Avec les consignes sanitaires liées au Covid-19, l’organisation des manifestations aériennes va devoir s’adapter. Jean-Philippe Chivot évoque des pistes possibles.
L’objectif premier d’un meeting aérien est la promotion de l’aviation, c’est-à-dire amener le public à exercer un métier lié à l’aviation ou à participer à son utilisation. Cet objectif d’information du public est maintenant du ressort des média. L’objectif second est de fournir un spectacle se déroulant dans l’air. Au fil du temps cet objectif est devenu pratiquement la seule raison d’être d’un meeting aérien, meeting qui comporte, comme au théâtre, des classes de spectateurs, orchestre ou poulailler.
Le public d’un spectacle aérien se divise maintenant en trois groupes : les fanatiques d’avions en tant que machines volantes, les photographes et les familles fans d’un après-midi au grand air de la campagne.vSe pose donc le problème du contenu du spectacle pour plaire au plus grand nombre. Et c’est là que les contraintes sociales du Covid-19 interviennent et amènent à concevoir une nouvelle forme de meeting qui perdurera sans doute après la disparition du virus.
Historique du meeting spectacle et de son contenu
Des 1925, il y a 95 ans, le problème du contenu d’un meeting apparait en France. Le journal « Les Ailes » du 13 aout 1925 le révèle au grand public dans un article en première page – « Le procès des meetings » – signé de Georges Houard, créateur et rédacteur du dit journal jusqu’à sa disparition en 1963. Georges Houard y parle du « meeting-spectacle » dont le but est d’attirer le public et de le faire payer pour essayer de couvrir les frais des organisateurs. Deux objectifs apparaissent : faire venir le maximum de public et minimiser les frais.
Or, dit-il, pour amener du public à un meeting, il ne faut pas lui annoncer des épreuves techniques ou même simplement sportives. Il faut lui promettre des attractions. Un acrobate faisant du trapèze sous un avion, une jeune femme se lançant en parachute, les mille et une acrobaties d’un « as » de la voltige aérienne sont les meilleurs éléments d’un meeting-spectacle, ce sont ceux qui assurent le rendement financier de l’entreprise.
Ceci admis, une autre question se pose. Est-ce que le public venant au meeting pour voir des gens exécuter des exercices, qu’à tort ou à raison, il juge être périlleux, est-ce que ce public éprouve la moindre envie de les imiter ? Un meeting-spectacle n’a pas beaucoup plus d’effet sur la navigation aérienne que n’en a, par exemple, sur le développement de l’automobile, le « looping de la mort » exécuté, dans un cirque, par un acrobate. Ce ne sont pas, non plus, les acrobates de la bicyclette qui ont amené un million de Français à se servir journellement de l’engin qu’on appelle la « petite reine d’acier ».
Le public qui vient au meeting-spectacle a la même mentalité que celui qui accourt au cirque pour y voir une attraction sensationnelle et apparemment — ou réellement — dangereuse. Pas plus qu’il ne voudrait prendre la place du gymnaste sur son trapèze, ce public ne désire exécuter en avion les évolutions acrobatiques qui lui font pousser des cris de stupéfaction, même d’admiration.
L’immense majorité du public ne se sent aucune disposition pour jouer le rôle des chevaliers de l’air. Le public prend le chemin de fer, le public roule en automobile parce qu’en dépit d’accidents fréquents inhérents à ces modes de locomotion, il ne vient à personne l’idée de féliciter celui qui, pour se rendre d’un point à un autre, est monté dans un train ou dans une voiture. Georges Houard conclut en affirmant que le temps des meetings-spectacles est passé et qu’il faut trouver autre chose pour attirer les 5.000 spectateurs d’une fête aérienne en campagne.
Presque 25 ans plus tard, en octobre 1949, le mensuel « L’air » dans un article intitulé « Meetings » remarque que le problème du contenu des meetings est toujours présent :
« La venue récente de l’automne annonce la fin des manifestations aéronautiques. Cette année 1949 aura été particulièrement favorisée à cet égard et nombreux furent les rallyes et meetings organisés par les clubs. Si, dans l’ensemble, en raison même de leur caractère spécifiquement touristique, les premiers ont satisfait participants et organisateurs, on ne saurait en dire autant des seconds. C’est que le meeting a un but précis : remplir la caisse du club qui en est le promoteur ».
« Ce qui est, d’ailleurs, parfaitement louable, puisque ne s’opposant pas forcément à l’idée fondamentale de propagande aérienne qui doit rester la raison d’être du meeting. Un spectacle doit tenir compte, s’il veut réussir financièrement, des désirs de ceux qui seront susceptibles d’y assister et de leur nombre. C’est ainsi qu’il y a des régions particulièrement aéronautiques et d’autres qui le sont moins. Mais, d’une manière générale, si l’on veut attirer les réticents et ne pas décourager les enthousiastes, il faut présenter des programmes renouvelés tenant compte du moment et susciter la curiosité par des présentations inattendues, historiques ou ultra-modernes ».
« Il faut également prévoir des attractions en rapport avec le matériel utilisé, si l’on veut éviter de tomber dans le cirque, ce qui est fâcheux, pour l’aviateur sans pour cela captiver le public. Si vraiment le spectacle aéronautique ne paie pas dans une région, il reste toujours au club la ressource des manifestations annexes telles qu’un bal de nuit. Nous connaissons des trésoriers qui, par ce truchement, ont vu leurs plus belles espérances dépassées. Et pourtant, nul n’ignore qu’en ce domaine, un trésorier de club ne manque pas d’envergure ».
Or, à cette époque, les Anglais imaginèrent une nouvelle façon de répondre aux désirs du public des meetings, nouvelle façon qui va maintenant prouver sa grande pertinence en ces temps de Coronavirus. Dans les années 1980, je participai à un meeting de la RAF sur la base aujourd’hui disparue de West-Malling au sud-est de Londres. A ma grande surprise les spectateurs ne se massaient pas le long des barrières bordant la piste mais restaient près de leur voiture garée dans un immense parking délimité sur l’herbe de la base.
Les voitures stationnaient à bonne distance l’une de l’autre et les occupants de chaque véhicule avaient installé à proximité tables et chaises de jardin. Les démonstrations en vol se passaient à bonne hauteur pour être visibles sans obstacle à partir de chaque voiture. Séduit, je pensais que les Anglais avaient enfin trouvé la solution pour passer un dimanche à la campagne en compagnie des avions et en particulier des avions bruyants, avions tuyaux de poëles. L’annulation en France de l’ensemble des meetings-spectacles de l’année 2020, annulation due aux contraintes sociales du Covid-19, me fit repenser à West-Malling et à ses voitures entourées de pique-niqueurs.
Les Anglais, toujours eux, eurent en même temps l’idée d’exhumer leur habitude de pique-nique autour de la voiture pendant un meeting. Ils furent les premiers à la proposer comme solution au respect des règles de distanciation sociale dues à la pandémie du Coronavirus. Et dans le cadre somptueux et tellement accueillant de la Shuttleworth Collection à Old Warden, ils ont organisé ce 18 juillet dernier un « drive-in airshow » inaugural…
Apres avoir acheté leur billet sur internet, les spectateurs à bord des voitures étaient dirigés vers un grand parking sur gazon divisé en plusieurs zones. Chaque voiture se garait sur un espace de 5 m sur 5 m délimité sur l’herbe par de la peinture blanche (photo ci-dessous de la Shuttleworth). A proximité se situaient deux zones, l’une affectée aux toilettes et à la restauration et l’autre, aux différentes files d’attente. Le célèbre musée de la Shuttleworth ainsi que le restaurant demeuraient fermés.
Les spectateurs installèrent tables de pique-nique et appareils photos dans leur espace réservé. Et, gros progrès, plus de grosses sonos trop fortes ou inaudibles, les commentaires furent diffusés sur une fréquence spéciale FM que chaque voiture captait sur sa radio… Le public fréquentant ce genre de spectacle se classe, nous l’avons vu, en trois types : les photographes, les pilotes et les fanatiques des avions présentés. Les photographes étaient à moitié ravis : plus de lourd matériel à transporter mais une certaine difficulté à faire des clichés de décollage et d’atterrissage tandis que pilotes et familles de fanas étaient séduits par la formule.
Tant et si bien que la Shuttleworth organisa pendant l’été des spectacles presque hebdomadaires et que la formule est actuellement copiée au Canada sur la base de London, Ontario. CFB London Air Base est une base historique de la Canadian Air force située dans l’Ontario non loin de Toronto et désaffectée depuis trois ans. Le Canadian Airshow, très fréquenté, avait bien besoin d’une nouvelle formule pour se tenir lors la pandémie du Covid-19. La solution trouvée : garer son véhicule dans un emplacement réservé de 45 m2 et voir le meeting depuis son véhicule…
Les consignes étaient les suivantes :
– Les véhicules sont accueillis sur la base de London et invités à se garer dans un espace attribué de 6 m x 8 m.
– Les spectateurs peuvent profiter du spectacle de l’intérieur de leur véhicule ou s’asseoir sur des chaises de jardin devant leur voiture. Ainsi sont respectées les consignes de sécurité liées au Coronavirus.
– Derrière chaque rangée de véhicules se trouve un passage de 8 m de large par lequel les spectateurs peuvent se rendre aux toilettes mobiles de leur zone.
– Le stationnement dans chaque zone est attribué sur la base du premier arrivé, premier servi.
Sont autorisées :
– Chaises et couvertures portables
– Glacières, nourriture et rafraîchissements sans alcool (ne pas utiliser de récipients en verre)
Pas de barbecues ni de cuisine.
Pas d’animaux, à l’exception des animaux d’assistance
Enfin il n’y a pas d’exposition statique d’avions, de vendeurs de nourriture ou de lecture.
Un avenir certain…
En définitive, je pense que cette formule a un avenir certain sur tous les terrains suffisamment vastes pour accueillir les voitures abritant le nombre maximum de spectateurs autorisé par les consignes antivirus en cours. Lorsque la pandémie sera passée, il nous restera à appliquer comme en Angleterre la formule du « drive airshow » aux terrains pouvant, le long de la piste, accueillir plus de 1.500 voitures garées dans des box de 6 m de large et de 8 m de long. Donc vive les bases militaires, les premières concernées… Et l’évolution des habitudes de vie (écologie quand tu nous tiens) fera que le nombre de spectateurs de fêtes aériennes nouvelle formule ne cessera de s’accroître. ♦♦♦ Jean-Philippe Chivot
Photos © Shuttleworth et F. Besse/aeroVFR.com