Après la Seconde Guerre mondiale, tous les constructeurs ont cru au remplacement de la voiture par l’avion léger, notamment aux mains de milliers de pilotes militaires démobilisés…
1945 : au sortir de la guerre, le monde entier croit que l’avion privé va succéder à la voiture de luxe pour le tourisme et les voyages d’agrément… Dès 1947, la désillusion est totale, bien marquée par le nombre de pilotes aux USA de 1940 à 1960.
L’avion privé souffre d’un manque évident d’utilité… En 1945, le président du Groupe aérien du Touring-Club de France renaissant avait fait réaliser un dessin résumant la situation !
Pour rendre l’avion utile, on développa l’infrastructure. Peine perdue, les nouveaux aérodromes restaient déserts et isolés en semaine. Parallèlement, on développa le matériel. On essaya tout d’abord de rendre l’avion moins cher à l’achat. L’Etat, recherchant des futurs pilotes pour son armée de l’Air, subventionna constructeurs et acheteurs. On considéra que le biplace côte-à-côte léger, doté d’un moteur américain à 4 cylindres à plat, dont la conception datait de 1930 et dont la fiabilité se montrait particulièrement bonne, était la bonne solution. Elle le fut et les biplaces Jodel, Piel Emeraude, NC-853, Sipa 901, etc. sont encore là, en France, pour le prouver.
La puissance maximum du 4-cylindres passant de 65 à 90 ch, on transforma l’espace arrière des deux sièges côte-à-côte en espace pour un passager. On arriva alors au bi-triplace, triplace pour un vol local et biplace pour un voyage avec bagages. Ainsi naquit, de l’esprit du pilote-instructeur Pierre Robin, le Jodel Ambassadeur.
Les moteurs disponibles devenant encore plus puissants, 100 puis 145 et 180 ch, on dessina des vrais quadriplaces à aile basse, avec un espace bagages comme avaient été dessinés les quadruplaces – nom correct d’un avion à 4 places car on dit quadrupède et non quadripède… – d’avant guerre : Caudron Simoun pour la France, Percival Vega Gull pour l’Angleterre et Messerschmitt 108 Taïfun pour l’Allemagne.
Les dits quadruplaces d’avant guerre étaient des avions de raid ou de liaisons dans l’armée car ils étaient utilisés alors en biplace, les places arrières servant de soutes à bagages et/ou de réservoirs supplémentaires.
Aux Etats-Unis, l’évolution du matériel fut identique. En 1946, on ne pensait qu’en biplace et quelque fois en quadriplace de tourisme tels que le North American Navion ou le Beech Bonanza. Les Piper passèrent du J-3 biplace en tandem aux biplaces côte-à-côte puis, avec un moteur plus puissant, aux bi-triplaces TriPacer et enfin, en 1957, au quadriplace à aile basse, le Comanche. Les quadriplaces américains tout métal d’après guerre furent les premiers avions d’affaires des années cinquante.
Persuadés qu’il y avait là un marché et voulant concurrencer en Europe les Américains, les constructeurs français dessinèrent, vers 1960, des quadriplaces dits de grand tourisme qui, selon eux, devaient tout d’abord remplacer le Norécrin, en fait un triplace devenant difficilement quadriplace.
Ces constructeurs furent au nombre de cinq. Leur échec commercial signa, en France, la fin de nouveaux dessins de quadriplaces. On se contenta d’améliorer les dessins existants et d’en construire en quantité microscopique certains jusqu’à nos jours. Les publicités d’époque montrent bien où se situent les espoirs de clientèle des constructeurs…
Scintex Rubis : le plus rapide (1962).
Wassmer Super 4 : le plus endurant (1968).
Gardan GY-80 Horizon : le plus construit (1960).
Robin HR-100 : sorti en 1970
Pour la période en question, il faut ajouter la série des avions tout en bois Robin DR-250, DR-253 Régent (en 1967) et DR-380 Prince (en 1968).
Il faut bien constater que les publicités étaient farouchement optimistes quant aux vitesses de croisière et n’indiquaient que rarement l’altitude de référence. Le Wassmer fut le seul à faire des grands raids avec une traversée de l’Atlantique Sud et un tour du monde. Les autres se contentèrent de tours de la Méditerranée et de voyages de livraison en Afrique ou à Madadascar.
La clientèle visée, celle des voyages d’affaires de patrons de PME en Europe et des voyages de tourisme de pilotes fortunés, s’avéra être microscopique car plus intéressée par les avions américains monomoteurs bien répandus dans le monde entier.
Souvenirs personnels…
Il se trouve que j’ai personnellement piloté ces cinq quadriplaces…
Le Rubis m’a laissé un grand souvenir car très manoeuvrant, rapide et homogène aux commandes. Par ailleurs, ses qualités m’ont permis de me sortir d’un mauvais pas. On était à la mi-décembre sur le terrain de La Ferté-Alais. Il avait beaucoup plu et en bout de piste stagnaient de grandes mares d’eau. A la demande du propriétaire du Rubis je faisais de la double à un pilote désireux de l’acheter. Nous étions trois à bord et nous faisions des tours de piste. Au quatrième touché, le passager arrière voulut descendre.
On stoppa la machine et regardant les deux cadrans indiquant la quantité d’essence dans les réservoirs je constatais qu’un des deux était plein et l’autre à moitié vide. Je changeais de réservoir, je passais sur le plein et, à deux, nous voila repartis. Peu après le décollage, train rentré, à une quinzaine de mètres du sol au-dessus de champs labourés gorgés d’eau, le moteur s’arrêta : je pris instantanément les commandes, gagnais de l’altitude et mis l’avion en légère descente à sa vitesse d’approche. J’entamais alors un superbe 180° en surveillant bille et vitesse et surtout à faible inclinaison, virage nous ramenant vers la piste avec un très fort vent arrière.
Le pilote voulut sortir le train, je lui tapais sur la main pour l’empêcher car, le vent aidant, il me semblait possible de regagner la piste compte tenu de la finesse du Rubis. On atteignit de justesse le seuil, je sortis le train, commandé comme sur un Bonanza par un petit levier se terminant par une roue de jouet en caoutchouc. Le train sortit instantanément, ce qui était heureusement un des points forts du Rubis. Je me posais peu après le début de la piste. En roulant, je ne pus éviter une énorme flaque d’eau qui projeta du liquide bien au-dessus de la cabine. Enfin, on s’arrêta et l’acheteur pilote insista pour qu’on se prenne en photo face à l’avion et à la piste détrempée ! J’allais à pied vers le hangar et j’exprimais ma frayeur et mon incompréhension devant un mécano qui répondit : « Mais tu ne le savais pas, l’indicateur d’essence du réservoir gauche est monté à l’envers. Il indique plein quand le réservoir est complètement vide ».
Le Super IV m’a laissé le souvenir d’une machine lourde, une sorte de train SNCF prenant de la vitesse sur les aiguillages de sortie de la gare de l’Est, mais facile et agréable à piloter.
Tout aussi facile à piloter était le Gardan Horizon mais cet avion n’était vraiment pas, pour sa puissance, rapide en croisière et ses volets couplés avec la sortie de train empêchaient de rallonger une approche un peu courte sans utiliser le moteur.
Le HR-100, premier avion tout métal de Robin, était en tout point inférieur à un Robin en bois tel le DR-380 de même puissance. Son aile métallique conçue par des ingénieurs aéronautiques était ratée par rapport à l’aile Jodel de Jean Delemontez conçue par un simple mécanicien issu de l’école de Rochefort. Plus lourd, moins rapide, plus bruyant, plus difficile à poser vent de travers. Lors du roulage sur les inégalités de la piste, sa carlingue me donnait l’impression de voler dans une canette en aluminium vidée de sa bière.
Reste mon préféré et de loin, le DR-250 appelé Kapitan par les Allemands. Pierre Robin me confia deux étés de suite son DR-250 personnel, ce qui me permit d’aller en Hongrie et en Grèce. Le seul défaut de cet avion de grand tourisme était son train classique m’obligeant chaque soir à amarrer l’engin. Or chaque soir, on dormait à une quinzaine de kilomètres de l’aérodrome et la moindre rafale de vent me faisait espérer que les piquets des cordes ne s’arrachent pas du sol.
Bref, comme le montre le graphique (ci-dessus) du nombre de pilotes aux USA de 1960 à 2010, les années de production des derniers quadriplaces de grand tourisme correspondent au pic du nombre de pilotes aux Etats-Unis, nombre qui se stabilise maintenant autour de 600.000, identique à celui constaté 60 ans plutôt lors de la pointe de 1950… C’est tout dire du manque d’intérêt de l’avion de particulier autrement que d’être un instrument de loisir.
Or aux Etats-Unis, les quadriplaces s’étaient dès 1950 résolument adressés à une clientèle d’hommes d’affaires en pensant que l’avion de particulier servirait à rallier un aérodrome « hub régional » à partir d’un aérodrome local. Or l’accroissement du trafic donna à l’aérodrome local le rôle de hub accessible facilement en voiture. L’aviation d’affaires est alors passée du monomoteur quadriplace au monomoteur à turbine et au bimoteur, beaucoup plus rapides et capables d’atteindre des aéroports éloignés.
Le seul quadriplace vraiment nouveau de ces dernières années, le Cirrus SR-20/22, n’est vendu qu’a environ 300 exemplaires par an. Cet avion de voyage moderne en composite, apparu en 1999, peut être comparé au Percival Vega Gull conçu 60 ans plus tôt.
– Moteur Continental 6-cylindres à plat de 200 ch à injection contre 6-cylidnres en ligne Gipsy de 200 ch
– Croisière de 280 km/h contre 250 km/h
– Rayon d’action de 1.600 km contre 1.100 km
– Charge utile de 430 kg contre 625 kg
– Décollage en 600 m contre 400 m
En conclusion
Si la France avait autant de pilotes pour 1.000 habitants que les USA, le nombre de pilotes français devrait être d’environ 122.000 soit plus du double qu’actuellement. Il faut donc sauver le côté purement loisir du pilotage et travailler sur la sociologie de ce loisir plutôt que sur le matériel du loisir, matériel qui – nous venons de le voir – n’a pas fondamentalement
changé en 90 ans. Le loisir du pilotage est en relation avec certains éléments de la société et de la culture, ce qui explique l’écart de pratiquants entre la France et les Etats-Unis… ♦♦♦ Jean-Philippe Chivot
Ndlr : certes, il y eut aussi les TB-10/20 et CE-43, mais c’est une autre histoire ! Et ils ne sont plus produits de nos jours…