Sur les traces de l’auteur du « Grand Cirque ».
Qui, s’intéressant à l’aviation militaire lors de la Seconde Guerre mondiale, n’a pas lu un jour « Le Grand Cirque », le livre à succès rédigé par Pierre Clostermann, le premier as français au sein de la Royal Air Force ? Rédigé en faisant appel à sa mémoire, à ses carnets de notes, à ses carnets de vol, « Closter » a su, peu après la Libération, synthétiser toute son activité aux commandes d’un chasseur dans ce livre renommé.
Fort de son succès (3 millions d’exemplaires, traduit dans 30 langues…), l’ouvrage a connu plusieurs éditions, l’auteur modifiant le contenu au fil du temps en différents endroits, ajoutant des scènes ou en supprimant d’autres, changeant ou supprimant des dates, avec comme sous-titres « Mémoires d’un pilote des FAFL » (Forces aériennes françaises libres) ou « Souvenirs d’un pilote de chasse dans la RAF ».
Ayant noté ces différentes variations d’une édition à l’autre, Georges-Eric Coisne a voulu aller plus loin, c’est-à-dire établir les faits. Ayant noté que les Operations Record Books (ORB) – les journaux de marche des unités de la RAF – étaient consultables aux archives nationales britanniques à Kew, près de Londres, il s’est plongé dans ces documents, ne retrouvant pas toujours les événements tels que mentionnés par l’as français, ou à des dates différentes ou survenus dans d’autres conditions. Il a consulté les carnets de vol du pilote du musée de l’Ordre de la Libération, a consulté les ouvrages d’autres pilotes sur la même période.
De ces recherches est sorti ce document passant en revue, jour par jour, le parcours de Pierre Clostermann dans la RAF, depuis le début de son entraînement en mai 1942 à août 1945 quand il quitte la Royal Air Force, soit 22 mois comme pilote, du Tiger Moth au Tempest en passant par le Spitfire. Formation achevée, ce sera l’affectation au 341 Squadron « Alsace » en janvier 1943 et l’apprentissage du rôle d’ailier pour acquérir de l’expérience au combat.
En septembre 1943, cette première période prend fin brusquement. Le pilote est « suspendu » au sein de son unité, avec une perte de confiance de la part des autres pilotes car à plusieurs reprises il n’a pas assuré correctement la protection de son leader, la seconde fois étant mise en avant pour expliquer la disparition de René Mouchotte. Mis à l’écart, Pierre Clostermann rejoint alors le 602 Suqadron « City of Glasgow », retrouvant son compère Jacques Remlinger. AU sein de ce Squadron, il grimpera dans les différents échelons de responsabilité jusqu’en juillet 1944.
Après une période de repos et un stage de perfectionnement au tir, il rejoint le 122 Wing en février 1945, effectuant au passage sa transition du Spitfire à l’impressionnant Hawker Tempest dont plusieurs modèles porteront la mention « Le Grand Charles » apposée par l’as. Les dernières missions de la guerre, en se rapprochant un peu plus chaque jour de Berlin, ne seront pas les plus faciles et les moins dangereuses, avec de nombreuses pertes dues à la Flak allemande et au dernier baroud d’honneur des chasseurs de la Luftwaffe.
Ainsi, page après page, chaque jour de cette vie opérationnelle est passé en revue, avec les différentes missions menées par les unités auxquelles a appartenu Pierre Clostermann, indiquant si ce dernier a participé ou non aux missions du jour, les avions sur lesquels il a volé, le type de mission, etc. L’auteur de ces recherches a cherché à « recaler » le contenu des ORB avec celui du « Grand Cirque », sans toujours y parvenir. Parfois, ce n’est qu’une question de date, ou de nom de pilote, par erreur ou non car les ORB ne sont pas non plus exempts d’erreurs de transcription. Mais souvent, il apporte la preuve que le « Grand Cirque » comporte des passages « romancés ».
En effet, il apparaît ici ou là que plusieurs événements ont été regroupés dans le « Grand Cirque » (la licence de l’écrivain…) pour accentuer la dramaturgie ou renforcer la force d’un événement. Il arrive aussi que l’auteur du « Grande Cirque » se mette dans l’action alors qu’il n’était pas acteur de la situation décrite ce jour-là. Le tout validant l’approche « romancée » ici ou là du récit même si, comme le précisait Ian Blair, pilote au 602 Squadron, dans un entretien donné à l’Imperial War Museum : « La plupart de ce qui est écrit est vrai, néanmoins… il a changé certains points, il s’est attribué certains faits quand il… Mais néanmoins, l’essentiel de la première édition est plutôt authentique parce que cela a été écrit au moment des faits ».
C’est donc à une lecture « entre les lignes » que ce document entraîne le lecteur, non pas pour « égratigner » le pilote des FAFL aux 600 missions de guerre mais pour proposer un travail de recoupement des données, comme on peut s’y attendre de la part d’historiens, y compris amateurs, cherchant des réponses à des questions qu’ils se sont posées à la lecture du « Grand Cirque ». On sait que son auteur était « chatouilleux » sur ses « 33 victoires homologuées en combat aérien suivant les règles de l’armée de l’Air » (23 selon le décompte du Fighter Command), n’hésitant pas à aller en justice contre un auteur remettant en cause le décompte – sujet sur lequel est revenue la revue Avions, en janvier 2019, avec un dossier intitulé « Le véritable palmarès de Clostermann ».
Au final, l’ouvrage se lit aisément – malgré l’absence de toute photo ! – montrant le quotidien des unités, le type de missions, les relations internes entre les pilotes, de nombreux détails allant jusqu’au prix du camembert à l’été 1944 quand les pilotes de la RAF ont pu se poser sur des terrains de fortune créés en France peu après la Débarquement du 6 juin ! Avec un tarif qui se rapproche de celui du papier, son prix de vente n’est assurément pas un frein ! De plus, sa lecture donne envie de se (re)plonger dans la lecture du « Grand Cirque », en ayant en tête le pourquoi et le comment de certaines anecdotes relatées. ♦♦♦
– Pierre Clostermann, Journal de sa vie opérationnelle, janvier 1943-août 1945, par Georges-Eric Coisne, 254 p. 9,00 € port compris. Imprimé à la demande via Amazon.