entre propriétaires, pilotes et passagers car « les services proposés peuvent sembler similaires à ceux du transport commercial pour un passager non averti ». Les contraintes d’exploitation peuvent aussi exercer une « pression difficile à gérer pour un pilote sans support opérationnel » et peuvent aussi « conduire les pilotes considérérés à accepter d’entreprendre des vols pour lesquels ils ne maîtrisent pas suffisamment les risques ».
Le BEA recommande donc à la DGAC et à la GTA de « rechercher activement et identifier les opérations aériennes proposées ou organisées par des plates-formes internet qui s’apparentraient à des opérations aériennes commerciales sans répondre aux exigences réglementaires en vigueur, puis statuer clairement sur la licéité de ces opérations et faire cesser les opérations ne garantissant pas le niveau de sécurité requis ». ♦♦♦
Rapport du BEA à télécharger via ce lien
CourchevelPA46