Hrissa Chouridis-Pellissier… au temps des grands voyages VFR en avion léger.
Hrissa Chouridis est née à Maisons-Alfort en 1931, dans une famille d’immigrés grecs. A 15 ans elle s’inscrit dans sa ville à l’aéro-club « L’Arc en Ciel » et, en 1948, devient sur le terrain disparu de Villeneuve-Saint-Georges (la cause : il était dans l’axe de piste d’Orly) la plus jeune pilote de France. Elle passe son bac, fait des stages de perfectionnement du pilotage dans les centres nationaux et entame une carrière de journaliste aéronautique.
En 1956, elle rédige un article dans « Les Ailes » sur les Etablisements Benjamin Wassmer et retrouve à Paris son camarade du vol à voile, devenu ingénieur des Arts & Métiers, Jean-Pierre Dumont, un des deux propriétaires de la société Wassmer. Jean-Pierre Dumont raconte : « Je recherchais un pilote pour faire des convoyages d’avions Wassmer et des présentations du Jodel D-120 à titre non lucratif ».
« Elle avait, à cette époque, peu d’heures de vol (une centaine à peine), mais elle fut enthousiaste pour ce travail. Je dois dire que le premier vol ne fut pas très convaincant : à l’époque, les pilotes ne quittaient guère leur terrain, mais devant son insistance, nous avons commencé notre collaboration. Elle n’a jamais passé d’autre brevet, ne fut jamais pilote professionnelle ni IFR, au grand dam du syndicat du personnel naviguant SNPNAC qui nous traina en justice ».
Toujours en 1956 avec Jean Pierre Dumont, elle réalise un vol sans escale de Toussus à Nice dans un Wassmer-Jodel D-120, avion baptisé par la suite « Paris-Nice » à cause de cet exploit. En 1957, elle se marie, devient Madame Pellissier, collabore à « Aviation Magazine » et se met à convoyer les appareils fabriqués sous licence par Wassmer, les Jodel D-112 et D-120, en France et en Afrique.
En mai de la même année, elle livre à N’Djamena, Fort-Lamy à l’époque, un biplace Wassmer D-120, d’Issoire au Tchad soit 10.000 km en 15 jours, seule dans l’avion – le tout, bien sûr, en vol à vue. Dans les années 1960, l’Afrique coloniale était le grand marché des avions privés venant des avionneurs français. Aussi en octobre 1957, Hrissa, devenue attaché commercial de Wassmer, part d’Issoire en D-120 avec Jean-Pierre Dumont pour une tournée de 15.000 km en Afrique, tournée de visite aux aéro-clubs qui va durer jusqu’au premier novembre.
Apparait ensuite l’avion qui fit la gloire de Wassmer Aviation, le Super IV, quadruplace (terme employé à l’époque en place de quadriplace par la suite…) de grand tourisme, affichant 230 km/h en croisière et une autonomie fantastique (7h30). Hrissa va en assurer la promotion au cours de deux vols mémorables qui vont lui donner une renommée internationale.
Tout d’abord la traversée en solo de l’Atlantique Sud, de Dakar à Natal, où elle fut, après la Néozélandaise Jean Batten en Percival Vega Gull et la Française Maryse Hilz en Caudron Simoun, la troisième femme à la réussir. Ensuite, le tour du monde du 12 septembre au 5 novembre 1968, tour qui eut une audience mondiale. Le Wassmer Super IV y montra ses qualités et sa fiabilité. Il fut testé en vol par plusieurs revues aéronautiques américaines.
Wassmer dépose son bilan en 1971 et Hrissa Pellissier, malade, arrête de voler. Elle décède en mars 2000. Elle fut certainement la femme pilote ayant parcourur le plus grand nombre de kilomètres aux commandes d’un monomoteur à pistons. Elle réalisa ces exploits sans être titulaire d’une qualification IFR, comme ses deux prédécesseures d’avant guerre, Jean Batten et Maryse Hilz. Les récits de ses vols fourmillent de descriptions où le vol aux instruments s’avéra nécessaire. Hrisssa ne laisse jamais dans ses écrits transparaitre le moindre danger encouru.
De France au Tchad seule en D-120
« Les difficultés commencent le jeudi 3 mai. A 2.000 m, la navigation est toujours du type « cotière ». Je surveille les plages. Je reçois le trafic de Casablanca qui m’apprend qu’il y a localement des stratus bas. En « petite pilote de banlieue » je perds de l’altitude, passe en dessous et voit de très près le port de Casa et ses bateaux… Après Casa, les stratus semblent se souder. Je passe au-dessus et vais vers la pleine mer. Ils se soudent et je vole dans le soleil jusqu’à ce qu’ils disparaissent ».
« Puis bêtement, pour presque rien, un gonio dont le récepteur tombe en panne et pour avoir quitté à la légère une route qui m’emmenait tout droit au Niger, je tourne en rond pendant 20 minutes. Ce n’est rien mais ca me sape le moral ».
La traversée de l’Atlantique en Super IV : moteur Lycoming de 180 ch, distance franchissable de 4.200 km avec des réservoirs supplémentaires.
« J’ai décollé à 2h49 du matin par une température assez clémente mais par grande nuit, nuit sans lune, nuit très sombre. Le Super IV était équipé de deux postes VHF, d’une VHF de secours sur piles et d’un moyen de liaison HF à grande distance. Pour naviguer, j’avais deux radiocompas et un récepteur VOR ».
« Sur l’Atlantique, j’ai reçu sur la HF des messages météo des bateaux qui naviguaient entre Dakar et Natal et, près du pot-au-noir, des messages d’un jet Alitalia et d’un 707 qui allait de Madrid à Rio. Vers le pot-au-noir, l’eau du ciel s’est mise à rejoindre l’eau de la mer ».
Le tour du monde en Super 4/21 avec 250 ch
Le Wassmer Super 4/21 du tour du monde est le premier de la série. C’est un vaste « quadruplace » qui dispose de 250 ch, croise à un bon 270 km/h, possède un pilote automatique Artus 2-axes et fut construit à seulement 30 exemplaires.
Avec ses 4 réservoirs standards de 110 litres à raison de 47 l/h et le réservoir supplémentaire de 125 l monté à Tokyo, son rayon d’action est de 3.200 km environ soit 13 heures de vol.
Du 12 au 25 septembre 1968, Toussus-Bangkok
Hrissa et ses deux passagers (un cinéaste et un preneur de son) vont de Paris à Bangkok, soit 13.000 km par beau temps aéronautique.
Du 25 septembre au 5 octobre Bangkok-Tokyo
L’équipage vole jusqu’à Tokyo toujours par une excellente météo. A Tokyo débarquent les deux passagers remplacés par le directeur de Wassmer, Jean-Pierre Dumont, qui installe le réservoir supplémentaire nécessaire à une traversée du Pacifique par les iles aléoutiennes, iles réputées être dans le brouillard 300 jours par an avec seulement deux types de temps : « bad » et « worst ».
En 2015 un ami, pilote instructeur dans l’armée, a tenté un tour du monde en MCR-4S, un avion léger en composite ayant une distance franchissable de 1.800 km. A la mi-mai, le mauvais temps persistant sur les Aléoutiennes l’a empêché de poursuivre. C’est tout dire de l’exploit de Hrissa, 47 ans auparavant, et de la sécurité apportée par l’autonomie de son Wassmer.
Du 10 au 13 octobre Tokyo-Anchorage.
Après avoir attendu une protection météo auprès du service de Tokyo qui répond toutes les 6h00 « Il fait mauvais », Hrissa interroge la station de la météo marine du port de Tokyo qui lui conseille de partir au plus vite car le lendemain, le temps s’annonce exceptionnellement beau. Ils atteignent donc l’ile américaine de Amchitka sous un beau soleil. Ils se posent, font le plein. On leur demande alors quand veulent ils repartir. « Tout de suite » répond Hrissa. « Non, restez… vous amenez le beau temps » répond le pompiste de l’armée US.
Après le beau temps, la neige. L’arrivée à Anchorage au bout d’un fjord donne à Hrissa l’occasion de montrer sa maitrise du vol aux instruments, bien que non qualifiée. Une arrivée radar, une approche ILS, une tempête de neige en finale, pas de plafond, pas de visi mais un contrôleur vraiment amical dans sa tour. Ci-dessous, à Anchorage, le Wassmer sur de la neige fondue…
Du 16 au 29 octobre Anchorage-Montréal
La météo se montre franchement désastreuse sur tout le parcours. Après avoir passé trois jours à Anchorage, non pour espérer le beau temps mais pour résoudre des problèmes de douane, après avoir attendu deux fois en vain le ravitaillement pétrole, Hrissa décide de partir avec les 220 litres restants dans ses réservoirs vers l’aérodrome assez proche de White Horse. Mal lui en prend car la météo lui promet du vent de face, un relief à plus de 3.000 m avec des pics à 5.000 m, des averses de neige, le tout sur un parcours sans aides radio, avec des déclinaisons importantes et un compas qui s’affole.
L’arrivée à White Horse se fait sur un terrain difficile à voir au fond d’une vallée, couvert de neige avec une piste mal balisée car balayée par un vent violent de poudreuse. Le parcours jusqu’à Montréal se déroule ensuite sous un temps VFR acceptable pour un avion qui croise vers les 9.000 pieds. Comme la qualification de pilote VFR est aussi valable aux US pour le vol de nuit, Hrissa fait le trajet Los Angeles-Denver entièrement en vol de nuit.
MontréaL-Lisbonne du 31 octobre au 2 novembre 1968
C’est la traversée de l’Atlantique par la route sud, de Saint-Pierre et Miquelon aux Açores, puis le Portugal. A Saint-Pierre, avant le grand saut de 2.500 km sur l’eau, Hrissa ne peut mettre à jour ses prévisions météo car le téléphone, encore manuel, ne fonctionne pas le jour de la Toussaint sur cette ile bien française. Elle part donc pour 10 heures de vol avec constamment en tête le poids de l’ignorance de la météo aux Açores à l’ile de Lages et de nuit… Ci-dessous, la nuit tombe avant l’arrivée aux Açores…
Grâce au VOR et à l’ILS de la base militaire de Lages, l’avion se pose sans difficulté. Hrissa pratique alors une nouvelle fois l’IFR en mode appelé en ces temps là mode « FFI » (FFI : Forces Francaises de l’Intérieur, organisme de la Resistance), c’est-à-dire de non réglementaire. Le trajet Açores-Lisbonne s’effectue encore de nuit.
Le 4 novembre, Hrissa va de Lisbonne à Issoire et le 5, elle boucle son tour du monde de 45.000 km en se posant à Toussus-le-Noble où les autorités et la presse l’attendent pour la féliciter.
Hrissa Pellissier était persuadée qu’il fallait être beaucoup plus « intelligent », que la préparation devrait être plus minutieuse et qu’il fallait enfin en savoir beaucoup plus pour voyager en VFR que pour voyager en IFR. En IFR, on exécute, en VFR il faut prévoir, imaginer et surtout décider.
Cela dit, Hrissa, volant en principe en VFR, s’est bien gardé d’éviter les conditions givrantes et n’a jamais expérimenté une panne moteur ou un ennui électrique en vol, toutes choses gérables en VFR et dramatiques en IFR. En 1970, Hrissa Pellissier est atteinte d’une grave maladie qui l’empêche désormais de piloter. Elle décède en mars 2000. Elle totalisait plus de 10.000 heures de vol et fut un des rares pilotes privés titulaires de la médaille de l’Aéronautique
Hrissa Pellissier aux commandes du Wassmer 4/21 250 F-BOYS du tour du monde…
Quelques mots sur son avion, le Wassmer Super 4/21 250
C’était un très bel avion qui volait bien car, selon Marcel Dassault, un bel avion doit bien voler. Cependant quand je l’ai vu pour la première fois, l’épaisseur de ses grosses ailes à profil laminaire me faisait préférer, à moteur identique, un Robin DR-250 aux performances supérieures. En bois et toile, le 4/21 de 250 ch avait des performances similaires à celles d’un Beech Bonanza tout métallique.
Le 4/21 250 fut dessiné par l’ingénieur des Arts & Métiers Maurice Collard, créateur de la série des planeurs Wassmer Javelot et Bijave. Maurice Collard pensait que la construction en bois, avec une ossature de fuselage en tubes, était la meilleure formule pour une petite série, le tout métal étant réservé à la grande série.
Wassmer, PME française située au barycentre de la France, pensait mettre avec cet avion l’IFR à la portée d’un patron français de PME, d’autant plus que le 4/21 était primable par l’Etat. Mauvais calcul, quelques patrons de PME s’achetèrent en fait des bimoteurs américains tels le Beech Baron ou le Piper Aztec pour faire des voyages d’affaire en Europe, avions qu’ils abandonnèrent très rapidement car autoroutes et TGV allaient leur permettre de se rendre aussi vite d’un point à un autre. Quant à l’avion de grand tourisme, il resta un jouet rare pour gens fortunés, clientèle pour laquelle les Américains ne pouvaient être concurrencés… ♦♦♦ Jean-Philippe Chivot
Iconographie via l’auteur. Extraits de la revue Spirou évoquant à l’époque les vols « longue distance » de Hrissa Pélissier…