Le ciel est à nous : 4.717.396 signatures contre la privatisation des aéroports.
Jusqu’ici, toutes les privatisations de biens publics au bénéfice de multinationales sont passées sans difficulté, le tout expliqué et justifié par les principaux médias aux mains des… mêmes multinationales — jusqu’à la privatisation du groupe ADP qui a suscité de vives réactions. C’est fort de ce constat que Daniel Schneidermann, créateur et animateur du site Arrêt sur images – « qui décortique les images et les discours médiatiques » – a décidé d’enquêter sur ce dossier, en allant voir les « pour » et les « contre ».
Pourquoi le gouvernement a-t-il décidé de privatiser une entreprise qui est le numéro 1 mondial du secteur ? Pourquoi vendre les bijoux de famille payés avec les impôts de plusieurs générations ? Telles sont les questions dont il voulait comprendre les réponses sans subir une décision prise par des élus, sachant que les actionnaires privés n’auront qu’un objectif, le profit avant l’intérêt général.
Le 10 avril 2019, au lendemain de la décision prise par des représentants de tous les groupes politiques de lancer une procédure pour obtenir un Référendum d’initiative partagée (RIP), il s’est lancé ainsi dans ce dossier pour donner des clés aux citoyens souhaitant participer au RIP, soit au minimum 10% du corps électoral ou 4.717.396 signatures à enregistrer avant le 12 mars 2020.
L’enquête a donné lieu à un ouvrage, comprenant trois chapitres – pour la démocratie, pour la planète, pour les biens communs – avec à la fin de chacun une synthèse en 2 pages des arguments développés, sans noyer le lecteur sous les chiffres. La démocratie en prend un coup avec l’opacité du gouvernement qui n’a jamais diffusé le contenu intégral du contrat de concession envisagé pour la vente du groupe ADP. Et l’on sait que dans de nombreux dossiers similaires, les clauses sont bien souvent à l’avantage du privé quand il s’agit des bénéfices…
On a déjà vu les résultats de la privatisation de Toulouse-Blagnac, dénoncée par la Cour des comptes !
Le RIP – une première dans l’histoire de la République – poserait un « vrai problème démocratique » selon le Premier ministre ! Le ministre de l’Economie explique qu’en vendant leur patrimoine qui rapport des dividendes à l’Etat chaque année, les Français vont être gagnants ! Certains éditocrates ont cherché à régionaliser le dossier pour écarter du vote des électeurs non franciliens alors qu’il s’agit bien d’un dossier national, emblématique d’une politique économique à l’oeuvre avec aussi la Française des Jeux mise sur le marché…
L’auteur a bien noté également les obstructions, barrages et autres obstacles mis en place avec le site internet du gouvernement pour freiner la dépose de signatures, avec de nombreux citoyens refoulés car absents des listes électorales bien que votant régulièrement. Un site internet à l’accès dissuasif pour une partie de la population et à l’ergonomie digne d’un Minitel mais développé par un gouvernement vantant la start-up nation !
C’est aussi les « éléments de langage » mis en avant par le gouvernement qui sont dénoncés, comme faire croire que le gestionnaire d’un aéroport ne gère que les boutiques et que ce n’est pas le rôle de l’Etat de vendre des macarons, quand on sait que Vinci Airports – le groupe, à qui était promis au départ la vente d’ADP suite à l’échec du grand chantier inutile de Notre-Dame des Landes – affiche plus de 40% de marge sur ses aéroports dont Gatwick. Mais voilà, le nom de Vinci a servi de catalyseur à la rébellion, avec un nom déjà lié à la privatisation scandaleuse des autoroutes…
Le futur acquéreur du groupe ADP sera enclin à développer la marchandisation à outrance, à coups de lignes ouvertes et de boutiques franchisées, avec un tourisme de masse aux effets pervers quand un week-end à l’étranger revient moins cher qu’un séjour en France, même
si la croissance du trafic aérien ne pourra se poursuivre ad vitam aeternam selon les rêves des experts que l’auteur dénomme aérocrates, car l’aviation commerciale a une part de responsabilité dans le réchauffement climatique, avec un impact au pourcentage sous-évalué selon certains.
Alors qu’Emmanuel Macron a déjà supervisé la privatisation des aéroports de Toulouse, Lyon et Nice, on note qu’une indemnisation de 1 milliard serait prévue pour les actionnaires minoritaires actuels – dont Vinci ! – qui seront « limités » à 70 ans de concession, faisant ainsi de cette privatisation prévue une première avec l’Etat… déboursant de l’argent !
La justification officielle de la vente serait d’abonder un fonds public d’aides à des start-up innovantes avec les intérêts de la vente, soit des montants plus faibles que les gains apportés par le groupe ADP à l’Etat (56% des parts) sous forme de dividendes. Et l’on sait que la destination annoncée de fonds n’est pas toujours celle retenue en pratique, depuis la vignette automobile jusqu’à la dernière augmentation des taxes sur les carburants destinées à aider la transition énergétique mais finalement utilisée pour compenser la suppression de l’ISF !
Au final, Daniel Schneidermann a bien compris l’arnaque économique que certains veulent cacher derrière un « dossier trop compliqué » pour la population, alors qu’aux Etats-Unis, pays des sociétés privées, tous les aéroports sont restés dans le domaine public. En vendant le groupe ADP, le gouvernement se couperait des retombées financières annuelles mais aussi perdrait un levier d’action comme outil d’aménagement du territoire. Certes, maintenir ADP dans le service public ne sauvera ni la planète, ni la démocratie, ni même d’autres bijoux de famille, mais ce serait envoyer un message, un « déclic » pour bloquer la mécanique insidieuse… L’occasion ne se présentera pas deux fois de suite !
Alors que le nombre des signatures pour bénéficier d’un référendum approche le million sur les 4,7 nécessaires avant mars prochain, l’auteur rappelle qu’il faut donc refuser la privatisation du groupe ADP et que le bouton pour dire « Stop » est disponible. Encore faut-il vouloir s’en servir et ne pas tomber dans la résignation ! ♦♦♦
https://www.referendum.interieur.gouv.fr/soutien/etape-1
– Pouvoir dire stop, par Daniel Schneidermann. Ed. Les Arènes. 206 p. 15, 00 €