Ou l’aviation de loisir en « état de guerre »…
Il y a quelque temps, j’avais rédigé pour aerovfr un article sur l’aviation privée dans la drôle de guerre. Je ne me doutais pas qu’un an après pareille situation pouvait en partie se reproduire…
En effet, le nouvel « état de guerre » dans lequel nous sommes a eu pour effet, comme il y a plus de 80 ans, la suppression de tout vol de l’aviation de loisir, laissant les passionnés espérer sans y croire un retour rapide à la situation antérieure. L’interdiction de vol touchant nos grands-pères obligeait la grande partie des passionnés, ceux non mobilisables de plus de 48 ans, à ronger chez eux leur frein dans une économie bouleversée.
Actuellement, l’interdiction de vol est totale mais indirecte. Est interdit de se rendre sur un terrain d’aviation. Mais par exemple à Stuttgart-Kichheim, l’avionneur Schempp-Hirth peut encore y effectuer des vols de réception d’aéronefs de loisir pour assurer le bon fonctionnement de l’entreprise.
En 1939, la notion de loisir aérien disparaissait dans l’état de guerre et la finalité du pilote était de devenir pilote de guerre. Cependant, les premiers mois de guerre se passèrent sans effets sur la population non mobilisée et les pilotes de cette population s’agitèrent pour aller voir leurs avions dans des hangars sous scellés et, au prétexte de maintenir les capacités du pilote et du matériel, de batailler pour une autorisation de reprise limitée des vols locaux. Ils réussirent en partie en obtenant pour… mai 1940 la reprise des vols de planeur qui bien sûr n’eut pas lieu.
Aujourd’hui l’attestation dérogatoire de sortir de chez soi interdit de fait toute pratique de sport aérien. Je cite : « Déplacements brefs, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile, liés soit à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d’autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit aux besoins des animaux de compagnie ».
Le fait de sortir seul un ULM ou un avion d’un hangar et de réaliser un tour de piste peut-il être considéré comme une activité physique individuelle de la personne ? Cela reste à démontrer… Sortir un aéronef et voler en solo sans l’aide de quiconque n’a évidemment aucun effet sur la propagation du virus. Ne pas voler est donc un acte de pur civisme auquel les pratiquants du loisir aérien doivent de toute évidence souscrire.
En effet, un simple tour de piste ne requiert au mieux qu’une seule personne pour l’effectuer. En revanche, combien de personnes pourront instantanément en prendre connaissance ? L’exemple du tour de piste aux Mureaux, grand aérodrome de loisir sur les bords de Seine, va nous le montrer. Un avion en tour de piste standard, vent venant de l’ouest, peut être vu et entendu par au moins 5.000 personnes. C’est le seul loisir à avoir – en bien ou en mal – une telle audience directe.
Etre confiné chez soi et entendre pendant un moment un individu d’adonnant à son sport aérien favori est certainement difficilement supportable. Cela ne ferait, sans aucun doute, qu’accroitre les réactions négatives futures des riverains d’un aérodrome de loisir face aux vols les survolant. L’argument avancé en 1940 par nos grands-pères pour revoler – argument concernant la perte de compétence de pilotage sans possibilité de vols d’entrainement – ne tient plus de nos jours. Le pilote « moyen » de loisir fait 12 heures de vol en avion par an et souvent concentre ces 12 heures dans les 3 derniers mois avant le renouvellement tous les deux ans de sa licence de pilote.
Ainsi, en ces temps de coronavirus, le civisme, bien aidé par le bon sens, nous fait accepter cette interdiction de satisfaire notre passion. D’autant plus qu’il est plus que probable que cette pandémie ne dure pas plus longtemps que les autres pandémies meurtrières de l’histoire, c’est-à-dire au maximum un semestre. En attendant, commencer à entendre
puis à voir un monomoteur, sans doute militaire, survoler une plage déserte, car interdite,
sous un beau soleil de printemps nous fait un peu estimer notre civisme et sa valeur… ♦♦♦ Jean-Philippe Chivot