Quelques rappels sur la menace invisible de la turbulence de sillage…
Comme il y a des effets secondaires (lacet inverse, roulis induit…) accompagnant les effets primaires des gouvernes, il y a aussi des effets secondaires issus de la portance. Il s’agit de la traînée induite, sous-entendu « par la portance » car sans portance, pas de traînée induite mais pas de portance sans traînée induite !
Cette dernière est due aux tourbillons marginaux, créés en extrémité de voilure (saumon) quand l’air en pression à l’intrados de chaque aile s’enroule par le côté avec l’air en dépression à l’extrados. Cet écoulement circulaire s’éloigne progressivement de la trajectoire de l’aéronef, à la fois vers le bas et latéralement. De plus, son diamètre augmente au fur et à mesure de son éloignement.
Ces tourbillons marginaux (vortex), d’après des études menées notamment par la Nasa – dont la photo d’ouverture avec le passage d’un simple avion d’épandage agricole – divergent latéralement avec une vitesse moyenne de 5 Kt quand les conditions sont calmes. Près du sol, les deux tourbillons ne peuvent s’échapper vers le bas et si un vent de travers existe par rapport à la piste, ils vont glisser d’un côté ou de l’autre, jusqu’à aller « polluer » une piste parallèle.
Cette traînée induite est liée à différents paramètres. Elle est faible si l’allongement de la voilure est élevé et le coefficient de portance faible, soit un vol en croisière. Elle est forte si l’allongement de la voilure est faible et le coefficient de portance élevé, soit au décollage et en montée initiale ou en approche et à l’atterrissage. Elle est donc bien présente derrière une voilure fixe mais aussi tournante (hélicoptère).
Les tourbillons marginaux sont globalement dépendants de la taille de l’appareil qui les génère. Un 747 générera des tourbillons plus importants que ceux d’un A320 et ce dernier diffusera des tourbillons plus importants que ceux d’un KingAir. Tout est relatif et l’aviation commerciale a fixé des distances minimales pour séparer des trafics se suivant afin de laisser le temps aux tourbillons de se dissiper.
Une perte de contrôle peut être engendrée par de tels tourbillons. Un jet d’affaires peut se retrouver sur le dos derrière un gros-porteur. On a souvenir d’une photo des années 1970 d’un Cessna 150 ayant croisé le sillage d’un avion de ligne, l’équipage parvenant à se poser avec un fuselage coudé en accent circonflexe suite aux turbulences. Lors du tournage d’un film publicitaire, un F-104 Starfighter a été « happé » par le tourbillon marginal d’un bombardier XB-70 Valkyrie, entraînant le crash des deux appareils.
Les avions légers ne sont pas à l’abri. Par temps calme, un virage de 360° réalisé parfaitement en palier permet de repasser dans son souffle, avec une zone de turbulence créée à l’attaque du virage par la prise d’incidence par augmentation d’assiette afin de maintenir le palier. En vent arrière, en étant trop près de l’avion précédent, vous pouvez rencontrer ses tourbillons marginaux additionnés du souffle hélicoïdal, surtout si l’appareil a sorti une partie de ses volets hypersustentateurs (Rallye, Cessna 172).
Tout est donc relatif… En septembre 2012, un accident est intervenu en Allemagne avec le pilote d’un DR-400/180R perdant le contrôle peu après le décollage. Il n’a pu contrer un départ en roulis vers la droite menant au crash de l’appareil. Une vidéo a permis d’analyser l’événement et il a ainsi été mis en valeur que, 39 secondes avant son décollage, le DR-400 a été précédé du décollage d’un Antonov An-2.
En juillet 2014, l’analyse a entraîné des essais réels, en altitude, d’un DR-400 passant dans le sillage d’un même appareil, avec des fumigènes pour mettre en valeur les tourbillons. Le départ en roulis, par perte de contrôle (jusqu’à plus de 90° d’inclinaison !), a été reproduit sans que les ailerons puissent contrer la force du tourbillon du biplan. Il a fallu attendre au moins une minute pour que l’effet du vortex chute de façon significative mais un modèle informatique a montré que la diminution notable du tourbillon pouvait nécessiter plus de deux minutes, ceci par conditions atmosphériques calmes.
Comment minimiser le risque de la turbulence de sillage ?
Les manuels de pilotage répondent généralement à cette question.
– au décollage : vous devez prendre conscience de l’appareil qui vous précède au décollage et aussi les conditions de vent sur la plate-forme (vent calme, danger !). Si les contrôleurs sont conscients des risques liés à la turbulence de sillage et espacent les mouvements en conséquence, rien ne vous interdit d’attendre encore un peu plus en cas de doute.
Attention si un appareil de fort tonnage a décollé de la piste parallèle à la vôtre. En fonction du vent, ses tourbillons marginaux peuvent dériver sur plusieurs centaines de mètres et concerner une bonne partie de la plate-forme. De plus, dès la montée initiale, il faudra virer au vent du terrain pour éviter de passer dans la trajectoire de l’appareil qui vous a précédé au décollage.
Derrière une machine de plus fort tonnage, il est nécessaire de décoller avant le point de rotation de l’appareil qui vous précède. C’est à la rotation qu’il va générer le plus de portance et donc de traînée induite et donc de turbulence de sillage, avec les volets et le train sortis. Attention également donc si vous devez vous aligner à partir d’une intersection et non pas en début de piste alors qu’un « lourd » a décollé avant vous mais il est préférable de s’aligner depuis une intersection si vous devez décoller après l’atterrissage d’un « lourd », afin d’effectuer votre rotation après son point de toucher.
– à l’atterrissage : l’appareil qui vous précède va générer encore plus de turbulence de sillage à l’arrondi. Il faut donc durant l’approche est toujours au-dessus de son plan d’évolution, voire un peu décalé au vent de sa trajectoire, et atterrir au-delà de son point de touché.
Comment éviter la turbulence de sillage ?
Comme cette menace est invisible, il n’y a pas de solution miracle, simplement avoir conscience de sa possible présence en notant les conditions de vent et le ou les appareils vous précédant sur une trajectoire similaire. Si vous subissez soudainement de fortes turbulences, c’est le symptôme… mais qui ne renseigne pas sur le secteur à rejoindre pour sortir de cette zone dangereuse. Si vous êtes à basse hauteur et faible vitesse, augmenter la puissance et diminuer l’incidence, pour accélérer et avoir un meilleur contrôle en roulis sont les solutions cependant préconisées. ♦♦♦
Photos et illustrations © Nasa, Airbus, CAA New-Zeland
Pour aller plus loin :
– le document (en anglais) du BFU allemand sur l’accident du DR-400/180R
DR400An2
– une Note d’information technique (en français) du STAC/DGAC sur « La turbulence de sillage »
TurbSillageSTAC
– si vous voulez les mêmes informations en travaillant l’anglais, une vidéo à regarder, ou aller directement à 4 mn 12 secondes pour le vortex d’un avion léger volets sortis.