Efficacité douteuse mais… plaisir du pilote !
La coqueluche est une maladie respiratoire due à un bacille (Bordatella Pertusis). Elle s’accompagne d’un fort écoulement nasal, de fièvre et surtout de toux, laquelle justifie son nom anglais « whooping cough ». Elle touche particulièrement les enfants et fut une cause importante de mortalité en France jusqu’à l’apparition des antibiotiques.
En 1928 un médecin allemand, ancien pilote de guerre, emmena dans son biplan un gamin qui toussait. Après un vol d’une demie heure à plus de 1.500 m, il constata que la toux du gamin devenait plus rare et que celui-ci semblait ragaillardi. Il recommença l’expérience et publia quelques lignes sur le sujet dans une revue aéronautique.
En 1938, un médecin-pilote à l’aéro-club d’Alsace, le docteur Willy Matter, s’inspira de l’expérience allemande car il y voyait enfin une utilisation de l’avion pour des vols thérapeutiques. Dans la concurrence avion-auto pour attirer la clientèle de riches mondains, cela donnait à l’avion un avantage indéniable puisqu’il ne pouvait exister de vertu thérapeutique à une quelconque virée en auto. Les principaux aéro-clubs de France proposèrent donc peu avant la guerre des vols de coqueluche qui faisaient partie de leur propagande pour l’aviation.
L’immédiat après-guerre vit un foisonnement des vols de coqueluche. En effet les conditions de vie favorisaient la propagation de la maladie et la politique gouvernementale, voulant développer la formation de pilotes militaires, distribuait allègrement subventions et avions aux aéro-clubs et à leurs membres.
Il existait alors deux protocoles de vol :
– Le protocole de Strasbourg, celui du docteur Matter, comportait une montée rapide à
3.200 m (en 18 à 25 mn selon l’avion), un palier de 50 mn, une descente à 1.500 m et un nouveau palier de 2 mn (pour éviter les douleurs d’oreille) avant l’atterrissage.
– Le protocole de Bordeaux reposait sur une montée rapide à 1.200 m, un palier de 3 mn et deux virages serrés, une descente rapide à 500 m, deux virages, une remontée rapide
à 1.200 m et (enfin !) une redescente rapide au sol. Ce protocole, « assez sportif », ne durait que 25 mn et était donc moins coûteux…
Face au doute subsistant sur l’efficacité du vol et plus précisément sur le protocole à suivre par le pilote, une étude fut faite en 1985 sur 1.952 vols de coqueluche, vols menés par 742 pilotes de 143 aéro-clubs. Elle concluait que les différents protocoles suivis par les pilotes, de même que les attestations déclaratives d’améliorations après vol, rendaient inexploitables les résultats de l’enquête et donc que le vol en altitude était… inefficace contre la maladie. Bien mieux, on suggérait qu’un aller-retour au téléphérique de l’Aiguille du Midi avec une pause d’une heure au sommet, ou encore un vol Paris-Nice en jet dans une cabine pressurisée à 2.500 m était certainement aussi efficace qu’un vol de coqueluche selon le protocole de Strasbourg.
La vaccination généralisée contre le bacille date de 1966 et faillit faire disparaître complètement la maladie. Il y a 60 ans, aux grands moments du vol de coqueluche, les aéro-clubs mettaient leurs biplaces Jodel 117 au service du malade, malade qui était le plus souvent un gamin d’environ 6 ans. L’enfant s’asseyait entre les genoux de sa mère et les voilà partis pour un baptême de l’air…
Avec les 90 ch de son Continental, le Jodel escaladait sans peine les 2.500 m d’altitude. Le 117 faisait beaucoup de bruit et lors du palier en altitude, l’odeur caractéristique de la colle et du skaï ne laissait pas percevoir celle, plus pure, de l’air extérieur… Si le pilote était suffisamment habile pour ne pas faire vomir ses passagers au cours de la descente, ceux-ci, ravis, attestaient qu’une amélioration de la fréquence des quintes de toux était intervenue.
Aujourd’hui, malgré la vaccination et les antibiotiques, il y a une légère reprise de la fréquence des cas de coqueluche. Des épidémies surviennent régulièrement dans des pays lointains tel que l’Australie et les vols internationaux en assurent une propagation par des adultes, pourtant dénués de symptômes de la maladie.
Aussi, comme il y a 60 ans, certains aéro-clubs ou propriétaires d’avions légers, flairant une possibilité d’accroître leurs heures de vol, organisent des vols de coqueluche, profitant du fait que l’inefficacité, ni d’ailleurs l’efficacité, de ces vols n’a été démontrée et qu’il reste le plaisir du vol à la fois pour le pilote faisant des heures à bon compte et pour les passagers gratifiés d’un survol somptueux de leur lieu d’habitation.
Bien sûr, le coût du vol n’a rien à voir avec celui d’une boîte d’azithromycine (environ 7 €). Mais certains comme les Canadiens y croient et n’hésitent pas à enjoliver un peu sur ce qui se passe en France.
En France, on n’hésite pas non plus à faire aussi un peu de pub pour l’aviation thérapeutique…
Remarquons pour finir que la vaccination contre la coqueluche est obligatoire depuis le 1er janvier 2018 et que le nombre annuel de cas de coqueluche déclarés en France est actuellement de 1.500 environ, dont 600 pour des nourrissons.
Bons vols donc… ♦♦♦ Jean-Philippe Chivot
Iconographie via l’auteur