Les « autres » traversées de l’Atlantique Nord, juste après celle de Lindbergh, racontées par Jean-Philippe Chivot.
Après la seconde traversée sans escale réalisée par Chamberlin, une troisième fut réalisée le 27 juin 1927 par l’équipage constitué de Byrd, Acosta, Balchen et Noville… L’histoire commence en 1916. Rodman Wanamaker, riche propriétaire de grands magasins de luxe en Amérique et en France, et aussi d’un hydravion Curtiss, fonde l’American Transoceanic Company pour relier par hydravion New-York à la France.
Il meurt en 1928 et dans sa tombe sont présents trois morceaux de terre, le premier provenant de la tombe de Lafayette à Paris, le deuxième de Lunéville où est tombé le premier Américain de la guerre 14-18, et le troisième de Ver-sur-Mer où s’est englouti l’América, l’avion de Byrd à la fin de sa traversée de l’Atlantique.
En février 1927, Floyld Bennett, ami et copilote de Richard Byrd lors de son survol du pôle Nord en 1926, le met en rapport avec Rodman Wanamaker. Richard Byrd est un marin de bonne famille, ayant appris à piloter en 1919 à 30 ans et devenu conseiller de l’US Navy pour la mise au point d’une traversée de l’Atlantique an avion.
En 1926, il tente de survoler le pôle Nord mais fait demi-tour à 400 km du but. Il rêve de remporter le prix Orteig car il avait prédit, dès 1919, la possibilité de traverser l’Atlantique sans escale. Il lui fallait tout d’abord un avion puis un sponsor. Le sponsor étant trouvé, l’avion, comme pour le survol du pôle, sera un Fokker.
L’avion de Byrd est donc un Fokker C2, monoplan trimoteur équipé de trois moteurs Wright J5 de 220 ch, très semblable au Fokker VII du vol vers le pôle (photo ci-dessous).
Sur le Fokker C2 de la traversée de l’Atlantique (ci-dessus), sur le tremplin de Roosevelt Field, on constate que la différence entre les deux appareils réside dans l’adoption, pour l’America, d’un pare-brise pointu. La visibilité de nuit était ainsi bien meilleure.
A son premier vol, le 20 avril 1927, l’América piloté par Floyd Bennett et Byrd passe sur le nez à l’atterrissage. Byrd a le poignet cassé. Noville un gros hématome. Mais Bennett, plus sérieusement blessé, ne pourra participer à la traversée projetée.
L’America est réparé en un mois et les essais continuent avec le nouvel équipage. Byrd, Acosta (que nous avons vu claquer la porte du futur vol de Chamberlin), Noville et Balchen, un Norvégien, pilote-navigateur ayant fait partie de l’équipe d’Amundsen au pôle Nord en 1926.
Byrd fait dresser sur l’aérodrome de Roosevelt Field (Long Island) un tremplin destiné à réduire la distance de décollage. Grand seigneur et n’étant pas tout à fait prêt vers le 20 mai, Byrd prête à Charles Lindbergh sa piste de 3.000 m – construite par Wanamaker – et partage avec lui les relevés méteo sur l’Atlantique dont il dispose. D’autant plus qu’entre temps, le 8 mai, l’Oiseau blanc de Nungesser et Coli disparaît en mer et que Wanamaker déclare le 11 mai que l’America ne décollera pas tant que la situation de l’Oiseau blanc ne sera pas éclaircie.
Finalement le Fokker America est hissé au sommet du monticule de terre le 28 juin et le 29 à 10h00 du matin, il prend l’air pour Paris.
L’avion dégringole la rampe et roule péniblement sur le sol mouillé. Voyant cela, Antony Fokker bondit dans sa voiture et suit l’America avec des extincteurs. Finalement, Bert Acosta arrache l’avion du sol et suit la côte vers l’Europe tandis que Byrd commence sa navigation.
Le temps devient franchement mauvais, avec de la pluie et des turbulences. Un des pires temps observés sur l’océan à cette saison dit-on. La température baisse, faisant craindre du givrage sur les ailes. La nuit tombe et, sans point de référence, Byrd est incapable de préciser sa position. Il griffone à plusieurs reprises sur le journal de bord « Impossible de naviguer ». Après avoir passé Terre Neuve, dans les turbulences, Acosta perd un moment le contrôle de l’avion qui pique vers la mer. Balchen l’aide à rattraper la situation. Un peu plus tard, plus de réception radio… Noville s’est pris les pieds dans les fils.
Voici quelques échanges radio :
30 juin, l’America entre en contact avec le paquebot Paris à 10h45 :
– Donnez notre relèvement radio.
A 11h05, réponse du Paris :
– 221° de la position du Paris, lat 49°33, long ouest 18°10
A 11h30 Byrd demande :
– Y-a t-il brouillard sur mer.
A 11h34 réponse du Paris :
– Temps très clair, pas de vent, vous êtes près de nous car réception très forte
Depuis Terre Neuve l’America vole dans ou au-dessus des nuages. Plus de liaison radio avec des navires… Byrd doit naviguer uniquement au cap et à la montre, en faisant confiance au compas a induction terrestre qui permet de tenir un cap en atmosphère turbulente. La consommation d’essence est plus forte que calculée et Acosta doit un peu réduire les régimes moteur. Balchen transvase le contenu des bidons de secours dans les réservoirs.
Dans l’après-midi du deuxième jour, la couche nuageuse se déchire et Byrd reconnaît le Cap Finisterre au nord-ouest de l’Espagne. Miraculeusement il a pu correctement naviguer au cap et à la montre pendant presque 34 heures dans les pires conditions météo. Peu après la tombée de la nuit, Byrd voit les lumières de Paris mais pas question d’atterrir car la pluie s’est mise à tomber et brouille les contours au sol. L’avion se met à cercler autour du Bourget et la nuit devient épaisse…
Au sol, on l’attend et on entend les moteurs de l’America. Le premier juillet, à 1h10 du matin, Byrd demande par radio qu’on lui indique un terrain où se poser sans risque de casse car il ne peut rester dans la pluie au-dessus du Bourget avec les 3 heures d’essence qui lui restent. Pas de réponse positive et le compas à induction tombe en panne. Le front venant de l’ouest, il essaye d’en sortir en naviguant vers l’ouest. Bon calcul… la pluie cesse et il aperçoit dans la nuit les phares et la mer.
Il décide d’atterrir sur l’eau peu profonde bordant une plage. Il cercle autour, tire des fusées éclairantes et approche de la surface liquide. Au contact, les roues se détachent, l’avion glisse sur l’eau et s’arrête à moitié immergé. L’équipage gonfle en toute hâte le canot pneumatique et débarque sur la plage de sable où ils s’allongent, bien contents. Byrd se demande alors si son vol sera homologué car il s’achève dans l’eau.
A huit heures du matin, la France ne sait encore rien du sort de l’América. Peu après arrive une nouvelle inattendue du correspondant du journal Ouest Eclair, de Bayeux : Byrd et ses compagnons ont amerri à Ver-sur-Mer. Ils sont saufs.
Ver-sur-Mer, petite plage de la Basse Normandie va être, une première fois, mondialement connue. La deuxième fois est beaucoup plus importante : Ver-sur-Mer, c’est aussi Gold Beach, l’une des plages du Débarquement en juin 1944, à proximité d’Omaha Beach, plage où les Américains perdirent le plus de soldats.
A 4h00 du matin, l’équipage frappe à la porte du phare. Le gardien, étonné, leur offre, pour les remettre de leurs émotions, un café puis une chambre. Dès le lever du jour, Byrd retourne sur la plage pour essayer de mettre l’avion au sec. Il constate qu’une foule de gens des communes avoisinantes est déjà là pour le spectacle et commence à déchirer des bouts de toile comme souvenirs. Byrd arrive à sauver les documents, moteurs, instruments et sacs postaux avant que la carcasse de l’América ne soit tirée sur le sable.
En effet, la Poste américaine avait confié à Byrd un sac de 70 kg de courrier dont 300 lettres furent sauvées puis tamponnées à la poste de Ver-sur-Mer. Ce fut la première liaison aéropostale à travers l’Atlantique ! L’équipage gagna ensuite Paris par le train où il fut largement ovationné.
Richard Byrd a magistralement démontré que la traversée de l’Atlantique n’était pas seulement le fait de pilotes solitaires mais pouvait aussi servir à transporter des passagers. Dix ans plus tard viendront les premiers vols réguliers au-dessus de la « mare ».
Byrd et ses compagnons rentrèrent aux Etats-Unis sur le paquebot américain Léviathan
(ex-Vaterland allemand d’avant 1918) sur lequel ils firent la traversée avec Chamberlin et sa femme. Ci-dessous, l’arrivée en fanfare dans le port de New York du Leviathan avec Byrd et Chamberlin à bord.
Byrd fut ensuite moulte fois décoré et devint amiral. Il eut droit, avec Chamberlin, à une monstrueuse Ticket Tape Parade à travers Manhattan. Pour le grand public, les aviateurs d’alors étaient les footballeurs d’aujourd’hui… ♦♦♦ Jean-Philippe Chivot
Illustration via l’auteur. En ouverture, de gauche à droite : Acosta, Byrd, Noville et Balchen.
A Ver-sur-Mer, le musée America-Gold Beach évoque cette traversée épique…
Prochain et dernier épisode : vendredi 5 février 2021, « Septembre 1927, cause météo, fin de la saison aéronautique sur l’Atlantique » avec la dernière traversée de l’année et un bilan de ces premiers vols transatlantiques.