Fin du voyage africain du baron avec Douala-Alger par… la ligne ! Ou comment parcourir 7.000 km à 230 km/h sur les lignes aériennes de 1938.
Lien vers le précédent épisode.
Ivernel se charge donc à Foumban du transport des morceaux du Vega Gull jusqu’au port de Douala. De son coté le baron, rassuré, se fait véhiculer de Foumban à Douala par la piste afin de prendre l’hydravion de la compagnie Aéromaritime qui doit l’amener jusqu’à Dakar.
36 heures de voiture dans la Peugeot 202 de l’administrateur, laquelle glisse sur la boue, tombe dans un fossé et finit par le déposer à l’aérodrome où doit arriver, venant de Port Gentil, l’hydravion bimoteur Sikorsky S-43. Le Sikorsky l’emmène, en faisant du cabotage aérien le long de la côte, jusqu’à Dakar où il espère trouver une place d’avion Air France vers le Maroc.
Douala-Dakar en hydravion amphibie
La compagnie d’armement maritime « Les chargeurs réunis » croit en l’aviation et vient de doubler son cabotage maritime autour de l’Afrique française par un cabotage en hydravion assuré par sa toute nouvelle filiale, Aéromaritime. Aéromaritime, devenue bien plus tard UTA, a choisi un hydravion américain, le Sikorsky S-43 et non un hydravion français équivalent car le S-43 a un tirant d’eau très faible, ce qui lui permet d’amerrir en cas de besoin sur de petits lagons et de se poser sur des terrains en dur. Le S-43 est très en avance sur son temps. Surnommé le bébé hydravion, c’est un petit dérivé des hydravions américains qui assurent la traversée du Pacifique.
A Douala, Foucaucourt monte dans le Sikorsky stationné sur l’aérodrome pour un trajet de 3.200 km avec une nuit à passer à Abidjan. A bord, le confort est impressionnant pour l’époque, avec une cabine pour 16 passagers et des services traitant ceux-ci royalement car ils sont l’élite des Européens d’Afrique…
Le S-43 dispose de deux moteurs en étoile Pratt, de 750 ch. Il atteint les 9 tonnes en charge, croise à 250 km/h, soit à peu près la vitesse du Vega Gull, et se pose à 100 km/h (à comparer avec le Dewoitine d’Air France !).
L’hydravion amerrit à Cotonou où le baron goute aux joies de la promenade en vedette dans le port. Après une nuit passée à Abidjan, Foucaucourt survole Freetown, la capitale du Libéria, ce qui lui rappelle une anecdote bien dans le goût de l’époque : « En Cote d’Ivoire, l’indigène nourrit le voyageur égaré tandis qu’au Libéria, l’indigène s’en nourrit »… Au soir du deuxième jour, il atteint enfin Dakar, à peine fatigué après 3.800 km et 19 heues de vol sans histoire.
Dakar-Oran par le Dewoitine d’Air France
A minuit, les passagers du Sikorsky se retrouvent sur l’aérodrome où l’on attend l’arrivée du 260e courrier d’Amérique du Sud. Surgit dans la nuit, puis sur la piste éclairée par le projecteur de la tour, la masse imposante du Farman Centaure. On décharge les sacs postaux et le public s’approche du Centaure vide pour porter en triomphe le pilote Launay qui vient de traverser le fameux « pot au noir ».
Mais déjà, à cent mètres de là, les hélices du trimoteur Dewoitine 338 d’Air France tournent. Avec ces trois Hispano Wright de 700 ch, l’appareil peut croiser à 250 km/h. Vite, Foucaucourt monte à bord, s’installe dans la cabine d’une vingtaine de places et l’appareil décolle dans la nuit vers Villa Cisneros au Rio del Oro espagnol avec, aux commandes, le pilote Durand. Ci-dessous, la cabine de 22 places du D-338.
Dans le nuit, Foucaucourt aperçoit des étincelles en sortie des pots d’échappement puis les étoiles. A 4.000 m d’altitude, en attente du chauffage, les passagers sont d’abord gelés puis s’endorment dans les couvertures. Vers quatre heures du matin, le bruit des moteurs change. Foucaucourt s’éveille et devine le désert et la mer. Il distingue ensuite le feu de l’aérodrome en terre battue de Villa Cisneros (photo ci-dessous avec son fort espagnol et ses jeunes soldats aux ordres de Franco) et et un projecteur qui s’allume. L’avion passe une première fois à basse altitude, rejoint l’approche. Les moteurs ralentisssent et des gerbes d’étincelles sortent des échappements. Le pilote met alors les moteurs au ralenti. ils pétaradent et Foucaucourt voit les lumières du sol se rapprocher.
Il entend le sifflement de l’air sur l’avion, le bruit de sortie du train et des volets. Les lumières se rapprochent. En milieu d’aérodrome, les roues n’ont toujours pas touché le sol… Des lumières rouges rasent une aile. Puis pleins gaz, le Dewoitine se cabre. Les lumières rouges passent sous la carlingue. L’un des deux projecteurs du terrain n’est pas allumé et Foucaucourt constate que le pilote va être obligé de se poser dans le faisceau du projecteur allumé donc par vent fort et trois-quarts arrière.
Les voisins de Foucaucourt, inquiets, lui demandent ce qui va se passer. il répond : « Cela va prendre cinq ou dix minutes mais Durand posera l’avion comme une fleur ». Durand fait tranquillement un nouveau tour de piste mais cette fois, l’approche est trop courte. Il remet brutalement les gaz au moteur central. Les passagers voisins du baron s’agrippent à leurs fauteuils. Les roues touchent légèrement le sol, les lumières rouges s’écartent et le trimoteur gagne lentement le hangar. Un repas attend les passagers pendant que les Espagnols vérifient passeports et bagages. Le jour se lève et le trimoteur décolle dans un soleil radieux vers Casablanca qui est encore à 1.300 km.
Casablanca-Alger en Dragon
A Casa, tout le monde descend… Foucaucourt reste dans le Dewoitine qui continue vers Toulouse et Paris. A cause de la guerre d’Espagne, le trajet a été modifié et l’avion se pose à Oran où Foucaucourt le quitte. Le Dewoitine va ensuite voler jusqu’à Lézignan-Corbières. Le baron attrape alors la correspondance vers Alger par la ligne des LANA (Lignes Aériennes Nord Africaines) qu’Air France vient de racheter.
Il embarque dans un De Havilland DH-84 Dragon. Ce n’est pas le Dragon que l’on peut voir de nos jour, lequel est un DH-89 Dragon Rapide sorti en 1934 avec un train fixe bien mieux caréné et des moteurs de 200 ch. Avec ses deux moteurs Gipsy de 130 ch, le Dragon de 1932 offre une vitesse de croisière de 175 km/h. Sa cabine est équipée de six sièges confortables en cuir.
Ainsi, en 2 heures de vol à bord du F-AMUZ – photo ci-dessous de l’appareil à Alger-Maison blanche – Jean de Foucaucourt peut rejoindre son épouse à Alger après un périple de tout juste un mois autour de l’Afrique. Il faut bien constater que le baron de Foucaucourt a dans ce périple maintes fois joué avec le feu et que la chance lui a sauvé la mise lors de ses multiples passages dans les nuages et atterrissages en campagne.
Plusieurs autres pilotes de la période de l‘avant-guerre, période glorieuse de l’aviation de tourisme, se sont largement comportés comme le baron. Certains ont pu atteindre l’âge où l’on décide de rester au sol, d’autres comme le baron et la baronne de Foucaucourt ont fini par se tuer dans le mauvais temps.
En effet, dans leur Percival Vega Gull immatriculé F-AQIR et surnommé par eux « Inch Allah », avion qu’ils avaient fait réparer après le tour d’Afrique par son constructeur Edgar Percival, la chance les abandonne presque un an jour pour jour après ce tour. Partis le 7 janvier 1939 dans leur Vega Gull depuis Genève, le baron et la baronne de Foucaucourt arrivent à Alger le 26 pour en repartir le premier février. Ils veulent rejoindre les sources du Nil en traversant le massif montagneux du Tibesti à la lisière du Soudan.
Le 21 février, perdu dans la montagne du Tibesti, le baron de Foucaucourt essaye d’atterrir dans une vallée. Un rabattant plaque l’avion au sol. Le lendemain, une patrouille de méharis découvre les restes du Vega et les corps. Le 21 mars 1939, Jean Morel de Foucaucourt et sa femme Louise Marie sont cités à l’ordre de la Nation, le baron pour « n’avoir cessé de servir par son exemple au cours de ses nombreux voyages aériens, en Europe et en Afrique, la cause du développement de l’aviation privée et de tourisme »…
Autres temps, autres moeurs… ♦♦♦ Jean-Philippe Chivot
Iconographie via l’auteur