Un jour, après de multiples péripéties, il faut bien faire demi-tour et remonter l’Afrique…
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Episode 5 : Le Cap Foumban ou la remontée par le désert aéronautique de l’ouest et l’accident au décollage…
L’équipage passe quelques jours de repos au Cap. Les gens bien informés leur conseillent vivement de ne pas remonter par la côte ouest de l’Afrique. « Jusqu’à Douala il n’y a que deux aérodromes importants et seulement une demi-douzaine de petits terrains parfois impraticables. Vous ne serez pas certain d’y trouver de l’essence et vous aurez des trajets de 1.000 kilomètres sans aérodrome. Les brouillards sont tellement fréquents qu’aucune ligne aérienne régulière ne suit la côte et que même les navires n’empruntent pas cet itinéraire ! A partir de Brazzaville les brumes, plafonds bas et averses vous forceront à vous arrêter ».
Joli programme, un brin pessimiste, pense le baron.
Un beau matin pourtant, l’avion décolle de l’aérodrome du Cap. Cap plein nord en évitant la côte, le paysage devient rapidement désertique et stérile. Après deux heures et demie de vol l’avion survole le fleuve Orange. Toujours le désert, on aperçoit de temps en temps un puits, un campement, une maison perdue. Windhoek, but de l’étape, est encore à 500 km. Le baron et Ivernel s’endorment aux commandes pendant quelques instants et se réveillent parce qu’Ivernel a glissé et pousse le manche ! Ils aperçoivent une ligne de chemin de fer, la suivent et posent l’avion à Windhoek qui est la seule ville allemande en Afrique, sur une piste de
1.400 m de long et à près de 2.000 m d’altitude.
Windhoek, de nos jours capitale de la Namibie, avec ses avions taxis pour rejoindre les coins perdus. Une église locale, dans le style allemand…
Le lendemain, malgré la fraicheur du matin, la longueur de piste est rassurante pour le pilote d’un avion surchargé. Après avoir survolé la forêt équatoriale, l’équipage atteint Mossamedes (maintenant Namibe) et tente de se poser sur un grand rectangle de sable balisé près de la plage. Après avoir fait le plein parmi la foule venue enfin voir un avion, le Vega Gull décolle dans un nuage de sable vers Luanda en suivant la côte et en jouant avec les stratus bas du bord de mer.
A Luanda, le Vega Gull se pose parmi les Taylor Cub locaux. Le lendemain, direction Brazzaville mais dès le passage de l’équateur les nuages s’amoncellent et l’avion descend bas au-dessus de la forêt vierge. L’équipage atteint la voie ferrée vers Leopoldville, en partie cachée parmi les cultures.
L’équipage passe deux jours à Brazza et décolle au matin sous un ciel très bas vers Port Gentil après avoir attendu trois heures une amélioration de la météo. Les constantes averses obligent le pilote à suivre la voie ferrée vers Pointe Noire. L’avion se pose à Port Gentil et repart pour Libreville sous un soleil radieux. Il franchit ensuite la frontière du Cameroun et suit sous une brume de chaleur la route de Yaoundé. L’équipage y passe une journée, reçu par les autorités française plus qu’accueillantes à un jeune baron inspecteur des finances. On lui conseille vivement d’aller à Foumban tout proche, haut lieu de l’art indigène du sultanat des Bamouns.
Décollage donc vers Foumban avec des sommets dans la brume puis vol d’une heure et quart vers le petit terrain de Foumban où l’attend toute la colonie française. Ci-dessous, l’aérodrome militaire de Foubam de nos jours.
Après 17 kilometres en voiture, l’équipage arrive à la porte monumentale de Foumban, chef d’oeuvre de l’art indigène où le sultan les reçoit en son palais (ci-dessous).
Après une fête en leur honneur, donnée dans le palais avec force tam-tams, l’équipage va se coucher et trouve mal le sommeil. Le lendemain, il faut partir de Foumban vers Douala.
Au matin l’administrateur les emmène en voiture à l’aérodrome. Ivernel prépare l’avion.
Le baron démarre le moteur Gipsy et l’avion roule docilement sur la pente légère qui conduit au bout de l‘aérodrome. A l’autre extrémité du terrain passe une route bordée d’une haute ligne téléphonique. Dans la chaleur et à 1.200 m d’altitude il faut au moins 800 m pour décoller et le terrain fait au plus 600 m…
Foucaucourt fait tirer l’avion sur 200 m de terrain plat au-delà de la bordure du terrain, place l’avion face au vent et met les gaz. L’avion accélère mollement. Foucaucourt pousse le manche et lève difficilement la queue. L’avion atteint assez rapidement 70 km/h mais n’accélère presque plus. Ivernel inquiet crie les vitesses au baron. « 80 ». « OK… » mais il est trop tard pour arrêter l’avion et la vitesse est trop faible pour sauter la ligne du téléphone. Seule solution : passer… en dessous de cette ligne et au-dessus du talus qui la précède.
A 90 km/h, Foucaucourt tire sur le manche pour quitter le sol. L’avion décolle péniblement, au second régime, car il fait très chaud, puis décroche et s’abat brutalement bien à plat sur le sol mais une termitière heurte le train gauche qui se détache et bondit à plusieurs mètres de hauteur tandis qu’une autre arrache le train droit. L’avion glisse ensuite quelques mètres sur le ventre et s’arrête doucement. L’équipage sort de la cabine et va à la rencontre du chef de l’aérodrome qui arrive en courant car il a vu l’avion disparaitre sous la crête puis les roues sauter dans les airs.
Ivernel, pour réconforter Foucaucourt, lui dit : « Part par l’avion de ligne, tu es pressé. Moi je reste sur place pour recevoir les pièces de rechange et réparer l’avion ». Cela dit il faut démonter l’avion au plus vite, transporter les morceaux à Foumban et abriter le tout. L’opération fut fatigante et dura jusqu’à la nuit. Foucaucourt, ruminant son décollage avorté, dormit mal chez l’administrateur.
Grâce à son entourage il put trouver une place dans le prochain hydravion d’Aéromaritime qui partait de Douala vers Dakar dans les 48 heures et s’y faire conduire en voiture. Ce qui demanda plus de… 16 heures. Le brave Ivernel s’occupa d’embarquer les restes du Vega Gull sur un bateau qui faisait Douala-Londres et regagna Le Havre un mois plus tard, à bord d’un bananier. Le prochain et dernier épisode racontera le périple en avion… de ligne du baron de Foucaucourt au mois d’avril 1937 sur l’itinéraire Douala-Dakar-Casablanca Alger.
Ce qui financièrement n’était pas à l’époque à la portée du premier venu…
♦♦♦ Jean-Philippe Chivot
Iconographie via l’auteur
Lien vers l’épisode 6 (le dernier)