Un phénomène météorologique insidieux potentiellement présent tout au long de l’année le long du littoral…
Un rapport du BEA évoque un accident survenu en février 2019 avec la pénétration d’un ULM 3-axes « dans une entrée maritime peu après le décollage » d’Abbeville, suivie d’une collision avec des arbres. Parti pour un vol local, le pilote a fait demi-tour, volant à très basse hauteur avant d’entrer en collision avec des arbres dans un bois situé à 4 km de l’aérodrome. Le vol n’a pas dépassé 2 mn 30 secondes.
Côté météo, la situation était alors caractérisée, au sol, « par un vaste et solide anticyclone centré sur la France, et en altitude par une solide dorsale sur un axe Madrid-Londres ». La masse d’air était stable. Une vaste zone de brume/brouillard et de stratus affectait la Manche et le détroit du Pas-de-Calais. Les plafonds bas pénètraient dans les terres de la baie de Somme jusqu‘au Boulonnais, le Calaisis et l’Audomarois sous forme d’entrée maritime.
L’analyse des images satellites montre qu’à partir de 15h00, « l’entrée maritime progresse le long de la Somme, en direction d’Abbeville qu’elle atteint peu avant 17h00. Ce phénomène d’entrée maritime se caractérise par une forte augmentation de l’humidité de basse couche, une baisse des températures et une chute brutale des visibilités et des plafonds ». De plus, la carte Temsi « mentionnait sur le secteur des brumes et des plafonds à une altitude de 500 ft à 1.000 ft, c’est-à-dire à une hauteur moyenne de 335 ft à 835 ft compte tenu d’une altitude moyenne de 165 ft sur le secteur ».
Des phénomènes météorologiques sont propres aux régions côtières, notamment la brise de mer et l’entrée maritime, précise le BEA. « Dans la journée, lorsque le ciel est dégagé, le soleil chauffe rapidement la surface terrestre et déclenche la convection. Sur la bande côtière terrestre, l’air convectif est remplacé par de l’air marin qui circule près de la surface. Cette circulation locale s’appelle brise de mer. Elle s’établit en fin de matinée, alors que la convection s’installe sur la surface terrestre. Elle est maximale au plus fort de la convection et disparaît en fin de journée. Elle peut atteindre 15 à 20 Kt et se faire sentir jusqu’à 30 nm au-delà de la côte ».
« La brise de mer est prompte à transporter de l’air marin humide sous forme de brume, brouillard et nuages bas (de type stratus ou stratocumulus) au niveau de la côte et davantage dans l’intérieur des terres si le flux est suffisant. C’est le phénomène d’entrée maritime. La visibilité s’en trouve souvent fortement réduite. Ainsi, les conditions météorologiques côtières, bonnes en début de matinée, peuvent se dégrader brutalement en journée lors de l’établissement de la brise de mer. Les dangers pour la navigation aérienne sont alors :
– la soudaineté du phénomène,
– la baisse du plafond des nuages,
– la diminution de la visibilité,
– le risque accru de givrage au sommet de la couche.
Il convient d’être d’autant plus attentif à ce phénomène que l’on vient de l’intérieur des terres où les conditions de visibilité et de plafond sont souvent bonnes » rappelle le BEA.
Ainsi, « le jour de l’accident, les conditions météorologiques étaient défavorables pour un vol à vue sur la côte. Alors qu’il faisait beau à l’intérieur des terres, la côte était soumise à un phénomène d’entrée maritime. Les éléments disponibles avant le vol (Métar, Taf et carte Temsi) sont sans équivoque à ce sujet. L’aérodrome du Touquet était d’ailleurs fermé aux vols VFR depuis le matin en raison des conditions météorologiques. Sur la région d’Abbeville, le temps restait beau (ciel bleu et bonne visibilité) jusqu’aux environs de 16h00/16h30 ».
Le scénario établi par le BEA est le suivant. Le pilote est arrivé au terrain vers 16h00, avec devant lui un grand ciel bleu. « Il ne peut apercevoir l’entrée maritime qui arrive de l’ouest. Il ne remet pas son vol en question. Il est probable qu’il ne se soit pas renseigné sur les conditions météorologiques. Lorsqu’il roule jusqu’à la piste puis s’aligne, quelques barbules commencent à arriver sur l’aérodrome. (…) Il est possible que dès le décollage, le pilote de l’ULM rencontre ces prémices de l’entrée maritime. Il vire néanmoins vers l’ouest, probablement pour aller survoler la baie de Somme comme il en a l’habitude ».
« Le pilote est alors rapidement confronté au corps même de l’entrée maritime : nuages bas, stratus, visibilité réduite. Le pilote a probablement arrêté sa montée à une altitude de 700 ft soit une hauteur d’environ 550 ft pour conserver les références visuelles et la vue du sol. Il est alors probable que la masse brumeuse se densifie. Après 29 secondes de palier à une altitude de 700 ft, le pilote commence à descendre. Il a toujours une route vers l’ouest. Il vient alors de passer le début de la branche vent arrière pour la piste 02 ».
« 25 secondes après le début de descente, le pilote entame un demi-tour tout en continuant à descendre. Son intention est vraisemblablement de rejoindre l’aérodrome en restant en vue du sol. Il évolue alors très certainement dans la brume, avec le soleil de face pendant une grande partie du virage. Dans le but probable de rester en vue du sol, il continue à descendre jusqu’à faible hauteur. Dans ces conditions il ne voit pas les obstacles devant lui et heurte les arbres à une hauteur de 15 m en vol quasiment horizontal ».
Depuis 2010, le BEA a recensé 5 accidents en lien avec ce phénomène météorologique. En conclusion, le BEA précise que « dans les régions côtières, la probabilité de se trouver confronté à une dégradation brutale de la visibilité est élevée. La crainte de perte des repères visuels peut inciter le pilote à voler bas et en dessous des hauteurs de sécurité. Pour ces raisons, en cas de présence d’une entrée maritime, il impose de savoir décider sans délai d’un demi-tour afin de maintenir les références visuelles ».
Que rajouter à ce rapport ? L’entrée maritime est un phénomène insidieux. Certaines fiches VAC de terrains côtiers ou proches de la côte mentionnent la possibilité d’entrées maritimes pouvant rapidemnet survenir sur l’aérodrome. On peut ainsi très bien se poser sur un terrain sous un grand ciel bleu et, une fois arrivé au parking, en descendant de l’appareil, constater l’arrivée soudaine d’une couche nuageuse recouvrant rapidement le terrain, les nuages arrivant de la mer pour y rester plusieurs heures, le tout interdisant de redécoller…
En transitant le long des côtes par conditions fortement lumineuses (soleil de face le matin ou en fin d’après-midi, ciel « blanc » par brume de chaleur…), le phénomène peut surprendre un pilote car dans ces conditions, la couche, parfois peu épaisse mais étalée sur des kilomètres carré, peut « absorber » l’appareil dont l’équipage est surpris par la soudaineté du phénomène. Dans ce cas, l’erreur à ne pas commettre est de descendre pour maintenir les conditions VMC. Cela part d’un bon réflexe mais la solution est assurément inappropriée, car si la visibilité est faible, la séparation ciel-mer est impossible à distinguer…
Il faut au contraire soit faire demi-tour rapidement si le phénomène a pu être observé à temps (les « précurseurs » peuvent prendre la forme de quelques barbules passant sous les ailes…) ou, si le phénomène a été soudain, il est nettement préférable de se mettre aussitôt en montée rectiligne, en passant au vol aux instruments (procédure de secours) – l’initiation au PSV lors de la formation d’un PPL(A) doit alors avoir son utilité…
Dans la majorité des cas, l’entrée maritime est en effet de faible épaisseur, lumineuse (car le soleil n’est pas très loin au-dessus) et quelques secondes de montée rectiligne stabilisée, bien contrôlée aux instruments, constituent alors la meilleure solution pour échapper à l’entrée maritime. Une fois au-dessus de la couche nuageuse, il suffira alors de se dérouter vers un aérodrome à l’intérieur des terres car l’entrée maritime pénètre rarement au-delà de quelques kilomètres à partir du littoral sauf si elle s’enfonce en suivant une vallée. ♦♦♦
Lien vers le rapport du BEA