Retour sur les avions de tourisme en France durant les Trente Glorieuses
Le Trait d’Union est la revue bimestrielle publiée par la Branche française d’Air Britain (BFAB, créée en 1968) et consacrée à l’histoire et l’actualité de l’aviation française. Elle publie aussi de temps en temps des hors-séries. Le dernier en date est intitulé « Avions de tourisme en France (1945-1970) ». Le titre doit être bien compris : il ne s’agit pas des avions de tourisme conçus et produits en France mais des avions de tourisme présents dans les cieux tricolores, sous immatriculation F-xxxx, d’où la présence d’aéronefs étrangers dans le lot.
Pour des raisons techniques et financières, le projet éditorial a dû se limiter à 140 pages, une pagination qui a forcé les auteurs à faire des choix, écartant donc la construction amateur et le vol à voile de leurs sélections. Ce recueil ne peut donc prétendre à l’exhaustivité, en espérant un tome 2 couvrant les domaines volontairement laissés de côté pour cette première édition…
En 140 pages donc, près de 120 appareils ou familles d’appareils sont ainsi passés en revue, à raison d’une page par modèle même si 17 avions considérés comme « les plus représentatifs de l’aviation de tourisme des Trente Glorieuses » (D-140 Mousquetaire, Beech Bonanza, Morane-Saulnier Rallye, Jodel D-11, Piel Emeraude, Nord 1203 Norécrin…) bénéficient d’une double page. Le texte explicatif est forcément court, faisant une rapide synthèse de l’historique du type, son descriptif, les caractéristiques et performances, et parfois quelques commentaires sur les qualités de vol. Le tout est accompagné d’une ou plusieurs photos.
C’est dans ce dernier domaine que l’ouvrage se distingue surtout, avec des photos toutes en couleur (une seule exception pour un Aubert 204 en noir et blanc…) tirées des riches réserves de diapositives des auteurs. On découvre ainsi de nombreuses pépites, avec des appareils désormais disparus, allant d’un Supercab de l’aéro-club Pierre Trébod à Saint-Cyr en 1967 à un rare Caudron Simoun surpris en 1974 à La Ferté-Alais en passant par le prototype du Cap-10 à Amiens en septembre 1971 ou encore un Piel Emeraude devant l’aéro-club Sadi-Lecointe sur l’ancien aérodrome de Lognes en janvier 1968.
En feuilletant ce recueil d’avions légers, essentiellement monomoteurs, on retrouve toute la richesse de l’aviation légère (de tourisme, de loisirs, générale, sportive… selon les différentes désignations auxquelles elle a été identifiée) avec de nombreux constructeurs aujourd’hui disparus : Aubert, Boisavia, Brochet, CAB, Caudron, Druine, Fournier, Gardan, Mauboussin, Max-Holste, Potez, Scintex, Sipa, Starck, Wassmer et l’on en passe quelques-uns. Quant aux moteurs français, de qualité jugée médiocre hormis les GMP Potez, ils ont rapidement disparu sous la suprématie des deux motoristes américains, Lycoming et Continental.
En introduction, un « bref survol » permet de rappeler le contexte de cette aviation durant la période traitée, à savoir une aviation légère qui doit renaître après six années de guerre, où les conceptions seront numéraires mais pas toujours bien pensées, quand ce n’est pas l’Etat qui oriente, pas toujours à bon escient, le milieu « industriel » (au nombre des modèles produits, il faudrait parler souvent d’artisanat) à coups de concours ou de marchés parfois biaisés, préférant fournir 500 SV-4 Stampe aux aéro-clubs plutôt que d’accepter des Piper Cub.
Le foisonnement d’appareils et donc la faible production de chacun amèneront un essoufflement dont les constructeurs américains – dont le trio Cessna-Piper-Beechcraft – tireront profit pour s’imposer en Europe – seul Robin réussissant sur le long terme en analysant les pratiques des majors américaines. La plupart des constructeurs vont s’arrêter faute d’une production suffisante ou après avoir « glissé » vers des marchés plus lucratifs en abandonnant la « petite » aviation.
En épilogue intitulé « La nostalgie des jours heureux », les auteurs évoquent aussi l’évolution sociétale ou sociologique. Si l’aviation légère, au sortir de la guerre, est encore associée à l’Aviation populaire, avec même des aéro-clubs créés par des syndicats d’ouvriers ou des corporations (cheminots, électriciens, métallurgistes…), elle va progressivement être connotée « activité pour riches », avec une évolution vers le haut de gamme des flottes des aéro-clubs.
Entraînés par leurs dirigeants, ces derniers laisseront souvent de côté la formation des jeunes, la relève des années futures, tandis que les constructeurs iront vers cette demande plus lucrative des avions de voyage toujours plus performants. L’activité va ainsi progressivement se couper d’une partie de la population, avec un repliement de la communauté et les constats faits ces derniers temps liés à des demandes de fermeture de terrains, pour nuisances sonores ou autres raisons.
Ainsi, ce recueil d’avions ayant volé en France montre bien que « le visage de l’aviation de tourisme a été remodelé voici plus de quarante ans, avec aujourd’hui trois fois moins d’avions qu’en 1972 », l’année précédant la crise dit du premier choc pétrolier. Peu après, les avions légers, sous la présidence de Valery Giscard d’Estaing, seront considérés en France comme des objets de luxe et taxés en conséquence.
Au final, un document qui se consulte avec plaisir, pour noter l’évolution de l’aviation légère en France, (re)découvrir les nombreux appareils présents sur nos aérodromes durant ces trois décennies d’après-guerre, apprécier une iconographie bien choisie et pouvant être utile à des maquettistes intéressés par ce segment de l’aviation… Objectif atteint ! ♦♦♦
– Avions de tourisme en France (1945-1970), par Jacques Guillem, Patrick Vinot-Préfontaine, Jacques Chillon et Alain Gosset. Hors-Série du Trait d’Union. 140 pages, 25 €. Lien vers le site de l’BFAB.