Quelques considérations autour du touché-décollé !
La formation des pilotes évolue dans le temps. Ceci peut dépendre de l’évolution technologique, ce fut le cas quand la radio puis le VOR et désormais le GPS se sont invités au fil des décennies dans les cockpits, imposant une formation spécifique à leur utilisation pour s’intégrer dans les pratiques.
Cela peut également provenir de l’analyse d’accidents. Ainsi, une « retombée » de l’accident AF447 très médiatisé fut, après un certain délai de remise en cause des pratiques, l’abandon en aviation légère de l’exercice de décrochage avec perte minimale de hauteur, devenu un « exercice de cirque » aux dires mêmes de pilotes inspecteurs mais exercice pourtant défendu quelques mois auparavant par les mêmes… Vue la faible marge de puissance de nos avions, mieux vaut en effet compter sur l’assiette (manche secteur avant) pour reprendre rapidement de la vitesse et ainsi diminuer l’incidence plutôt que de croire à la post-combustion de nos Lycoming, Continental ou Rotax.
Ainsi, ce n’est pas parce qu’un exercice ou une pratique s’est fait durant des années qu’il faut continuer à le faire si son intérêt à le pratiquer a perdu son sens ou entraîné des risques accrus. En vol à voile, cela fait près de dix ans que la pratique dite du « retour au sol » a été abandonnée. Il s’agissait pour le pilote de l’avion remorqueur de ramener sur la piste un planeur n’ayant pu larguer le câble, avec une procédure imposant au vélivole de sortir les pleins aéro-freins, puis de passer sous le souffle hélicoïdal du remorqueur avant de suivre ce dernier avec une trajectoire plus basse à tout instant jusqu’à la courte finale où le remorqueur aurait pu larguer le câble de son côté.
Au vu du nombre d’incidents ou d’accidents survenus lors de ces entraînements rendus obligatoires avant tout lâcher et brevet, bien supérieur au nombre de cas réels de non-largage enregistrés chaque saison, la solution la plus sage a été de supprimer cet exercice du cursus de formation. La solution alors retenue pour contrer cette menace potentielle a été mieux adaptée : le remorqueur a désormais la tâche de ramener le planeur à proximité du terrain avant de larguer le câble côté avion. Au pilote du planeur, entraîné en formation, à réaliser ensuite un tour de piste en décalant son point d’aboutissement pour prendre en compte le câble pouvant pendre sous son nez.
On se souvient aussi d’évolutions pédagogiques dogmatiques il y a quelques années pour gérer les atterrissages par vent de travers. Certains voulaient copier les avions de ligne en ne décrabant pas, le train principal étant censé pouvoir encaisser les efforts transversaux comme sur les avions de ligne. D’autres inventaient une solution intermédiaire avec l’application de seulement la… moitié de la correction de dérive – si… si… on a les noms ! Le bon sens a su revenir avec un alignement de l’axe longitudinal de l’appareil avec la piste au moment du touché des roues dans l’intérêt structural de nos machines… Bref, ce n’est pas forcément en mettant 10 experts dans une salle qu’il en ressort une idée brillante ! En d’autres termes, dix chevaux ne courent pas plus vite qu’un cheval !
Ainsi, pourquoi ne pas évoquer une évolution à envisager de la manière de traiter en vol motorisé l’exercice du touché-décollé. Dans le « Guide de l’instructeur VFR » ou FI(A) édité par l’ENAC et communiqué aux candidats à la qualification de FI(A), on lit à la leçon concernant l’atterrissage quelques propos relatifs au « touch » – comprendre le touché-décollé, version française du touch-and-go.
Il est inscrit que « utilisé fréquemment dans le cade de l’instruction pour optimiser le temps de vol lorsque la longueur de piste est compatible, le « touch and go » n’existe pas en tant qu’opération aérienne. L’approche est normalement conclue par un atterrissage ou par une approche interrompue. Si vous utilisez le touch en instruction :
– si la piste est assez longue et avec l’accord du contrôle, faites un arrêt complet et demandez à l’élève de reconfigurer son avion pour un nouveau décollage,
– ou bien demandez à l’élève d’assurer le roulage, à charge de l’instructeur de reconfigurer l’avion en vue du nouveau décollage ».
L’intérêt économique de réaliser des touchés-décollés est évident pour un stagiaire en formation. C’est l’assurance de réaliser un maximum d’atterrissages sur une durée donnée. Cela ne serait assurément pas le cas si chaque atterrissage devait être complet, suivi d’un roulage avec retour au point d’attente, derrière parfois d’autres avions attendant la possibilité de s’aligner pour décoller…
Si l’approche en activité normale (hors formation) est effectivement généralement conclue par un atterrissage complet ou une approche interrompue si la finale ne se présentait pas, le touché-décollé reste tout à faire une manoeuvre opérationnelle, au sens où rien ne l’interdit, même pour un pilote breveté hors instruction. Comme indiqué par le commentaire estampillé ENAC, cela reste une excellente méthode pour accumuler les atterrissages, lors d’une séance d’entraînement pour garder la main et/ou conserver son habilitation à embarquer des passagers (3 décollages-atterrissages dans les 90 jours).
La solution proposée en priorité en cas d’instruction est d’effectuer un arrêt complet, de reconfigurer la machine (volets, compensateur) puis de redécoller. Ceci est un reliquat du document original, ayant porté initialement les initiales SFACT puis SEFA avant d’être transféré à l’ENAC. C’était l’époque où les avions du centre national de Grenoble-Saint-Geoirs, à partir du taxiway central de la longue piste, s’alignaient par vent nul ou faible aux deux QFU différents.
Pour la petite histoire, certains instructeurs stagiaires ont le souvenir d’être formés à Saint-Geoirs par un instructeur A du SFACT disant aux futurs instructeurs que s’ils n’étaient pas capables de reconfigurer l’avion en roulant lors d’un touché, il faudrait sans doute faire autre chose que de l’instruction ! Absent une journée pour un examen d’anglais, il fut remplacé par un instructeur B du SFACT exigeant que soit le stagiaire assure l’axe et l’instructeur reconfigure la machine, soit le contraire, sinon c’était obligatoirement l’arrêt complet pour le faire en monopilote, sinon il fallait faire autre chose que de l’instruction ! Bon, le jour du test, des stagiaires instructeurs ont eu l’instructeur A comme « élève » en place gauche et l’examinateur B à l’arrière. Question : quelle méthode choisir au moment du touché dans ces conditions de « standardisation » du touché ?
Mais cette solution de s’arrêter sur la piste pour reconfigurer la machine est-elle adaptée ailleurs qu’à Saint-Geoirs ? Combien d’aérodromes, où sont pourtant formés des centaines de pilotes, disposent-ils de pistes de plus de 2.000 m de long ? Même avec 1.000 m de piste disponible, une telle procédure ne peut être réaliste dans la très grande majorité des cas et ce pour des raisons de sécurité vis à vis de la longueur de piste restante au décollage mais aussi vis-à-vis du trafic établi en finale pendant qu’un équipage s’arrête sur la piste pour un temps inconnu afin de reconfigurer la machine tout en ayant annoncé auparavant un touché-décollé ! Sur terrain contrôlé, on aimerait voir la tête des contrôleurs…
Bref, en début de formation au niveau des atterrissages, abordés par quelques séances de tours de piste ou quelques tours de pistes après une leçon de vol en local, il est logique de répartir progressivement les tâches à accomplir. Au stagiaire au début d’assurer la trajectoire au sol pendant que l’instructeur reconfigure la machine mais pourquoi s’interdire au fur et à mesure de laisser progressivement tout faire à l’élève puisqu’il vole sur un appareil… monopilote.
Certains vont sans doute sauter au plafond en affirmant qu’il est irresponsable de laisser un élève ainsi formé réaliser des touchés-décollés en autonomie car la manoeuvre n’a pas de finalité opérationnelle et que la tâche peut être ardue pour un stagiaire – même si l’instructeur est présent pour assurer la sécurité. Mais ce sont les mêmes qui, à juste titre, considèrent que le stagiaire doit assurer – tout seul – une approche interrompue, y compris à quelques mètres du sol si l’avion est soudainement désaxé par une rafale de vent !
Or qu’elle est la tâche la plus difficile à réaliser ? Un touché-décollé à gérer en 2 dimensions, appareil au sol, en s’arrangeant pour que ce dernier suive l’axe de la piste durant la reconfiguration avant de remettre pleins gaz ou… une approche interrompue à gérer en 3 dimensions, à proximité du sol et d’obstacles, avec des effets moteur et effets secondaires sans doute plus exigeants à maîtriser sans l’aide de la réaction du sol sur les roues ?
Quand on note que le BEA constate une recrudescence d’événements liés à des approches interrompues mal négociées, l’avion touchant le sol du train avant voire d’une extrémité de l’aile, le pilote ayant eu des difficultés à gérer la trajectoire de son aéronef à quelques mètres du sol ou ayant réalisé certaines actions de manière inadéquate (rentrée des pleins volets trop précoce, application brutale du plein gaz, gestion insuffisante des effets moteur, contrôle inadapté de l’assiette, etc.), on peut admettre que la remise de gaz près du sol est bien plus complexe à gérer qu’un touché-décollé – surtout si ce dernier est effectué sur piste en herbe, large et longue pour laisser le temps au stagiaire de ne pas travailler dans l’urgence…
Et si l’élève a été formé progressivement à réaliser en totale autonomie des touchés-décollés, au fur et à mesure des séances menant au lâcher, pourquoi ne pas le lâcher sur des tours de piste identiques – évidemment sur piste non limitative et suffisamment large donc en herbe si disponible… – pour ne pas changer ses habitudes, ce qui serait le cas si subitement on lui demandait de ne faire que des atterrissages complets avec retour au seuil de piste ? Vision iconoclaste ? Pas plus que d’exiger des décrochages sans perte de hauteur sur avion léger ou de ne pas décraber par vent de travers… ♦♦♦
Photos © F. Besse / aeroVFR.com