Le premier pilote à traverser le Pacifique et le premier à se poser à New-York en venant d’Europe…
Charles Edward Kingsford Smith nait en 1897 à Brisbane en Australie. En 1903, ses parents déménagent au Canada et retournent à Sydney en 1907. Kingsford Smith va à l’école à Vancouver au Canada puis, de 1909 à 1911, en Australie à la Sydney Technical High School, avant de devenir apprenti ingénieur à la Colonial Sugar Refining Company à 16 ans. En 1915, il s’enrôle dans la 1ère AIF (armée australienne) et sert à Gallipoli en Turquie. En 1917 il devient pilote en intégrant en Angleterre le Royal Flying Corps. En août 1917, son avion est abattu. Blessé on l’ampute de deux orteils. On lui décerne la Croix militaire pour sa bravoure et on l’envoie se rétablir dans son Australie natale…
Promu capitaine, il fait du « barnstorming » aux USA puis en Australie. En 1922, Kingsford Smith reprend contact avec ses camarades d’escadrille, achète en Australie un Avro des surplus et commence à rêver à un vol à travers le Pacifique. Ses amis le surnomme « Smithy », surnom que le monde entier utilisera lors de ses exploits. En 1928, avec l’un de ses camarades de guerre australien à Gallipoli, devenu lui aussi pilote – Charles Ulm – Smithy rejoint les Etats-Unis et commence à chercher un avion pour traverser le Pacifique.
Le grand exploit de Smithy : le vol transpacifique de 1928
Certes, à l’époque, un an après son exploit, l’auréole de Charles Lindbergh resplendit toujours et le vol transatlantique du « Bremen » conserve toute sa signification, mais ce vol de 13.000 km au-dessus des flots du Pacifique par un équipage de quatre hommes, qui sut se maintenir constamment en liaison avec le monde civilisé, émerveille l’imagination.
– De San-Francisco à Honolulu : début 1928 Kingsford Smith et Ulm achètent au célèbre explorateur polaire australien Sir Hubert Wilkins un monoplan Fokker F.VII/3m qu’ils appelent la « Croix-du-Sud ». La « Croix-du-Sud » décolle de San-Francisco le 31 mai 1928, à 8h51 avec, à son bord, le capitaine Kingsford Smith, Australien, pilote et chef de mission, son compatriote Charles Ulm, second pilote, et deux Américains : le navigateur Il-W. Lyon et le radio J. Warner.
Le roulage de l’appareil est relativement court malgré la forte charge emportée car on avait aménagé un plan incliné en début de piste pour que l’avion s’élance facilement. On ne leur donnait alors pas plus d’une chance sur 20 d’atteindre Sydney… Heure par heure, les stations de TSF (Transmission sans fil) de la côte californienne ainsi que des Iles Hawaï suivent l’avion. Elles ne le recoivent plus après un message à 20h50 disant « Sommes pris dans un trou d’air, perdons rapidement de l’altitude ».
Cependant le Fokker peut ensuite grimper jusqu’à 4.000 pieds au-dessus de nuages dans la clair de lune.A 21h00, il recommence à signaler sa présence. Et le vovage se poursuit sans éveiller de crainte jusqu’au lendemain à 10h15 où l’on reçoit un message radio : « Je crois que nous sommes perdus. Avertissez les bateaux de nous indiquer notre position ». Toutefois, à 12h19 (8h51 heure de Hawaï), la « Croix-du-Sud » se pose sur le terrain de Wheeler-Field (Honolulu) à court d’essence. Les aviateurs sont reçus avec enthousiasme par la foule. La première manche est gagnée de justesse, mais gagnée quand même !
– De Honolulu aux lies Fidji : en préparant la seconde étape, on s’aperçoit que décoller de Wheeler Field est impossible avec les 5.700 litres d’essence de la traversée Honolulu-Fidji. On cherche autre chose, et l’on trouve dans l’île de Kanaî, à 130 km au nord de Honolulu, une immense plage de sable ferme, à Barkings Sands. Le 2 juin, donc, la « Croix-du-Sud » quitte Honolulu et arrive à Barkings Sands vers 18 heures. Une nuit de repos et, le S Juin, à 5h20, avitaillé sur place par bateau, l’avion s’élève devant une foule nombreuse qui avait envahi la plage.
Et la randonnée de 5.200 km au-dessus des flots commence… jalonnée par de nombreux messages que le radio Warner lance aux postes des îles HawaI, de l’île Fanning — relai britannique du câble Australie-Canada — et des îles Fidji. La route est longue et, en cas d’avaries, seul l’archipel des îles Phoenix peut permettre un atterrissage. Mais il faut pour cela franchir plus de 3.000 km. Peu après le départ, à 10h15, le radio signale un court-circuit dans l’une des trois génératrices. Le temps est beau avec quelques cumulus et, poussé par un vent de 18 km/h, la « Croix-du-Sud » vole à près de 170 km/h.
A 16h00, on signale des ratés à l’un des moteurs et une diminution de la vitesse. Une heure après, le régime redevient normal. Dans les premières heures du 4 juin, alors que la « Croix-du-Sud » se trouve dans la région des îles Phoenix, des nuages, avec des averses et sautes de vent, viennent gêner le vol qui s’effectue au ras des flots. L’avion reprend de la hauteur et à 2.500 m d’altitude, entre les grains, il poursuit sa route. A 6h30, Warner annonce une vitesse de 165 km/h et une position à 1.300 km de Suva, capitale des iles Fidji.
Peu après, Kingsford Smith rencontre une violente tempête tropicale qui lui fait perdre son cap. Warner demande alors son point à des bateaux et, à 11h00, il est situé à 650 km de l’arrivée. La « Croix-du-Sud » franchit alors le méridien du changement de date et entre dans la journée du 6 juin. La terre était proche et, à 13h30, Warner lance le radio suivant capté jusqu’en Australie et en Californie : « La Croix-du-Sud aperçoit les îles Fidji à l’horizon. Salutations à tous les opérateurs. Vais rentrer l’antenne. Au revoir ». Il s’agit de remonter à la manivelle le câble de plusieurs dizaines de mètres qui traîne sous l’avion pour servir d’antenne à la radio HF.
Quelques minutes après, à 14h21, Smithy se pose à Suva, dans l’Albert-Park, hâtivement transformé en aérodrome. Après une chaleureuse réception et une nuit de repos l’équipage part à la recherche d’un terrain de départ plus adéquat que l’Albert-Park pour un avion lourdement chargé. Il trouve la plage de Naselai, à 30 km de la ville et, le 6 juin, le bateau du gouverneur y transporte 3.600 litres d’essence.
– Des Fidji à Brisbane : La « Croix-du-Sud » quitte Suva le même jour, à 11h00, avec l’espoir de partir pour l’Australie, après son ravitaillement sur la plage de Naselai.
Mais la marée trop haute oblige l’avion à attendre 12h45 pour atterrir et, d’autre part, le transbordement de l’essence est alors gêné par le ressac et dure jusqu’au soir. Le lendemain 7 juin, à 14j55, la « Croix-du-Sud » quitte Suva et atteint Brisbane le 8, à 10h15, après avoir dérivé de quelque 200 km. Près de 30.000 personnes l’accueillent à son arrivée à Eagle Farm Airport, l’aérodrome de Brisbane.
La grande traversée était finie et les hommes avaient pour la première fois vaincu les flots du Pacifique…
Il est intéressant de remarquer que le capitaine Kingsford Smith n’était pas un inconnu pour les gens de l’air. Les journaux avaient signalé déjà, en 1927, un Tour d’Australie de 13.000 km, qu’il effectua avec Ulm sur un avion Bristol « Tourer ». Puis, en décembre 1927, comme préparation à la traversée du Pacifique, Smith et Pond tentèrent de battre le record du monde de durée et n’atterrirent qu’après un vol de 40 heures…
L’avion du raid
L’appareil, utilisé par Kinsgford Smith, est son ancien avion Fokker « Spirit of California », débaptisé et appelé « Croix-du-Sud », en hommage sans doute à la constellation australe qui devait diriger l’expédition pendant les nuits passées au-dessus des flots. Alors que le trimoteur Fokker ordinaire ne mesure que 19,30 m d’envergure et ne possède qu’une surface de 58n5 m2, la « Croix-du-Sud » atteignait 22,20 m d’envergure, avait une corde maximale de voilure de 4,27 m et une surface de 68 m2.
Avec un approvisionnement d’essence de 5.885 litres, le poids total en ordre de vol de l’appareil s’élèvait à 6.890 kg. Les moteurs sont des Wright « Whirlwind » J-5 a. de 220 ch chacun muni d’hélices en stratifié micarta. Le J-5 est le moteur du Ryan « Spirit of st Louis » de Charles Lindbergh. Le navigateur utilisait, en outre des instruments ordinaires, niveaux à bulle et bille, une boussole marine, un compas à induction et un sextant à bulle. Enfin les postes de TSF comportaient des émetteurs qui pouvaient travailler sur les ondes de 30 et 800 mètres. Un poste de réception et un poste d’appel de détresse complétaient l’installation.
Avec cet appareil, son équipage au complet et toute sa charge, le décollage s’effectuait en 28 secondes après 700 mètres de roulage. L’exploit de Smith, d’Ulm, de Lyon et de Warner est le résultat d’une préparation minutieuse et d’un matériel au point. En particulier la radio de Warner avait une portée couvrant tout le Pacifique.
Quelques mots sur Smithy et son équipage
Dans la cabine du Fokker, manoeuvrant les lourds volants des commandes de vol, Smithy et son co-pilote Ulm restaient assis, incapables de se déplacer ou de se lever facilement, pendant près de 50 heures.
Par les flancs à l’air libre du cockpit, ils étaient balayés par l’air glacé du dehors et trempés par la pluie.
Rendus presque sourds par le bruit des trois moteurs, leurs échanges se réduisaient à des notes griffonnées. Comment, enfermés dans cet espace confiné sans accès à la cabine pendant un jour et demi ont-ils satisfaits leurs besoins naturels ? Comment, sans interphone, ont-ils discuté avec le navigateur et l’opérateur radio assis hors de leur vue derrière les réservoirs d’essence. L’équipage de la « Croix-du-Sud » était formé d’hommes au caractère bien trempé !
Or Smithy était un farceur bon vivant qui fumait et aimait boire un verre. En vol, il prenait occasionnellement une gorgée de whisky, ce qui lui permettait de continuer. Mais selon certains, sa consommation d’alcool allait bien au-delà. Un de ses biographes note que son comportement était celui d’un véritable alcoolique ayant une peur viscérale du vol au-dessus de la mer, peur que l’alcool lui permettait de surmonter. ♦♦♦ Jean-Philippe Chivot
Iconographie via l’auteur
– Demain : Un autre exploit de Smithy, la traversée de l’Atlantique d’Europe à New-York