Première BD signée Antoine Crespin au dessin sur un scénario de Philippe Pinard.
Les Editions Paquet, spécialisées dans la bande dessinée, comptent dans leur catalogue de nombreux titres concernant l’aéronautique, regroupés au sein de la collection Cockpit animée par Romain Hugault (Le Grand Duc, Le pilote à l’edelweiss, Au-delà des nuages, Angel Wings, Saint-Ex…).
On y trouve ainsi des récits historiques, de 1914 au Vietnam (les séries Bomb Road et Misty Mission de Michel Koeniguer récemment disparu), de la Bataille de France en 1940 à l’Allemagne dévastée en 1945 (les séries Ciel de Guerre et Ciel de Ruine signées Philippe Pinard au scénario et Olivier Dauger au dessin) en passant par l’Aéropostale, Hélène Boucher, L’Oiseau Blanc, la guerre des Malouines ou le Hawker Typhoon…
Un nouvel album aéronautique sortira ce 9 juin, avec un illustrateur dont ce sera la première BD. C’est au meeting de La Ferté-Alais en 2015 que Philippe Pinard, scénariste de plusieurs séries, a découvert les illustrations d’Antoine Crespin que ce dernier exposait pour se faire connaître. Ainsi est né le duo scénariste-illustrateur. Déjà présenté en décembre 2014 sur aeroVFR, Antoine Crespin n’est pas un débutant… S’il a commencé à peindre des illustrations sur les murs du restaurant de son club de vol à voile à Buno-Bonnevaux – notamment un box de B-17 de l’Air Force aux prises avec des Focke-Wulf FW-190 – il a par la suite suivi une formation au sein de l’école d’arts graphiques ESAG Penninghen.
Passionné d’aviation, il a alors choisi pour sujet de sa thèse de fin de formation « Le Grand Cirque » de Pierre Clostermann, avec une quarantaine de scènes tirées de cet ouvrage, illustrées avec une technique graphique différente à chaque fois, pour finir par un document de 300 pages ainsi illustrées qui lui vaudront, en 2013, une mention Très Bien pour son diplôme. Le récit de Pierre Clostermann est un point commun entre les deux auteurs car la lecture du « Grand Cirque » a sans doute déclenché chez le scénariste sa passion pour l’aviation de la Seconde Guerre mondiale, une « période historique très riche en péripéties militaires mais également humaines. Car si je suis fan des warbirds, c’est quand même l’aspect humain, donc les personnages et leur évolutions dans le récit qui motivent toutes mes intrigues », précise-t-il.
En 2015, Philippe Pinard lui propose donc un premier scénario mais qui n’est pas retenu, l’illustrateur souhaitant se lancer sur un « scénario avec des scènes d’action et des atmosphères lumineuses » auxquelles aspirait Antoine Crespin. Un scénario va donc être créé « sur mesure pour Antoine, précise Philippe Pinard. Je ne pense pas que j’aurai pu l’écrire de la même façon pour quelqu’un d’autre. Il fallait en effet lui fournir le « véhicule » parfait pour que son talent de graphiste et de coloriste puisse s’exprimer sans contrainte. Ce qui supposait un découpage aéré et de larges espaces de création ».
L’idée de suivre un équipage de Lancaster sur 24 heures prend alors forme, permettant d’innover sans retomber sur les chasseurs bien connus de la Seconde Guerre mondiale, certes appréciés du scénariste mais ce dernier avait envie depuis longtemps « de développer un sujet sur un équipage de bombardier » car « n’ayant pas déjà été traité en BD, contrairement au film d’un de mes cinéastes favoris, « Air Force » d’Howard Hawks ». Il s’agissait donc de faire « partager au plus près les motivations, les peurs et les doutes de l’équipage, un peu comme une leçon d’humanisme devant les défis de la guerre ».
Philippe Pinard a l’habitude de définir un découpage assez précis, page par page, car « c’est souvent indispensable dans les scènes aériennes pour que le dessinateur puisse s’y repérer ». Quelques essais seront menés à l’hiver 2015-2016 avant de suspendre le projet, pourtant déjà bien avancé car, entre-temps, Antoine Crespin s’est lancé dans une formation de pilote de ligne, étant désormais copilote sur A320, depuis 2018.
Mais pour « garder la main », l’illustrateur a signé quelques story-boards ou « roughs » pour des campagnes publicitaires, réalisé de nombreuses affiches pour des championnats de vol à voile ou des meetings (Compiègne, Saint-Quentin, Laval, Albert…), ou encore des peintures d’appareils à la demande de pilotes-propriétaires. Le confinement en 2020 dû au Coronavirus et la baisse du trafic aérien auront eu au moins un effet positif, celui de lui permettre de retravailler le projet de BD laissé de côté, faute de temps.
En octobre 2020, Philippe Pinard a ainsi pu envoyer le scénario chez Paquet où le projet a été retenu pour la collection Cockpit. Au fil des 46 planches, le lecteur suit l’équipage de l’Avro Lancaster B MkIII baptisé « Dante’s Daughter » – « Qui pourrait raconter le sang et les fléaux qui se montraient là-bas ? La langue la plus riche, même en se répétant, n’y saurait parvenir » (Dante, L’Enfer) – d’où le titre « Inferno » retenu par le scénariste.
Le bombardier appartient au Squadron 57 de la Royal Air Force, étant immatriculé DX-D (D for Dog). Le scénario s’articule sur l’équipage et le quadrimoteur lors d’une mission du Bomber Command dans la nuit du 29 au 30 juillet 1943. 770 appareils y prendront part, larguant près de 2.200 tonnes de bombes au-dessus de la ville de Hambourg, causant de nombreuses pertes civiles (6.500 morts et 15.000 blessés). 16 quadrimoteurs seront abattus par la chasse, 12 par la Flak et 41 rentreront à leur base fortement endommagés. Cette mission s’inscrit dans « la plus terrible opération aérienne de la Seconde Guerre mondiale en Europe », sous le nom de code Gomorrhe.
Pour ce faire, Antoine Crespin s’est lancé dans des recherches sur le quadrimoteur emblématique de la RAF, véritable star de cette BD même si quelques Halifax viennent se glisser dans les pages. De nombreuses versions ont vu le jour sans pouvoir trouver une documentation complète pour chacune d’entre elles, variant en fonction des antennes, des tourelles de mitrailleuses ou la forme du hublot de visée du bombardier… Coronavirus oblige, il ne lui a pas été possible de se déplacer pour visiter un Lancaster, les aménagements intérieurs devant être reconstitués d’après photos.
Bien qu’ayant tout terminé à Noël dernier, non satisfait de ses personnages, Antoine Crespin a décidé de revoir toutes les planches, finissant par redessiner près de 95% de la BD ! Trois mois denses avec des séances de plus de 10 heures certains jours… La technique graphique demeure classique de nos jours, « en dessinant les croquis, puis en affinant le dessin pour un encrage plus précis avant de mettre en couleur grâce à la tablette graphique ». Si l’outil numérique offre des avantages certains, permettant une flexibilité lors de la mise en page, facilitant des changements de couleur par exemple sans avoir à tout refaire, l’illustrateur – assurant également la mise en couleur – a essayé de « limiter au maximum les calques informatiques afin d’être aussi proche que possible d’une colorisation traditionnelle ».
Au final, avec un récit historique bien documenté – c’est l’approche recherchée par le scénariste par ailleurs également réalisateur de documentaires – les 46 planches plongent le lecteur au coeur de l’action, en suivant un équipage de la Royal Air Force depuis le briefing de la mission jusqu’à l’atterrissage final quelque peu mouvementé, avec entre les deux un Lancaster aux prises avec la Flak mais aussi les projecteurs et les 109G de la chasse de nuit.
Les visuels sont très variés, avec une mise en page qui volontairement casse à plusieurs reprises le rythme de lecture – ici une pleine page d’un « Lanc » face à un cumulonimbus menaçant, là une double page dans l’enfer à la verticale de Hambourg. Les changements de couleurs – entre un ciel nocturne puis la fournaise des incendies de l’agglomération allemande – dénotent déjà une parfaite maîtrise des jeux de lumière.
Il n’y a pas vraiment de héros principal car le récit se veut au plus près de la réalité historique, suivant simplement au quotidien l’équipage d’un bombardier lors d’une des 30 missions qui constituent un « tour » opérationnel – le pilote du « Lanc » est Laurie « Chris » Christensen, William « Jack » Jackson, son navigateur, le guidant jusqu’à la cible. De formation journalistique (tendance moto), le scénariste « reste effectivement très attaché à une réalité historique », adorant « plonger des personnages de fiction dans le bain du réel », car « cela leur apporte une certaine épaisseur romanesque, voire un supplément d’âme ».
Au final, pour une première BD, sans flagornerie – on connaît Antoine depuis quelques années… – le résultat est digne des meilleurs illustrateurs de la collection Cockpit, approchant de très près – on peut oser le dire ! – le niveau atteint par Romain Hugault… Le rendu des scènes aéronautiques est bien maîtrisé. De l’aveu même de l’illustrateur, il lui reste encore à parfaire à l’avenir ses personnages. Mais c’est certain, il faudra assurément compter à l’avenir, dans le milieu de la BD aéronautique, sur Antoine Crespin.
C’est d’ailleurs déjà prévu au programme puisqu’à la dernière page d’Inferno, un deuxième tome est annoncé. Il sera intitulé « Mosquito Raid ». Laurie et Jack se retrouveront en effet en mission sur De Havilland Mosquito, un autre avion emblématique de la RAF et très apprécié de l’illustrateur. « Ce sujet est encore peu traité et cela va me changer des scènes à haute altitude. J’attends impatiemment le challenge d’illustrer des scènes dynamiques au ras du sol » précise-t-il. En attendant ce second tome, indépendant du premier, il vous reste déjà à découvrir « Inferno »… ♦♦♦
Illustrations © Antoine Crespin / Editions Paquet
– Inferno, verticale Hambourg, par Philippe Pinard et Antoine Crespin, Editions Paquet, 48 p. 14,00 €. En librairie ce 9 juin.