Ou la course secrète à la puissance en Grande-Bretagne, en Allemagne et aux Etats-Unis.
Chaque année, de nouveaux ouvrages s’ajoutent à la déjà longue liste de livres consacrés aux chasseurs de la Dernière Guerre mondiale, un filon intarissable pour les éditeurs. Rares sont ceux révolutionnant le domaine déjà bien couvert ou apportant de nouvelles données. Mais en voici un, assurément, car il apporte une analyse transversale.
Calum Douglas, l’auteur, est ingénieur spécialiste de la conception de moteurs pour le monde automobile. Il a travaillé pour BMW et Toyota, notamment dans le domaine de la formule 1. Passionné de conception de moteurs à piston, il s’est intéressé au développement des derniers modèles de moteurs aéronautiques, le summum de la technologie utilisée sur les chasseurs de la Dernière guerre sur le front européen avant que l’ère de la propulsion par réacteur ne les renvoie dans les musées.
Il n’a pas lésiné sur les recherches, photographiant plus de 120.000 pages de documents d’archives retrouvés en Grande-Bretagne, en Suisse, en Suède, en Italie, en Allemagne et aux Etats-Unis. Il a également utilisé des documents inédits comme les notes techniques de Karl Kollmann, le directeur technique de Daimler-Benz AG dont les moteurs DB série 600 propulsaient les différents modèles de Messerschmitt 109.
Chapitre par chapitre, l’auteur décrit les recherches menées dans différents bureaux d’études, principalement anglais (Rolls-Royce, Napier…) et allemands (DB, Jumo…), évoquant au fil des années la recherche et développement menée dans différents domaines : métallurgie, injection, turbocompresseur, carburants, etc. Il est question de soupapes, de réducteur, de compresseur à simple ou double étage, de glycol, de plomb, de refroidissement et de détonation… Des sociétés comme Siemens, Bosch, Bendix ou d’autres sont déjà là.
Le tout est accompagné avec force documents techniques : schémas, écorchés, photographies sans oublier des notices biographiques d’une multitude d’ingénieurs motoristes ayant participé à la course à la puissance – car un chasseur, c’est avant tout un moteur. On notera au passage que l’aérodynamique subsonique a connu également son summum avec ces derniers chasseurs à hélice…
Cette course secrète à la puissance a notamment débuté avec la Coupe Schneider, qui a servi de terrain d’expérimentation, même si les appareils (des hydravions à flotteurs aux vols courts) et leurs motorisations aux durées de vie très limitées, ne pouvaient devenir des chasseurs opérationnels et fiables. Mais remportée par la Grande-Bretagne, cette coupe a permis à Supermarine de passer du S6 au Spitfire et au motoriste d’engranger un retour d’expérience fort utile. S’étant retirés de la compétition, les Etats-Unis le paieront plus tard, devant motoriser leur Mustang par un Merlin, moteur en ligne produit sous licence par Packard, même s’ils ont développé de puissants moteurs en étoile.
Les Anglais prendront cependant du retard, notamment dans le domaine de l’injection, insuffisamment pris en compte, ce qui fera que les premiers Spitfire subissaient les aléas en combat aérien de moteurs à carburateur alors que les Messerschmitt bénéficient de l’injection directe. A la lecture de l’ouvrage, on note pourtant les visites d’ingénieurs anglais aux motoristes allemands en 1937, découvrant avec envie certains moyens techniques d’analyse employés par le futur ennemi, et échangeant autour d’une bière des résultats techniques…
Le réveil anglais viendra en 1942 après l’arrivée sur le théâtre d’opération européen de la forte menace constituée du Focke-Wulf FW-190. Le ministère de l’Air anglais lancera un programme pour obtenir un moteur plus puissant avant 1944. Les Merlin connaîtront de multiples évolutions avec une augmentation progressive de la puissance et Napier développera son Sabre, dont la conception remonte à 1935, les premiers essais en 1937 mais qui n’arrivera en unités qu’en 1944 avec les Hawker Typhoon et Tempest. Le développement de ce moteur (ci-dessous) de 24 cylindres en H, à chemises louvoyantes, n’a pas été simple !
Pendant ce temps, si Daimler-Benz a développé sa série 600, Junkers a mis au point ses moteurs Jumo 213 propulsant notamment les FW-190D et Ta-152. C’est ce moteur (ci-dessous) qui a particulièrement attiré l’attention de l’auteur de l’ouvrage… Ce dernier reste émerveillé par le travail de tous ces ingénieurs motoristes, des deux côtés du front, qui ont attaqué des problèmes techniques avec les moyens d’époque, parvenant cependant sans ordinateur à réaliser des moteurs d’une grande précision.
Toute cette histoire est racontée en 480 pages, dans un texte (en anglais) clair où tout au plus 3 ou 4 formules mathématiques sont étalées sur l’ensemble de l’ouvrage. Le texte contient de multiples extraits de rapports techniques de l’époque, faisant le point des développements en Grande-Bretagne, en Allemagne et aux Etats-Unis, de 1940 à 1945.
La couverture, avec un North American P-51D Mustang propulsé par un Rolls-Royce Merlin (V12), un Focke-Wulf FW-190D entraîné par son Jumo 213 (V12) et un Hawker Typhoon subissant son Napier Sabre (H), résume bien le contenu de cet excellent ouvrage qui fait référence sur ce sujet inexploité à ce jour avec autant d’informations. Au passage, le lecteur aura tout intérêt à jeter un coup d’oeil au portfolio de l’illustrateur de la couverture, Piotr Forkasiewicz – tendance Bataille d’Angleterre ou Avro Lancaster notamment. ♦♦♦
– The Secret Horsepower Race, par Calum Douglas. Tempest Books/Mortons Books. 480 p. 35,00 £